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vendredi 3 janvier 20208 min
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03/01/2020 16:30:20 1 5 1906 10 0 7267 1812 1867 Le harcèlement dans les professions du droit : fin d’un tabou ou exigence sociale ?

Les consciences se réveillent au sein des professions du droit. Enfin !




Si pendant longtemps l’omerta fut la règle dans tous les milieux, y compris au sein des professions du droit, dans le prolongement des mouvements de dénonciation et de protestation contre le sexisme et le harcèlement physique et moral subi par les femmes, une prise de conscience s’est récemment emparée des professions du droit, et il faut évidemment s’en réjouir. Mais pourquoi ce sujet est-il aussi important dans notre milieu professionnel que dans le reste du corps social ?


 


La triste réalité du harcèlement et des discriminations au sein des professions du droit


L’exigence de lutte contre le harcèlement et les discriminations dans les professions du droit est d’autant plus importante que, précisément, c’est cette même communauté qui est chargée de faire respecter la loi dans notre société.


 


Le harcèlement : une définition à géométrie variable


Lorsque l’on parle de harcèlement, on pense avant tout au harcèlement sexuel (1) qui, hélas, est au cœur de l’actualité et dont les femmes sont les principales victimes. Contrairement à une idée parfois reçue, il faut rappeler que l’auteur d’un harcèlement sexuel peut être, outre un supérieur hiérarchique, un collègue ou encore un subordonné et que s’il est poursuivi, il encourt une peine de deux ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 30 000 euros. Il existe de multiples autres formes de discrimination fondée sur la couleur de la peau, le genre, les opinions politiques ou religieuses ou encore sur l’âge (2), qui pour chacune peut aussi constituer une infraction de harcèlement moral, punie des mêmes peines que précédemment (3), sans compter la réparation des préjudices subis par la victime de ces agissements.


On le voit bien, le harcèlement et la discrimination revêtent des formes multiples et il est essentiel d’en être conscient.


 


Les professions du droit se réveillent


En 2018, les résultats d’une enquête menée en France par le Défenseur des Droits et la Fédération Nationale des Unions des Jeunes Avocats (FNUJA) ont mis en lumière les pratiques de discriminations, le plus souvent sous la forme de harcèlement sexuel ou moral, qui existent au sein de la profession d’avocat. Cette étude devrait être lue par l’ensemble des professions du droit ! Plus d’une avocate sur deux y indique avoir été victime de discriminations au cours des cinq dernières années, notamment liée à l’âge (singulièrement la période de la maternité) ainsi que la rémunération. D’autres formes de discrimination y sont aussi relevées(4).


Plus récemment, une étude glaçante et au titre évocateur « Us Too », réalisée en 2019 dans plus de 135 pays par l’International Bar Association (IBA) révèle que « le harcèlement moral et sexuel sont endémiques dans la profession juridique ». Cette étude, d’une ampleur inédite, explique que les victimes de harcèlement n’osent pas dénoncer leurs auteurs par crainte des représailles et que les politiques et formations en place n’ont pas eu d’impact suffisant sur les comportements à l’œuvre.


Aux Etats-Unis, le sujet a pris une telle ampleur dans les professions du droit que plusieurs actions significatives et médiatisées ont été mises en place. En 2018 Ally Coll, avocate de formation et elle-même victime de harcèlement sexuel, a lancé une large démarche nommée « The Purple Campaign » (5), sponsorisée par plusieurs grandes entreprises américaines. « The Purple Campaign » mène des actions de sensibilisation et de formation auprès des cabinets d’avocats et des entreprises, labellise leur démarche et programme de lutte contre le harcèlement et les discriminations, et enfin poursuit des initiatives de lobbying destinées à faire changer la loi, tant au niveau fédéral que dans les états.


Parallèlement, des étudiants de la prestigieuse Harvard Law School ont lancé une initiative, « The People’s Parity Project » (6) et ont déjà convaincu sous la pression huit grands cabinets d’avocats de renoncer aux clauses d’arbitrage ainsi qu’aux engagements de confidentialité qu’ils imposaient jusqu’alors dans les contrats de travail de leurs avocats stagiaires, collaborateurs et employés. Désormais les litiges liés à l’exécution des contrats de travail seront jugés par des tribunaux et jurys de droit commun, rendant de fait publics les agissements liés aux cas de harcèlement et de discrimination. Leur initiative s’étend également aux juridictions de l’ordre judiciaire.


En France, c’est tout récemment, le 26 septembre 2019, que le Barreau de Paris, la Conférence des Bâtonniers de Métropole et d’Outre-mer ainsi que le Conseil National des Barreaux (représentant 68 500 avocats) signaient la « Charte portant sur la lutte contre le harcèlement et les discriminations au sein de la profession d’avocat » en présence du Défenseur des droits, Jacques Toubon.


L’efficacité des mesures envisagées, comme la mise en place de référents au sein des Ordres des avocats, la formation des futurs avocats à la lutte contre la discrimination ou encore la modification prochaine du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) pour y intégrer les principes d’égalité et de non-discrimination comme principes essentiels de la profession d’avocat, ne pourra évidemment se mesurer qu’avec le temps. 


 


Plus qu’un devoir moral, une exigence sociale


Dans l’immédiat, pour les professions du droit dans leur ensemble, c’est bien à la fois un devoir moral et une exigence sociale que de lutter contre ce fléau.


 


Un devoir moral


 


Le respect de la loi


Tout d’abord, la règle de droit est le fondement du pacte social qui unit les citoyens à la nation et le socle d’une vie harmonieuse en société. Sur le lieu du travail, qu’il s’agisse des entreprises ou des cabinets d’avocats, l’employeur ou l’avocat a le devoir d’assurer la sécurité de ses employés et collaborateurs et il doit protéger leur santé physique et mentale. En d’autres termes, il doit proscrire toute forme de harcèlement, le dénoncer lorsqu’il en a connaissance et enfin le sanctionner.


Ensuite, le harcèlement est d’autant moins acceptable au sein de notre profession du droit que nous avons vocation à faire respecter la loi. Les juristes, qu’ils soient avocats, juristes d’entreprise, magistrats, professeurs d’université, concourent au respect de la loi. Is doivent être d’autant plus attentifs à ce que les hommes et les femmes ne subissent aucune forme d’injustice ni aucune forme d’agression. Dès lors, toute forme de harcèlement est encore moins acceptable chez nous qu’ailleurs!  


Comment peut-on, par exemple, demander à un collaborateur d’aller plaider un dossier le matin pour défendre un salarié victime d’une agression morale ou sexuelle, ou plus simplement de défendre le respect de la loi dans n’importe quel domaine du droit, si c’est pour lui faire subir, dans la même journée, un harcèlement ? Comment former de jeunes générations de juristes si c’est pour leur donner « l’exemple » contraire ?


 


L’éthique des professions du droit


Cette exigence est encore plus forte pour les professions du droit qu’elle s’exprime au travers de règles déontologiques et éthiques qui mettent en avant le respect, l’honneur, la probité et la dignité. Et ce sont justement ces valeurs qu’il faut appliquer en toutes circonstances.


Le code de déontologie des juristes d’entreprise, qui constitue en France le texte de référence en la matière, rappelle d’ailleurs que les juristes d’entreprise agissent avec conscience, intégrité, probité et loyauté, à l’instar du serment des avocats.


De même le code de déontologie des magistrats stipule-t-il que « Plus que tout autre, le magistrat est tenu à la probité et à la loyauté »…qu’il « se doit de prêter attention à ceux qu’il juge, comme à ceux qui l’entourent, sans jamais attenter à la dignité de quiconque… »


On le voit bien, les professions du droit portent en elles une dimension d’exemplarité: il s’agit précisément de faire ce que l’on dit et de vivre les règles et valeurs que l’on promeut. 


 


Une exigence sociale


Dans une société qui manque de repères, nos concitoyens s’en remettent à la justice, qui est le dernier rempart contre la violence et les règlements de comptes.


En effet notre société ne tolère plus que l’élite quelle qu’elle soit, ne respecte pas les règles. Dirigeants d’entreprise, politiques, avocats, médecins, religieux…certaines communautés sont légitimement concernées par cette exigence d’exemplarité, d’abord parce que nos concitoyens placent leur confiance en elles, ensuite parce qu’elles disposent d’une large audience, donc d’un pouvoir d’influence considérable.


Si en particulier au sein de nos professions du droit, et c’est une lourde responsabilité, on n’assume pas ce devoir d’exemplarité qui consiste à mettre en cohérence nos discours avec nos actes, alors la démocratie est en danger. Si certains ont pu tolérer des comportements sexistes ou racistes, au nom de l’humour par exemple, alors là est le véritable danger car ce serait le signal d’une tolérance coupable face à des attitudes contraires à la loi.


Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de participer aux chasses aux sorcières ni de dresser les hommes contre les femmes, les blancs contre les noirs, les jeunes contre les seniors, ni même une catégorie de la population contre une autre. Il s’agit simplement d’être vigilant, courageux, respectueux, bref de reprendre pleinement conscience et possession de notre serment à tous, afin que nous, professionnels du droit, prenions toute notre place pour que, comme le disait récemment le bâtonnier de Paris Marie-Aimée Peyron, « la honte change de camp » !




NOTES :

1) Article 222-33 du Code pénal : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

2) Article 225-1 du Code pénal : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée ».

3) Article 222-33-2 du Code pénal : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

4) https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rapp-enq-avocats-a4-num-02.05.2018.pdf

5) https://www.purplecampaign.org/

6) https://www.peoplesparity.org/



Anne Durez,

Présidente « Femmes de Loi, Femmes d’Exception »


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