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L’amendement adopté, salué par la profession,
reconnaît un legal privilege à la française. Dans sa version
finale, le texte revêt « une approche par le document » qui
« évite l’écueil de la création d’une nouvelle profession du droit et
permet, par l’encadrement du dispositif, de répondre à la crainte de voir se
créer d’éventuelles boites noires au sein des entreprises », a assuré
le ministre de la Justice lors des débats au sein de l’hémicycle.
Victoire pour les juristes
d’entreprise ! Après de longues années de débats, l’Assemblée
nationale a adopté hier – avec 78 voix pour et 31
contre – l’amendement reconnaissant le principe de la confidentialité des
consultations des juristes d’entreprise, qui sont plus de 20 000 en
France.
L’Association française des juristes d’entreprise
(AFJE), le Cercle Montesquieu et l'Association nationale des juristes de banque
(ANJB) ont à ce titre partagé leur enthousiasme dans un communiqué, assurant
que cette nouvelle mesure permettra « aux entreprises de passer dans
une nouvelle ère. (…) [Celles-ci] seront, à compter de
l’entrée en vigueur de la loi, mieux protégées dans le cadre de la compétition
économique mondiale, les programmes de conformité pourront être mis en place
dans l’intérêt général sans risque d’auto incrimination de l’entreprise.
L’attractivité de la place de droit française en sera substantiellement
renforcée », se réjouissent-ils, mettant en avant « un grand
progrès pour l’État de droit, pour l’intérêt général et la prévention des
infractions et de la fraude dans notre pays et en Europe ; une affirmation de
la souveraineté économique par le droit ».
Un principe général de protection in rem
Depuis le 10 juillet, l'Assemblée poursuit en
effet l'examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère
de la Justice 2023-2027. La disposition concernant le legal privilege à
la française, faisant l’objet d’une demande soutenue de la part des
associations des juristes d’entreprise, avait été adoptée au Sénat courant
juin.
La version finale adoptée, qui intègre plusieurs amendements, introduit un article 58-1 dans la loi n°
71-1130 du 31 décembre 1971. Ce dernier prévoit la reconnaissance de la
confidentialité des avis et consultations juridiques internes uniquement dans
le cadre de procédures ou litiges en matière civile, commerciale ou
administrative. Sont donc exclues les matières pénale et fiscale. Elle pose
particulièrement un principe général de protection in rem : « les
consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande
et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au
profit de son employeur sont confidentielles ».
En outre, afin d’être couvertes par le sceau de
la confidentialité, les consultations juridiques sont conditionnées : le
juriste d'entreprise doit être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme
équivalent français ou étranger, et il doit justifier du suivi de formations
initiale et continue en déontologie.
Par ailleurs, les consultations concernées
doivent porter la mention « confidentiel – consultation juridique
juriste d’entreprise », et le texte prévoit des sanctions : est ainsi puni de
trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait d’apposer
frauduleusement cette mention. Il précise toutefois que la confidentialité peut
être contestée par un juge ou levée par l’entreprise qui emploie le juriste,
selon une procédure qu’il prévoit, et que l’entreprise doit être assistée ou
représentée par un avocat dans ce cadre.
Des craintes quant à l’existence d’un cavalier
législatif
Durant les débats du 10 juillet, plusieurs
députés n’ont toutefois pas manqué de rappeler leur opposition à ce legal
privilege, dans un hémicycle sous tension. Selon Cécile Untermaier,
députée PS de la 4e circonscription de Saône-et-Loire, le périmètre de cette
confidentialité et du dispositif de levée qui lui est associé seraient « porteurs
d’incertitudes juridiques, de nature à nuire aux intérêts de l’entreprise et à
complexifier leurs droits et l’œuvre de justice ». La députée a
également dénoncé un cavalier législatif n’ayant « aucun lien
direct ou indirect avec le texte ».
De son côté, le député LR de la 1re
circonscription du Territoire de Belfort, Ian Boucard, a pointé la création
d’une nouvelle profession réglementée et « l’affaiblissement du secret
professionnel des avocats au préjudice des entreprises et des particuliers ».
Autre critique formulée : le legal
privilege à la française servirait le « puissant lobbying »
qui sévit dans sphère publique et politique, « serpent de mer des
grandes entreprises de conseil qui cherchent à se couvrir et protéger leurs
grands clients », s’est emportée Andrée Taurinya, députée LFI de la 2e
circonscription de la Loire. « Aménager le concept de legal privilege dans
le droit français, c’est renforcer la zone de secret qui est le secret des
affaires, et non un secret d’intérêt général » a fustigé, en écho,
Raquel Garrido. La députée LFI de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis a
également tenu à souligner que si le secret entre le justiciable et l’avocat
est toléré, c’est en raison de l’indépendance de l’avocat qui, dans son
serment, « ne peut pas se trouver dans un lien de subordination,
contrairement au juriste d’entreprise ».
Vers la fin de l’auto-incrimination et la fuite
des entreprises à l’étranger
Des accusations qui n’ont pas ébranlé la
conviction des partisans de cette confidentialité au sein de l’hémicycle. Le
rapporteur Jean Terlier a ainsi évoqué un dispositif « dans l’air du
temps, qui va dans le sens de défendre la souveraineté des entreprises
françaises », lesquelles sont aujourd’hui considérées, sur la scène
internationale, comme des « pestiférées », a-t-il considéré.
Le député Renaissance de la 3e circonscription du Tarn l’a martelé : le legal privilege à la française « n’est pas une prise de guerre des juristes d’entreprise sur le secret de l’avocat », mais doit permettre de circonscrire la confidentialité des consultations réalisées en interne par des juristes d’entreprise au profit de leurs dirigeants. L’objectif est de mettre fin, a-t-il précisé, au phénomène d’auto-incrimination. En effet, « aujourd’hui, quand les entreprises sont contrôlées, on peut se servir des analyses et consultations juridiques faites par les juristes d’entreprise contre les sociétés elles-mêmes. Un juriste qui, au cours de sa consultation, met en garde sa direction contre tel contrat ou sur la validité de telle obligation peut voir, si le document est saisi, son entreprise sanctionnée sur ce chef-là ».
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