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Une enquête récente révèle une prise en charge très hétérogène et discriminante malgré un certain nombre de progrès. Le Défenseur des droits, qui pointe des « défaillances persistantes », recommande de renforcer la formation des agents.
Ce sont les résultats
contrastés d’une étude
sur l’accueil du public au sein des commissariats de police et des brigades de
gendarmerie que le Défenseur des droits a publiés, lundi 4 mars.
Menée pendant deux ans par un
groupe de chercheurs en sociologie et science politique, cette enquête met en exergue
des « défaillances persistantes » et une professionnalisation
de l’accueil du public « qui demeure insuffisante », malgré
un certain nombre de progrès accomplis, résume Claire Hédon.
En 2023, 75 % des répondants
déclaraient s’être rendus au moins une fois dans un commissariat de police au
cours de leur vie, et 64 % dans une brigade de gendarmerie, pour des dépôts de
plainte et des mains courantes dans la majorité des cas, mais aussi pour des raisons
administratives et des demandes de renseignement dans une part non négligeable.
Un accueil nettement
professionnalisé…
Pourtant, l’étude le
démontre, la qualité de l’accueil au sein de ces services a fait l’objet « d’une
professionnalisation » depuis les années 2000. Une avancée qui se
traduit notamment par l’adoption de chartes d’accueil - la « Charte Marianne »
en 2004, puis, en 2016, celle « de l’accueil du public et des victimes » -, la
numérisation partielle des dépôts de plaintes, la mise en place de « référents
» (police-population, violences intrafamiliales ou encore LGBTQI+) et le
déploiement de brigades spécialisées, à l’instar des brigades de protection des
familles.
L’investissement « le
plus spectaculaire », observent les chercheurs, résiderait dans la
prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles et de violences
intrafamiliales via la présence d’agents « experts de mécanismes VIF », la
création de la plateforme numérique de signalement des atteintes aux personnes
et d’accompagnement des victimes (« PNAV »), et des formations
initiales et continues spécifiques pour les policiers et gendarmes organisées
par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les
violences.
Et cela porte ses fruits.
Ainsi, dans un commissariat de région parisienne (la ville n’est pas spécifiée)
présenté comme un « commissariat modèle », les plaintes qui concernent des
violences de genre sont particulièrement prises au sérieux : « distribution
de violentomètres à l’accueil, affiches de prévention des violences conjugales
et des violences envers les enfants, et Tableau d’accueil-confidentialité à
l’entrée », énumèrent les rédacteurs de l’enquête.
Les efforts portent aussi sur
la sollicitation, par les services de police et de gendarmerie, d’intervenants
sociaux et de psychologues. Par exemple, le commissariat d’une ville de l’Est
de la France (là encore anonymisée), dispose depuis 2021 d’un pôle psychosocial
composé de deux assistantes sociales et d’une psychologue « vers
lesquelles sont systématiquement orientées les victimes de VIF ». Objectif :
analyser la vulnérabilité de la victime et le niveau de dangerosité de sa
situation, afin de mieux la diriger vers les structures et professionnels
adaptés.
A noter également que l’accueil
des publics, évalué localement de façon « plus ou moins sophistiquée »
par les chefs de service, fait l’objet de contrôles conduits par le département
de l’audit interne de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). Depuis
les années 2000, cette unité réalise une centaine de contrôles inopinés par an
au sein des commissariats, et met notamment l’accent sur la prise en charge des
violences conjugales depuis quelques années. Un dispositif semblable est
déployé par l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale).
… mais des disparités selon
les territoires et les services
Alors, où est-ce que cela
coince ? S’il y a bel et bien du mieux dans certains lieux d’accueil, l’accès
aux commissariats et gendarmeries s’avère d’inégale qualité selon les
territoires et les structures concernés, relèvent les chercheurs.
Les services doivent en effet
souvent « composer avec des ressources matérielles et humaines limitées,
une charge de travail importante qui pèse sur les effectifs, des locaux
inadaptés », est-il rapporté. Sans surprise, « entre un grand
commissariat neuf d’un important centre urbain, bien doté en effectifs et en
moyens, et une petite brigade de gendarmerie en milieu rural, en passant par
les Outre-mer, la réponse apportée à une même situation peut varier fortement ».
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L’étude évoque en outre la réduction
« drastique » des postes de police et de gendarmerie sur le
territoire, depuis la révision générale des politiques publiques de 2007. De
fait, bien que le service public policier soit « l’un des très rares à
avoir maintenu un accueil physique et humain ou même par téléphone 24 heures
sur 24 et 7 jours sur 7 », en pratique, les moyens humains alloués à
l’accueil de nuit ou du dimanche sont « bien moins importants ».
Mais les chercheurs mettent
aussi le doigt sur un autre aspect : la dévalorisation de la mission d’accueil
du public par les agents eux-mêmes. Preuve en est : le plus souvent, cette
dernière est assurée par des fonctionnaires « du bas de l’échelle
hiérarchique », gardiens de la paix policiers adjoints sous la
supervision de gradés, voire agents administratifs. « Dans certaines
localités, [c]es postes constituent même un « placard », une
affectation-sanction, tandis que dans d’autres, ces tâches sont confiées
directement aux jeunes gardiens de la paix en sortie d’école ».
Une relégation d’autant
plus marquée que la formation des policiers et des gendarmes laisse de moins en
moins de place au volet « accueil ». En témoigne par exemple la forte
diminution du nombre d’heures de simulation, note l’étude, qui ajoute que le programme
de formation « véhicule une conception des compétences professionnelles
liées à l’accueil des publics comme ne nécessitant pas d’apprentissages
pratiques spécifiques parce qu’elles relèveraient du « bon sens » naturel du
fonctionnaire ». Pourtant, pointe-t-elle, « l’accueil des
publics suppose des compétences spécifiques dont l’acquisition se heurte au
temps limité consacré aux formations policières ainsi qu’à la prégnance de
stéréotypes en circulation dans les univers policiers ».
Désajustement entre réponse
judiciaire et demande sociale
Malgré tout, l’accueil
généraliste « se traduit, la plupart du temps, par des rapports
distanciés et apaisés avec les forces de l’ordre, parfois marqués par des
critiques mais de faible intensité », analysent les chercheurs. Les
agents qui enregistrent les plaintes seraient même jugés « plutôt
positivement » par les répondants, bien que le Défenseur des droits ait
reçu plus de 250 réclamations en 2023 (contre une centaine en 2013) concernant
des refus de prises de plaintes.
L’insatisfaction se situerait
en réalité plutôt du côté des suites - ou, le plus souvent, de l’absence de
suite - de la plainte, mais aussi du manque de professionnalisme : « Une
attente trop longue, un contact jugé désagréable, un refus de service, un
défaut d’information, des locaux dégradés ou encore un manque de
confidentialité. »
L’étude traduit surtout un « désajustement »
entre, d’un côté, une focalisation des agents sur l’intervention et la réponse
judiciaire, et, de l’autre, « une demande sociale qui excède bien
souvent cette dernière » : « En effet, et contrairement à
l’idée selon laquelle les policiers ne seraient pas là pour ‘faire du social’,
une part importante des attentes formulées par les publics se situe hors
judiciarisation au sens strict ».
Plus précisément, le
plus important, pour le public, « réside dans la qualité du contact,
l’écoute, la compréhension du problème, le respect, la rapidité d’intervention
et la faculté de rassurer face à une situation traumatisante, mais aussi
l’information sur les suites de l’affaire ».
A l’accueil téléphonique du
17, « bon nombre des requérants » précisent d’eux-mêmes qu’ils
n’appellent pas pour une urgence mais pour des renseignements sur une démarche
administrative ou une procédure en cours.
Pas tous logés à la même
enseigne selon le profil
Si l’accueil réservé au
public n’est donc pas toujours en adéquation avec les attentes de ce dernier, au-delà,
l’étude révèle de nettes différences de traitement en fonction des profils
reçus au sein des gendarmeries et des commissariats, de façon voulue comme de
façon subie.
Ainsi, dans les commissariats,
« certains requérants parviennent, en raison de leur statut social ou
de leur profession, à éviter l’attente, à contourner les agents de première
ligne et en s’adressant directement à la hiérarchie policière pour assurer un
traitement rapide de leurs requêtes. Pour ces « clients VIP », il s’agit
avant tout d’influencer discrètement l’action des forces de l’ordre ».
Autre exemple dans le même
sens, « les proximités entre les requérants aisés et la police se
tissent également à travers des mobilisations sécuritaires », comme celles
des collectifs de « Voisins vigilants » dans les « beaux quartiers ». « Cependant,
les relations peuvent également être marquées par des tensions, notamment
lorsque les requérants aisés manifestent du mépris de classe envers les policiers
par le biais de jugements portés sur les convenances de politesse et sur la
maîtrise de l’écrit », constatent les chercheurs.
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A l’inverse, certains publics
précaires et marginalisés vont généralement rencontrer des obstacles dans leur
parcours. C’est notamment le cas des mineurs étrangers non accompagnés, qui cherchent
auprès de la police l’application des règles de la protection de l’enfance, par
exemple un placement en foyer pour la nuit, « mais qui se heurtent à de
nombreux manquements : refus de solliciter un traducteur ou de contacter les
foyers de la protection de l’enfance ainsi que le procureur et, plus
généralement, attitudes hostiles des policiers ». Sur 506
présentations d’un mineur dans différents commissariats parisiens entre janvier
2021 et août 2024, 109 se sont soldées par un refus de prise en charge.
« À l’opposé de la
figure légitime de la victime, ces publics se sentent perçus avant tout comme
des suspects par les forces de l’ordre », remarquent les chercheurs,
qui s’appuient sur d’autres constats. En matière de violences faites aux femmes
et aux enfants au sein des communautés Roms, par exemple, « la police
n’interviendrait que rarement, quand bien même des plaintes ou des signalements
auraient été déposés ».
Idem pour les femmes
étrangères en situation irrégulière victimes de violences conjugales, dont le
titre de séjour peut dépendre du statut du conjoint violent, facilement placées
en rétention ou expulsées. « Plus encore, plusieurs acteurs associatifs
s’accordent à souligner que les refus de prise de plaintes ou le déclassement
des plaintes en mains courantes sont particulièrement fréquents dans les
centres de rétention administrative », peut-on lire dans l’étude parue
début mars.
Pour les femmes victimes de
violences, cela pèche toujours
Plus largement, les
chercheurs relèvent des « obstacles persistants » dans
l’accueil et la prise en charge des femmes victimes de violences sexistes et
sexuelles quelle que soit leur origine. Ils signalent : « Bien que
cette thématique soit une priorité gouvernementale et ait fait l’objet d’une
attention hiérarchique et de progrès notables, les ressources et les moyens
alloués pour une prise en charge adaptée restent limités. »
Résultat, « le manque
de formation conduit à la persistance de stéréotypes sexistes, tandis que le
manque de moyens et de ressources humaines, pour traiter aussi bien les
plaintes que le stock des procédures, incite les agents à hiérarchiser et à
mettre en concurrence les victimes, selon un degré perçu de mise en danger,
avec le risque de commettre de dramatiques erreurs d’appréciation ».
Par ailleurs, généralement absorbés
par « la finalité de l’action policière », soit la qualification
d’une infraction, les agents peuvent sous-estimer certains types de violences -
comme l’emprise, relation de domination et d’instrumentalisation d’une personne
- « au profit des seuls faits laissant des traces visibles, mesurables
et attestables par des certificats médicaux », est-il affirmé.
Pour toutes ces raisons, les
femmes mettraient parfois en place des « stratégies afin de
se conformer à l’image de la ‘bonne victime’ », pour mieux anticiper les
réactions et les attentes de ces derniers. Par exemple, en se présentant très
tôt auprès du commissariat ou en constituant leur dossier pour accélérer la
procédure. Certaines chercheraient également à se protéger en adoptant des
précautions destinées à éviter « des blagues, des commentaires
déplacés, des remarques sexistes et des accusations de se comporter de manière ‘agressive’
».
D’autres en viennent « à
éviter de solliciter les forces de l’ordre, ou à les contourner, par exemple en
écrivant au procureur de la République ou en déposant leur plainte sur la
plateforme en ligne », souligne l’étude. Fin 2021, lancé par l'activiste
et influenceuse féministe Anna Toumazoff, le hashtag « #DoublePeine », qui dénonçait
le mauvais accueil dans les commissariats des victimes d’agressions sexuelles, avait
recueilli plusieurs centaines de témoignages.
Pour la Défenseure des
droits, « des efforts supplémentaires sont nécessaires »
pour garantir un accès « équitable et de qualité ». Claire
Hédon recommande donc de renforcer la formation initiale et continue des agents
à la prise en charge des publics, notamment les plus vulnérables, et à
valoriser cette mission. Elle préconise en outre la mise en place des moyens
matériels et humains, et le développement de dispositifs d'évaluation et de
suivi pour une meilleure homogénéité sur l'ensemble du territoire.
Bérengère
Margaritelli
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