Industrie musicale et contrats d’artistes : une constante évolution


mardi 28 juin 20225 min
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L’industrie musicale a été le théâtre de rapides, profondes et constantes mutations depuis une vingtaine d’années. Les évolutions technologiques et les usages ont conduit l’industrie musicale à se réinventer, et les bases contractuelles sont le reflet de ces nombreuses transformations.

On ne peut faire l’économie d’un rappel des transformations de l’industrie musicale si l’on veut appréhender le paysage contractuel actuel, qui en est la résultante.

 

 


Une industrie en constante mutation

Les années 2000 ont été le champ d’une transformation accélérée des technologies et des usages de consommation de la musique. La dématérialisation a totalement bouleversé l’industrie musicale.

Pour mémoire, l’industrie musicale avait auparavant traversé un certain nombre de révolutions : le vinyle avait été remplacé par les cassettes audio, puis par les CDs.

Avec le téléchargement (légal ou illégal) et la dématérialisation des supports, la première décennie des années au cours de 2000, a constitué un énorme défi pour les maisons de disques, lesquelles ont vu les ventes de disques chuter de manière vertigineuse et ont été confrontées à un besoin urgent de se réinventer.

En effet, l’avènement du MP3 et de plateformes comme Itunes d’Apple (avec l’Ipod), ou pire, les plateformes de téléchargement illégal, telles que Napster, ont eu des conséquences désastreuses pour les labels (et les artistes).

Il a souvent été reproché aux majors (Universal, Sony, Warner et à l’époque Virgin et BMG) de cette industrie ultra-concentrée d’avoir manqué d’agilité et de ne pas avoir su répondre aux défis technologiquespar exemple par la création de ses propres outils et/ou de ses propres plateformes –, alors que la chute vertigineuse et extrêmement rapide de la vente de CDs a provoqué des pertes colossales pour elles et les artistes pendant près d’une décennie.

De nombreux labels indépendants n’ont d’ailleurs pas tenu le choc de cette évolution et ont dû mettre la clé sous la porte.

De nouveaux acteurs sont alors apparus, chamboulant la cartographie de l’industrie musicale, comme en France, Believe, qui s’est spécialisée dans la distribution digitale et est devenue un des leaders mondiaux dans le domaine (avec une croissance très soutenue et une entrée en bourse), IDOL (distributeur digital de moindre taille, mais connoté comme étant plus pointu, indé et faisant du « sur-mesure ») ou des labels comme PlayTwo (détenu en partie par le groupe TF1 et ayant un partenariat fort avec Believe) ou Because Music (créée par Emmanuel de Buretel et ayant également la réputation d’avoir une forte exigence artistique).

Depuis les années 2010, l’avènement du streaming a constitué le second tsunami auquel les labels ont été confrontés.

Cette dématérialisation poussée à l’extrême (fin du téléchargement remplacé par l’écoute par abonnement) a laissé les majors d’autant plus dubitatives que dans un premier temps, les plateformes principales (la suédoise Spotify ou la française Deezer, laquelle fusionne avec I2PO, et prépare son entrée en bourse) ont promu leurs services en proposant des abonnements gratuits dits « en freemium » interrompus par la publicité, alternativement aux abonnements payants depuis devenus la norme.

Quoi qu’il en soit, il est généralement considéré que les accords de mise à disposition de catalogues conclus dans ces années-là entre les majors – qui ne croyaient que peu en la pérennité du streaming et de son modèle – et les plateformes ont été extrêmement désavantageux pour les maisons de disques, et à plus forte raison pour les artistes, créant un précédent difficile à renverser.

L’équivalence streaming dans les contrats, qui établit le nombre de streams équivalent à un exemplaire physique vendu, est demeurée la même dans les contrats depuis des années, 1 500 streams par abonnement payant équivaut à un exemplaire vendu en physique comme base de rémunération des artistes.

Le volume des streams a largement augmenté ces dernières années, rendant l’équation un peu moins défavorable pour les artistes. Il n’en demeure pas moins que de manière unanime, les artistes considèrent que ce modèle leur est extrêmement désavantageux et que leurs revenus ont drastiquement chuté.

En parallèle, s’agissant des droits d’auteur des auteurs-compositeurs et éditeurs musicaux, la Sacem, par des efforts de négociation soutenus et des investissements conséquents dans des logiciels et autres outils informatiques, est parvenue, surtout depuis 24 mois, à largement améliorer la rémunération de ses membres (auteurs-compositeurs et éditeurs musicaux) s’agissant des revenus (droits d’auteur) issus du streaming.

Parmi les autres évolutions récentes, on peut constater l’importance de YouTube (Google), devenu l’acteur principal de la diffusion des vidéoclips, et de TikTok, devenu un enjeu incontournable de l’industrie principalement concernant la jeune génération. Autant de nouveaux canaux de distribution dont les modes de rémunération doivent être constamment repensés, négociés – ce qui n’est pas aisé compte tenu des situations quasi-monopolistiques de Youtube ou TikTok – et améliorés, dans l’intérêt des labels mais aussi des artistes, pour lesquels un principe de rémunération équitable et décente doit être ardemment défendu.

 

 


Apparition des « home studios » et autoproductions

Parallèlement aux évolutions décrites ci-dessus, un autre phénomène a transformé l’industrie musicale de manière profonde et durable.

Depuis le début des années 2000, l’apparition et le développement de logiciels très performants (dont Pro Tools d’Avid Technology, ou Garageband, lancé par Apple en 2004) et la démocratisation des synthétiseurs ont permis à toute une jeune génération de créer de la musique de manière professionnelle, depuis chez soi et à un coût raisonnable.

Cette révolution va de pair avec le développement considérable de la musique électronique – avec, entre autres, des groupes français de la French Touch avec des groupes emblématiques tels que Air, Daft Punk, Etienne de Crécy, Cassius, Phœnix et d’autres…– et du rap.

De plus, l’apparition d’outils et de réseaux sociaux tels que Myspace, puis Soundcloud et Facebook ou Instagram, doublés des nouveaux acteurs de la distribution digitale, a conduit là encore à une révolution structurelle. Très vite, la jeune génération a compris qu’elle pouvait autoproduire sa musique et la faire connaître sans passer par les labels, et ce s’agissant en particulier de la musique électro et rap, rebaptisée « musique urbaine » à des fins commerciales et dans un souci de politiquement correct. D’un point de vue juridique, cette génération a ainsi été amenée à structurer son activité en créant ses propres sociétés de production et parfois d’édition musicale. En effet, cette nouvelle scène a compris l’immense avantage d’être propriétaire de ses enregistrements (ou bandes masters). On a également vu apparaître de nouveaux métiers avec, pour le rap, l’apparition des « beatmakers », qui vendent leurs productions, ou des « topliners ».

Ce nouveau paysage musical a profondément modifié la pratique juridique des labels et maisons de disques traditionnelles. Le temps des grands directeurs artistiques emblématiques et la prise de risques de développement de carrière (que ce soit en rock ou en variété) en signant les artistes et en pariant sur leur carrière dès le départ semblent révolus.

Cet ancien modèle avec ses figures hautes en couleur (telles qu’en France Eddy Barclay ou plus récemment Pascal Nègre) a été remplacé par une approche souvent plus mathématique qu’artistique. Ainsi, le nombre de followers ou de likes des artistes sur leurs pages est souvent un facteur déterminant de prise de décision des majors.

 

 


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