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L’usage de drones sur les théâtres d’opérations a connu un boom au cours de l’année 2020. Dans ce contexte, deux rapports relatifs à la guerre des drones sont sortis à quelques jours d’intervalle, l’un rédigé par le Sénat (le 23 juin 2021) et l’autre par l’Assemblée nationale (le 7 juillet 2021). Les deux textes dressent le constat de la menace générée par ces aéronefs et expliquent comment la France prévoit d’y faire face.
Si dans un premier temps, les drones
servaient seulement pour l’observation, grâce aux progrès technologiques, les
missions de ses machines volantes se sont diversifiées. Elles sont dorénavant
tout autant utilisées pour les frappes, les transmissions de données et la
logistique. La France et l’Europe n’ont pas su mesurer l’impact qu’aurait cette
nouvelle technologie dans les conflits futurs, et se retrouvent à devoir
rattraper leur retard.
Lors de son audition par le Sénat le 9
mars 2021, le général Charles Palu, sous-chef d’état-major « plans et
programme » de l’armée de terre, a évoqué que les drones sur les théâtres
de guerre étaient un véritable « game changer ».
Augmentation de l'usage des drones dans les conflits armés en 2020
L’année 2020 a en effet marqué une
rupture : les drones sont aujourd’hui en première ligne sur les théâtres
des opérations, que ce soit pour surveiller ou attaquer, et au centre de
nombreuses tensions diplomatiques. Ces modes opératoires qui consistent à les
mettre en première ligne sont pressentis par les experts comme la nouvelle
forme de conflit dans laquelle les drones seront omniprésents. « Nous
sommes entrés dans une nouvelle ère des drones », s’inquiète
Agnès Callamard, rapporteuse de l’ONU. Ces aéronefs, de plus en plus rapides et meurtriers,
sont devenus indispensables dans tous les champs de l’activité militaire, car
ils permettent d’éloigner les soldats de la zone de conflit.
La Turquie représente désormais une
menace? d’après les rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat, avec son entrée en force sur le marché des drones
de combat grâce à des drones à bas coût. Dans les années 2000, l’État avait
tenté d’en acheter aux États-Unis et à l’Israël, sans succès. La Turquie a donc
développé des capacités de productions mobiles, projetables au plus près des
zones de conflits destinées à alimenter les flux tendus. Le pays eurasien a été
l’un des principaux donateurs de drones à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie à
l’automne 2020, pendant la guerre du Haut-Karabagh. Lors de ce conflit,
l’usage de drones moins élaborés et moins coûteux s’est intensifié. L’armée
azerbaïdjanaise a également employé le Harop, un drone kamikaze israélien qui
n’emporte pas de charge à proprement parler, car son mode opératoire est de
plonger sur sa cible pour la détruire. Leur usage a été remarqué dans d’autres
guerres comme la bataille de Tripoli en 2019, durant la guerre civile en Lybie,
au cours de laquelle chaque camp avait pour objectif de neutraliser les drones
ennemis, ou encore lors de l’opération « Bouclier du printemps »,
une offensive militaire menée par la Turquie en mars 2020 contre le régime
syrien, pendant la guerre civile qui se déroulait dans le nord de la Syrie.
La Chine et la Turquie sont ainsi
devenues centrales dans la création de drones bon marché, mais aussi l’Israël
et l’Iran, rappellent les rapporteurs. Ces États se sont en effet lancés dans
la production et l’exportation des drones à grande échelle, qui prolifèrent
aujourd’hui au Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Afrique. « Ces drones permettent à ces
groupes armés de mener à peu de frais des attaques ciblées, très efficaces,
occasionnant des dommages très importants » indique le
rapport du Sénat. Entre autres, les milices houthies au Yémen s’arment en drones
iraniens, de même que le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza. Les milices en
Irak, en Syrie et au Soudan y ont aussi recours. De plus, les armées françaises
constatent un emploi croissant des drones civils par les groupes armés
terroristes devenus maîtres dans l’art de les détourner et les bricoler.
La lutte contre les mini-drones apparait en conséquence un défi de taille à relever, notamment face aux essaims, qui fonctionnent comme des entités uniques en réseau. En mai 2021, l’Israël avait déployé contre Gaza le premier essaim de drones assistés par intelligence artificielle. Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo, le Japon a fait une démonstration impressionnante de 1 824 drones formant ensemble un globe terrestre. La Chine avait également orchestré une chorégraphie de 2 000 drones synchronisés à Shanghai, à l’occasion du nouvel an 2020. Cependant, ces représentations inquiètent les instances militaires. La Chine a mis en place un concept redoutable où un essaim de drones sort d’un camion ou d’un hélicoptère. De leur côté, les États-Unis testent des supers essaims de plus de 10 000 mini drones.
Dans un rapport publié en 2017, la
commission des affaires étrangères et de la défense faisait déjà le constat que
« la France, à l’instar des autres pays européens, avait pour une large
part manqué le tournant décisif des drones ». Ce retard est en passe
d’être résorbé, grâce à la montée en puissance du parc de drones militaires
depuis 2019, l’objectif étant d’en posséder plusieurs milliers en 2025
contre quelques dizaines en 2016.
Le retard des livraisons, selon les
rapports, est une des raisons qui expliquent pourquoi la France a dû se fournir
en drone auprès des Américains, malgré un coût élevé. Les États-Unis ont la
plus grande flotte de drones depuis les années 90. En 2013, Jean Yves le Drian leur
avait commandé 12 drones Reaper pour un montant de 670 millions d’euros,
solution intermédiaire pour avoir raté la révolution. Même chose en 2019 pour
combler les besoins de surveillance au Sahel, c’est d’ailleurs lors de cette
expédition que l’armée française a réalisé son premier tir d’expérimentation
d’un drone. Toutefois, les drones américains sont soumis à l’autorisation du Congrès
pour tout déplacement. Leur maintenance est également assurée par des industriels
américains, de même que la formation.
L’Europe fabrique son propre drone MALE : l'Eurodrone
C’est pour cela que les quatre pays
membre de l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR),
soit l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la France, se sont alliés afin de créer
un drone de souveraineté européenne : l’Eurodrone, qui doit remplacer les
drones Reaper MALE (moyenne altitude longue endurance) américains, ainsi que
les Hérons israéliens au profit d’un drone MALE européen présenté en 2015. L’engin
volant, développé en collaboration par Airbus, Dassault et l’Italien Leonardo
est très attendu, après les échecs du programme EuroMALE lancé en 2004, pour
des raisons de divergences sur les besoins opérationnels entre la France et l’Allemagne,
ainsi que celui du programme franco-allemand espagnol de drone MALE talarion, arrêté
en 2012, faute de financement. Conséquence : la France et ses alliés ne
pourront plus se permettre de manquer les prochaines innovations.
Le financement de l’Eurodrone revient
au Fonds Européen de Défense (FED) à hauteur de 100 millions d’euros. Le
programme a été sélectionné par la commission européenne en mars 2019 dans l’unique
but d’avoir une autonomie stratégique européenne. Le vieux continent doit
s’armer en conséquence afin d’être paré à toute éventualité.
D’après le rapport du Sénat, l’Eurodrone
est « enfin sur des rails ».
Le contrat a été finalisé en novembre 2020 puis approuvé par le Bundestag
– le parlement Allemand – le 14 avril 2021. Il est désormais entré dans la
phase de réalisation. La France prévoit donc de recevoir son premier Eurodrone
en 2028, avec tout de même trois ans de retard par rapport à la date annoncée
dans la loi de programmation militaire 2019/2022. Mais en attendant l’objectif
2028, le gouvernement vient de confirmer une commande de 12 drones MALE Reaper
aux USA ainsi que le rétrofit de six autres, ce qui consiste à remplacer des composants anciens ou obsolètes par
des composants plus récents.
La lutte anti-drone est un défi technologique
La menace des drones ne se limite pas
aux théâtres de guerre, elle est également présente sur le territoire national.
Dans l’Hexagone, les armées redoutent la menace des groupes terroristes,
surtout face à la difficulté de repérer les drones dits « amis » de
ceux potentiellement dangereux. À titre d’illustration, en 2017, on comptait
400 000 drones civils. À ce jour, il y en aurait 2,5 millions en service. Selon
l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA), 2 000 incidents liés
aux drones se sont produits dans le ciel européen en 2019.
« La
Lutte anti-drone constitue l’une des priorités de notre ministère au fur et à
mesure que cette menace évolue et se développe » a ainsi souligné Florence
Parly, ministre des armées, le 7 juillet dernier, lors d’une visite
ministérielle sur le site de la Délégation générale de l’armement. La Lutte
Anti Drone (LAD) devient l’un des enjeux majeurs de la sécurité nationale, avec
comme perspective de détenir des systèmes performants pour la Coupe du monde de
rugby de 2023, et les Jeux olympiques de 2024. La stratégie de lutte anti-drone
a été mise en place en 2014. Il s’agit de détecter, d’identifier et de neutraliser
les drones. La LAD est un sujet complexe et un défi technologique : depuis
2015, 525 solutions techniques ont émergé, contre une douzaine seulement à
l’époque. Depuis cinq ans, la technologie s’est perfectionnée, les drones se
sont multipliés, avec une grande diversité d’engins, et deviennent de plus en
plus accessibles.
Enfin, un marché d’un montant estimatif
de 350 millions d’euros vient d’être lancé pour l’acquisition d’une protection
déployable modulaire anti-drones (PARADE), qui prévoit l’acquisition, à
l’horizon 2022, de six systèmes, d’autres commandes étant possibles sur toute
la durée du marché prévue sur 11 ans.
Tina
Millet
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