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Devant les députés de l’Assemblée nationale, mardi 14 janvier 2025 à 15h, le Premier ministre a pris la parole dans une tentative d’unir les parlementaires, notamment après l’échec des négociations menées par son prédécesseur, Michel Barnier. Dans son discours, celui qui est toujours maire de Pau a notamment insisté sur la nécessité de « remettre en chantier » la réforme des retraites mais aussi de ramener une stabilité politique en France.
« Je suis un néophyte, je
dois encore apprendre le métier ». Ce mardi 14 janvier 2025, François
Bayrou a livré un discours de politique générale laborieux devant l’Assemblée
nationale. Perdu dans ses fiches, hésitant sur certains mots et chahuté par
l’hémicycle, le Premier ministre, près de trois mois après le discours
inaugural de Michel Barnier, devait tracer les grandes lignes de son programme
avec un objectif clair : convaincre. La tâche s’avérait d’autant plus délicate
que La France Insoumise (LFI) avait déjà annoncé déposer une motion de censure
et afin d’éviter que son gouvernement ne tombe, François Bayrou avait pour but
de rassembler, notamment en finalisant un accord avec le Parti socialiste.
C’est ce que confirmait plus
tôt dans la journée Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, indiquant que des
concessions étaient en discussion, notamment sur certaines mesures du « budget
Barnier » ainsi que sur la réforme des retraites où l’âge légal de départ à 64
ans, instauré par la loi de 2023, était au centre des négociations. Alors,
mission réussie pour François Bayrou ?
« Remettre en
chantier » la réforme des retraites
Sur le sujet des retraites, et
malgré les difficultés rencontrées, le Premier ministre a tenté de répondre aux
attentes du Parti socialiste en évoquant une « fenêtre de tir » rendue possible
par la loi de 2023, qui prévoit que l’âge légal de départ à la retraite passera
à 63 ans, seulement d’ici fin 2026. Et pour cette raison, il a annoncé
l’organisation, dès le vendredi 17 janvier, d’un conclave de trois mois
réunissant une « délégation permanente » de partenaires sociaux dans le
but de « remettre en chantier » la réforme.
À lire aussi : Maîtrise de l’immigration, hausse du SMIC, taxation des plus
fortunés… Quelles sont les ambitions de Michel Barnier pour la France ?
« Si cette délégation
parvient à un accord garantissant un meilleur équilibre et davantage de
justice, nous l’adopterons. Le Parlement sera saisi dans le cadre du prochain
projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou, si nécessaire, par une
loi spécifique », a affirmé François Bayrou. Toutefois, il a également averti
qu’en l’absence de consensus des partenaires, c’est la réforme actuelle « qui
continuerait à s’appliquer ».
Unir les partis pour lutter
contre la dette
« La situation de ce
gouvernement présente un avantage considérable : pas un ne trouve notre
position enviable », a par ailleurs ironisé François Bayrou. Parmi les
autres chantiers annoncés par celui qui a été nommé Premier ministre le 13
décembre dernier dans un contexte d’incertitude politique marquée, le retour à
la stabilité, donc. Selon lui, cette stabilité est d’autant plus urgente car « tous
les citoyens en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas
d'accord sur tout, mais ils nous enjoignent, je le crois, de joindre nos forces
pour forcer les issues ».
Pour cette raison, François
Bayrou a exhorté les forces politiques à s’unir pour affronter ce qu’il désigne
comme la principale source d’inquiétude : le surendettement de l’État, qu’il qualifie de situation inédite
dans l’histoire de la France. Tout en reconnaissant que
l’explosion de la dette sous le mandat d’Emmanuel Macron a été amplifiée par
les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine, il a aussi insisté
sur la nécessité d’une prise de conscience collective.
« Aucune politique de
ressaisissement et de refondation ne pourra être menée sans prendre en compte
cette situation de surendettement, ni sans se fixer comme objectif de la
contenir et de la réduire », a-t-il déclaré, rappelant la responsabilité
partagée de « tous les partis de gouvernement sans exception » dans
cette crise. Enfin, le président du MoDem a également critiqué les formations
politiques « qui réclament toujours plus d’argent, ceux qui ont dansé le
tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice ».
« Une épée de Damoclès »
Concernant la dette,
toujours, le Premier ministre a ainsi appelé à une adoption rapide des deux
budgets, ceux de l’État et de la Sécurité sociale, invalidés par la censure du
précédent gouvernement le 4 décembre. « Cette précarité budgétaire, nous la
payons tous au prix fort : entreprises, investisseurs, familles, contribuables,
emprunteurs », a-t-il encore insisté, en appelant les forces politiques à «
instaurer les conditions d’une stabilité, ce qui implique une réconciliation
dont le pays a cruellement besoin et que ses citoyens ne cessent de réclamer
».
François Bayrou a conclu sur
cette thématique en avertissant de risques plus vastes : « La dette est une
épée de Damoclès dans ce monde nouveau et dangereux », d’autant plus
avec la concurrence de la Chine et le retour de Donald Trump, qui « pratique
la même politique menaçant d’annexions des États souverains ». De l’avis
du Premier ministre, « ce désordre mondial » doit être
également l’occasion pour l’Europe de se montrer solidaire, capable de « devenir
le premier marché de la planète ».
2,2 milliards d'euros au lieu
des 5 prévus pour le budget
Pour réduire le déficit
public, François Bayrou a décidé de revoir à la baisse l’effort financier
demandé aux collectivités, le fixant à 2,2 milliards d’euros contre les 5
milliards initialement prévus. Cette contribution avait suscité une vive
opposition, aussi bien à gauche qu’à droite, depuis son annonce en octobre, les
collectivités dénonçant les risques récessifs et les conséquences négatives sur
la qualité des services publics. D’ailleurs, elles avaient aussi alerté sur
l’impact potentiel de telles mesures sur l’investissement local, essentiel au
développement du pays. « Les collectivités locales portent une grande part
de l’investissement de notre pays, bien plus que l’État : 70 % de
l’investissement est supporté par elles », a rappelé le Premier ministre.
Le Premier ministre a d’ailleurs
tenu à rassurer les élus locaux en affirmant que son gouvernement «
confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l’eau,
l’assainissement, le statut et la protection des élus », tout en soulignant
que les initiatives parlementaires sur ces thématiques « devront aboutir
».
Débat sur la proportionnelle
et le cumul de mandats
Véritable arlésienne du
paysage politique français, l’idée d’une « réforme du mode de scrutin
législatif » a été relancée hier par François Bayrou, qui a défendu
l’instauration de la proportionnelle, tout en insistant sur la nécessité
qu’elle « s’enracine dans les territoires ». « Le pluralisme suppose
aussi que chacun trouve une place au sein de la représentation nationale, à
proportion des votes qu’il a reçus », a-t-il affirmé.
Toujours maire de Pau, le
Premier ministre a également souhaité « reposer » la question du cumul
des mandats, nécessaire de débattre de « l’exercice simultané d’une
responsabilité locale et nationale ».
Par ailleurs, il a plaidé
pour la création d’une « banque de la démocratie », afin que « le
financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de
banques privées, mais d’organismes publics placés sous le contrôle du Parlement
». Selon François Bayrou, « l’argent ne doit pas diriger les consciences ni
prendre le pas sur la libre volonté des citoyens ».
Les gilets jaunes négligés
D’autres thématiques majeures
ont marqué l’allocution du Premier ministre, à commencer par le mouvement des
gilets jaunes, « négligé » par le gouvernement, et révélateur d’un
profond malaise dans la société française. Selon François Bayrou, ce mouvement dénonçait
pourtant « la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne
comptent pas ». Pour celui qui était également, le temps d'un mois, l'ancien ministre de la Justice, « la promesse française suppose
que nous puissions abattre le mur qui existe entre les uns et les autres ».
Dans cette optique, le chef du gouvernement a annoncé vouloir reprendre l’étude des cahiers de doléances rédigés à l'issue des débats qui avaient suivi les manifestations en 2018, afin de permettre aux milieux sociaux les plus exclus du pouvoir de faire entendre leurs attentes, souvent restées inexprimées. Le Premier ministre a profité de l’annonce de cette mesure pour sonder les députés LFI, visiblement mécontents : « Je pensais que cela vous plairait ? ».
Immigration : réactivation du comité interministériel de contrôle
Concernant l’immigration, le
Premier ministre n’a pas mâché ses mots . « 93 % des OQTF (Obligations de
Quitter le Territoire Français) ne sont pas effectuées », a-t-il déclaré
pour souligner l’urgence d’agir. Face à cette situation, il a annoncé la
réactivation du comité interministériel de contrôle de l’immigration.
« Il est donc de notre
devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de renvoi dans
leur pays de ceux dont la présence met en péril la cohésion de la nation »,
a affirmé François Bayrou, qui a assuré son auditoire de sa fermeté sur le sujet. Le chef du gouvernement a toutefois
insisté sur l’importance de l’intégration, qu’il considère comme un objectif
majeur : « Notre cap, c’est l’intégration et l’incorporation à la nation de
ceux qui sont amenés à la rejoindre. »
Pour y parvenir, François Bayrou mise sur le rôle central du travail, de la langue, ainsi que de l’apprentissage et
de l’acceptation de la culture française. En martelant l’importance du respect
de la liberté des femmes, il a également promis de rester intransigeant face à
ceux qui s’opposent à ces principes fondamentaux. « La République n'existe
que si elle se fait respecter », a-t-il conclu.
Le Premier ministre a en outre abordé la question de l’autonomie de la Corse, promettant de « respecter » le calendrier établi pour aboutir à une évolution constitutionnelle d’ici la fin de 2025. Il a rappelé que le processus dit de Beauvau, initié en 2022 par Gérald Darmanin sous la présidence d’Emmanuel Macron, visait à accorder davantage d’autonomie à l’île.
Néanmoins, la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 avait interrompu ces discussions, suscitant des craintes chez de nombreux élus corses quant à l’abandon du projet. François Bayrou s’est engagé à relancer ces négociations pour garantir leur aboutissement.
Mercosur, pomme de la
discorde chez les agriculteurs
Enfin, François Bayrou a
abordé les difficultés rencontrées par les agriculteurs français, admettant que
ces derniers subissent des injustices en comparaison de leurs voisins
européens. Le chef du gouvernement a pointé du doigt la surtransposition des
normes européennes, qui impose des contraintes supplémentaires aux agriculteurs
français, ainsi que le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et
les pays sud-américains du Mercosur, une source de vive opposition chez les
syndicats agricoles. « On impose à nos agriculteurs des normes et des
obligations qui ne sont pas imposées aux voisins européens, et je ne parle même
pas de ceux qui sont au-delà de nos frontières, en particulier en Amérique du
Sud », a-t-il souligné.
Sur un autre registre,
François Bayrou a fait une annonce majeure sur le système de santé français.
Revenant sur la mesure envisagée à l’automne par Michel Barnier mais abandonnée
sous la pression du Rassemblement national, il a affirmé que « la mesure de
déremboursement de certains médicaments et de consultations » médicales ne
serait pas réintroduite, confirmant, au passage, une avancée en matière de
santé publique : « le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025
», promesse formulée il y a près de deux ans par le président de la République.
Ce discours sera-t-il
suffisant pour empêcher le vote de la motion de censure ? Dans tous les cas,
pour le Premier ministre, l’espoir réside dans l’union : « Nous
sommes un peuple de ressources. À la condition qu’il trouve l’unité qui si
souvent lui manque. Il l’a fait bien des fois au cours de son histoire, et
c’est à nous aujourd’hui que cette mission, cette charge et cette chance
reviennent ».
Romain
Tardino
EDIT de 19h30 : La France Insoumise a annoncé avoir déposé sa motion de censure peu après le discours de François Bayrou. Celle-ci sera examinée jeudi à 15h.
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