Article précédent

L’industrie musicale a
été le théâtre de rapides, profondes et constantes mutations depuis une
vingtaine d’années. Les évolutions technologiques et les usages ont conduit
l’industrie musicale à se réinventer, et les bases contractuelles sont le
reflet de ces nombreuses transformations.
On ne
peut faire l’économie d’un rappel des transformations de l’industrie musicale
si l’on veut appréhender le paysage contractuel actuel, qui en est la
résultante.
Les années 2000 ont été le champ
d’une transformation accélérée des technologies et des usages de consommation
de la musique. La dématérialisation a totalement bouleversé l’industrie
musicale.
Pour mémoire, l’industrie musicale
avait auparavant traversé un certain nombre de révolutions : le vinyle
avait été remplacé par les cassettes audio, puis par les CDs.
Avec le téléchargement (légal ou
illégal) et la
dématérialisation des supports, la première décennie des années au cours de
2000, a constitué un énorme défi pour les maisons de disques, lesquelles ont vu
les ventes de disques chuter de manière vertigineuse et ont été confrontées à
un besoin urgent de se réinventer.
En effet, l’avènement du MP3 et de
plateformes comme Itunes d’Apple (avec l’Ipod), ou pire, les plateformes de
téléchargement illégal, telles que Napster, ont eu des conséquences
désastreuses pour les labels (et les artistes).
Il a souvent été reproché aux majors
(Universal, Sony, Warner et à l’époque Virgin et BMG) de cette industrie
ultra-concentrée d’avoir manqué d’agilité et de ne pas avoir su répondre aux défis technologiques
– par exemple par la création de ses
propres outils et/ou de ses propres plateformes
–, alors que la chute vertigineuse et extrêmement rapide de la vente de
CDs a provoqué des pertes colossales pour elles et les artistes pendant près
d’une décennie.
De nombreux labels indépendants n’ont
d’ailleurs pas tenu le choc de cette évolution et ont dû mettre la clé sous la
porte.
De nouveaux acteurs sont alors
apparus, chamboulant la cartographie de l’industrie musicale, comme en France,
Believe, qui s’est spécialisée dans la distribution digitale et est devenue un
des leaders mondiaux dans le domaine (avec une croissance très soutenue et une
entrée en bourse), IDOL (distributeur digital de moindre taille, mais connoté
comme étant plus pointu, indé et faisant du « sur-mesure ») ou des
labels comme PlayTwo (détenu en partie par le groupe TF1 et ayant un
partenariat fort avec Believe) ou Because Music (créée par Emmanuel de Buretel
et ayant également la réputation d’avoir une forte exigence artistique).
Depuis les années 2010, l’avènement
du streaming a constitué le second tsunami auquel les labels ont été
confrontés.
Cette dématérialisation poussée à l’extrême (fin du
téléchargement remplacé par l’écoute par abonnement) a laissé les majors
d’autant plus dubitatives que dans un premier temps, les plateformes
principales (la suédoise Spotify ou la française Deezer, laquelle fusionne avec
I2PO, et prépare son entrée en bourse) ont promu leurs services en proposant
des abonnements gratuits dits « en freemium » interrompus par la publicité, alternativement aux abonnements payants depuis
devenus la norme.
Quoi qu’il en soit, il est généralement considéré que les
accords de mise à disposition de catalogues conclus dans ces années-là entre
les majors – qui ne croyaient que peu en la pérennité du streaming et de son
modèle – et les plateformes ont été extrêmement désavantageux pour les maisons de
disques, et à plus forte raison pour les artistes, créant un précédent
difficile à renverser.
L’équivalence streaming dans les contrats, qui établit le
nombre de streams équivalent à un exemplaire physique vendu, est demeurée la
même dans les contrats depuis des années, 1 500 streams par
abonnement payant équivaut à un exemplaire vendu en physique comme base de
rémunération des artistes.
Le volume des streams a largement augmenté ces dernières
années, rendant l’équation un peu moins défavorable pour les artistes. Il n’en
demeure pas moins que de manière unanime, les artistes considèrent que ce
modèle leur est extrêmement désavantageux et que leurs revenus ont
drastiquement chuté.
En parallèle, s’agissant des droits d’auteur des
auteurs-compositeurs et éditeurs musicaux, la Sacem, par des efforts de
négociation soutenus et des investissements conséquents dans des logiciels et
autres outils informatiques, est parvenue, surtout depuis 24 mois, à largement
améliorer la rémunération de ses membres (auteurs-compositeurs et éditeurs
musicaux) s’agissant des revenus (droits d’auteur) issus du streaming.
Parmi les autres évolutions récentes, on peut constater
l’importance de YouTube (Google), devenu l’acteur principal de la diffusion des
vidéoclips, et de TikTok, devenu un enjeu incontournable de l’industrie
principalement concernant la jeune génération. Autant de nouveaux canaux de
distribution dont les modes de rémunération doivent être constamment repensés,
négociés – ce qui n’est pas aisé compte tenu des situations
quasi-monopolistiques de Youtube ou TikTok – et améliorés, dans l’intérêt des
labels mais aussi des artistes, pour lesquels un principe de rémunération
équitable et décente doit être ardemment défendu.
Apparition des « home
studios » et autoproductions
Parallèlement
aux évolutions décrites ci-dessus, un autre phénomène a transformé l’industrie
musicale de manière profonde et durable.
Depuis
le début des années 2000, l’apparition et le développement de logiciels très
performants (dont Pro Tools d’Avid Technology, ou Garageband, lancé par Apple
en 2004) et la démocratisation des synthétiseurs ont permis à toute une jeune
génération de créer de la musique de manière professionnelle, depuis chez soi
et à un coût raisonnable.
Cette
révolution va de pair avec le développement considérable de la musique
électronique – avec, entre autres, des groupes français de la French Touch avec
des groupes emblématiques tels que Air, Daft Punk, Etienne de Crécy, Cassius,
Phœnix et d’autres…– et du rap.
De
plus, l’apparition d’outils et de réseaux sociaux tels que Myspace, puis
Soundcloud et Facebook ou Instagram, doublés des nouveaux acteurs de la
distribution digitale, a conduit là encore à une révolution structurelle. Très
vite, la jeune génération a compris qu’elle pouvait autoproduire sa musique et
la faire connaître sans passer par les labels, et ce s’agissant en particulier
de la musique électro et rap, rebaptisée « musique urbaine » à des
fins commerciales et dans un souci de politiquement correct. D’un point de vue
juridique, cette génération a ainsi été amenée à structurer son
activité en créant
ses propres sociétés
de production et parfois d’édition
musicale. En effet, cette
nouvelle scène a compris l’immense avantage d’être propriétaire de ses
enregistrements (ou bandes masters). On a également vu apparaître de nouveaux
métiers avec, pour le rap, l’apparition des « beatmakers », qui
vendent leurs productions, ou des « topliners ».
Ce
nouveau paysage musical a profondément modifié la pratique juridique des labels
et maisons de disques traditionnelles. Le temps des grands directeurs
artistiques emblématiques et la prise de risques de développement de carrière
(que ce soit en rock ou en variété) en signant les artistes et en pariant sur
leur carrière dès le départ semblent révolus.
Cet
ancien modèle avec ses figures hautes en couleur (telles qu’en France Eddy
Barclay ou plus récemment Pascal Nègre) a été remplacé par une approche souvent
plus mathématique qu’artistique. Ainsi, le nombre de followers ou de likes des
artistes sur leurs pages est souvent un facteur déterminant de prise de
décision des majors.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *