L’Assemblée nationale adopte (enfin) la confidentialité des avis des juristes d’entreprise


mardi 11 juillet 20234 min
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L’amendement adopté, salué par la profession, reconnaît un legal privilege à la française. Dans sa version finale, le texte revêt « une approche par le document » qui « évite l’écueil de la création d’une nouvelle profession du droit et permet, par l’encadrement du dispositif, de répondre à la crainte de voir se créer d’éventuelles boites noires au sein des entreprises », a assuré le ministre de la Justice lors des débats au sein de l’hémicycle.

Victoire pour les juristes d’entreprise ! Après de longues années de débats, l’Assemblée nationale a adopté hier – avec 78 voix pour et 31 contre – l’amendement reconnaissant le principe de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, qui sont plus de 20 000 en France.

L’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), le Cercle Montesquieu et l'Association nationale des juristes de banque (ANJB) ont à ce titre partagé leur enthousiasme dans un communiqué, assurant que cette nouvelle mesure permettra « aux entreprises de passer dans une nouvelle ère. (…) [Celles-ci] seront, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, mieux protégées dans le cadre de la compétition économique mondiale, les programmes de conformité pourront être mis en place dans l’intérêt général sans risque d’auto incrimination de l’entreprise. L’attractivité de la place de droit française en sera substantiellement renforcée », se réjouissent-ils, mettant en avant « un grand progrès pour l’État de droit, pour l’intérêt général et la prévention des infractions et de la fraude dans notre pays et en Europe ; une affirmation de la souveraineté économique par le droit ».

Un principe général de protection in rem

Depuis le 10 juillet, l'Assemblée poursuit en effet l'examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027. La disposition concernant le legal privilege à la française, faisant l’objet d’une demande soutenue de la part des associations des juristes d’entreprise, avait été adoptée au Sénat courant juin.

La version finale adoptée, qui intègre plusieurs amendements, introduit un article 58-1 dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Ce dernier prévoit la reconnaissance de la confidentialité des avis et consultations juridiques internes uniquement dans le cadre de procédures ou litiges en matière civile, commerciale ou administrative. Sont donc exclues les matières pénale et fiscale. Elle pose particulièrement un principe général de protection in rem : « les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur sont confidentielles ».

En outre, afin d’être couvertes par le sceau de la confidentialité, les consultations juridiques sont conditionnées : le juriste d'entreprise doit être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger, et il doit justifier du suivi de formations initiale et continue en déontologie.

Par ailleurs, les consultations concernées doivent porter la mention « confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise », et le texte prévoit des sanctions : est ainsi puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait d’apposer frauduleusement cette mention. Il précise toutefois que la confidentialité peut être contestée par un juge ou levée par l’entreprise qui emploie le juriste, selon une procédure qu’il prévoit, et que l’entreprise doit être assistée ou représentée par un avocat dans ce cadre.

Des craintes quant à l’existence d’un cavalier législatif

Durant les débats du 10 juillet, plusieurs députés n’ont toutefois pas manqué de rappeler leur opposition à ce legal privilege, dans un hémicycle sous tension. Selon Cécile Untermaier, députée PS de la 4e circonscription de Saône-et-Loire, le périmètre de cette confidentialité et du dispositif de levée qui lui est associé seraient « porteurs d’incertitudes juridiques, de nature à nuire aux intérêts de l’entreprise et à complexifier leurs droits et l’œuvre de justice ». La députée a également dénoncé un cavalier législatif n’ayant « aucun lien direct ou indirect avec le texte ».

De son côté, le député LR de la 1re circonscription du Territoire de Belfort, Ian Boucard, a pointé la création d’une nouvelle profession réglementée et « l’affaiblissement du secret professionnel des avocats au préjudice des entreprises et des particuliers ».

Autre critique formulée : le legal privilege à la française servirait le « puissant lobbying » qui sévit dans sphère publique et politique, « serpent de mer des grandes entreprises de conseil qui cherchent à se couvrir et protéger leurs grands clients », s’est emportée Andrée Taurinya, députée LFI de la 2e circonscription de la Loire. « Aménager le concept de legal privilege dans le droit français, c’est renforcer la zone de secret qui est le secret des affaires, et non un secret d’intérêt général » a fustigé, en écho, Raquel Garrido. La députée LFI de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis a également tenu à souligner que si le secret entre le justiciable et l’avocat est toléré, c’est en raison de l’indépendance de l’avocat qui, dans son serment, « ne peut pas se trouver dans un lien de subordination, contrairement au juriste d’entreprise ».

Vers la fin de l’auto-incrimination et la fuite des entreprises à l’étranger

Des accusations qui n’ont pas ébranlé la conviction des partisans de cette confidentialité au sein de l’hémicycle. Le rapporteur Jean Terlier a ainsi évoqué un dispositif « dans l’air du temps, qui va dans le sens de défendre la souveraineté des entreprises françaises », lesquelles sont aujourd’hui considérées, sur la scène internationale, comme des « pestiférées », a-t-il considéré.

Le député Renaissance de la 3e circonscription du Tarn l’a martelé : le legal privilege à la française « n’est pas une prise de guerre des juristes d’entreprise sur le secret de l’avocat », mais doit permettre de circonscrire la confidentialité des consultations réalisées en interne par des juristes d’entreprise au profit de leurs dirigeants. L’objectif est de mettre fin, a-t-il précisé, au phénomène d’auto-incrimination. En effet, « aujourd’hui, quand les entreprises sont contrôlées, on peut se servir des analyses et consultations juridiques faites par les juristes d’entreprise contre les sociétés elles-mêmes. Un juriste qui, au cours de sa consultation, met en garde sa direction contre tel contrat ou sur la validité de telle obligation peut voir, si le document est saisi, son entreprise sanctionnée sur ce chef-là ».

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