L’image des biens, une jurisprudence désormais établie


vendredi 1 novembre 20194 min
Écouter l'article

Une jurisprudence évolutive, qui commence au café


La jurisprudence de la Cour de cassation, dans les 40 dernières années, a évolué. Les tergiversations de la Cour suprême montrent que le sujet n’était peut-être pas aussi simple qu’il en avait l’air. Tous les auteurs, commentateurs et chroniqueurs, retiennent la trilogie des arrêts Café Gondrée, Roch Aron et Hôtel de Girancourt pour l’illustrer.


 


L’arrêt « Café Gondrée »


Les faits


Le Café Gondrée, situé à Bénouville près de Pegasus Bridge, occupé par des Résistants, est l’un des premiers bâtiments libérés par les Alliés le 6 juin 1944. Dans les années 90, un photographe professionnel fait un cliché de cet édifice et le commercialise sous forme de cartes postales éditées par les Éditions Dubray, sans l’autorisation du propriétaire des lieux. Ce dernier l’assigne en justice, mais la cour d’appel de Caen le déboute, retenant « que la photographie, prise sans l’autorisation du propriétaire, d’un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ».


 


La décision


La Cour de cassation, le 10 mars 1999 (pourvoi 96-18699), casse cet arrêt, au motif que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».


 


L’arrêt « Roch Arhon »


Les faits


Sur l’îlot breton du Roc’h ar Hon, planté dans l’estuaire du Trieux, non loin de l’île de Bréhat, est implantée une maison d’habitation occupée. Le Comité régional du Tourisme fait réaliser par un professionnel réputé une photo de l’estuaire du Trieux dans son ensemble à des fins de promotion du tourisme en Bretagne. On distingue l’habitation sur ce cliché. Le propriétaire de la maison s’oppose à l’utilisation de l’image de son bien. Le tribunal de Guingamp considère que cette attitude de refus est constitutive d’un abus de droit et porte atteinte aux droits moraux et patrimoniaux du photographe. La décision est confirmée en appel.


 


La décision


Dans son arrêt du 2 mai 2001 (pourvoi 99-10709), la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au motif qu’il lui aurait fallu « préciser en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage ou de jouissance du propriétaire ».


 


L’arrêt « Hôtel de Girancourt »


Les faits


Un promoteur immobilier de Rouen édite une plaquette publicitaire promouvant une résidence qu’il construit, en y insérant une photo d’un immeuble historique de la capitale haut-normande, l’Hôtel de Girancourt, construit en 1630. Le propriétaire de ce monument historique demande la réparation du préjudice qu’il subit du fait de l’utilisation de l’image de son bien mais est débouté.


 


La décision


Dans son arrêt du 7 mai 2004 (pourvoi 02-10450), la Cour de cassation, en assemblée plénière, rejetant le pourvoi, grave dans le marbre sa nouvelle jurisprudence : « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal ». Tout est dit ! On ne peut faire plus simple.


 


La théorie de l’accessoire, grâce à un créateur de colonnes


L’auteur d’une œuvre originale dispose d’un monopole sur l’image de son œuvre. Il en va ainsi d’un immeuble ou d’un objet. Photographier un immeuble original résultant d’un projet architectural récent est interdit sans l’autorisation du créateur du projet. Et reproduire un tableau, une photo d’artiste, un bijou… lors d’un reportage ou dans une brochure n’ayant pas nécessairement un rapport avec cet objet peut parfois se révéler être une contrefaçon.


Une exception importante réside dans la théorie de l’accessoire.


Deux décisions intéressantes en la matière sont l’arrêt « Place des Terreaux » de 2005 et l’arrêt relatif au film Avoir et être.


 


L’arrêt « Place des Terreaux »


Les faits


En 1994, la Ville de Lyon confie à deux artistes, le soin d’aménager un nouveau décor sur la place lyonnaise des Terreaux (illustration).


Par la suite, plusieurs éditeurs de cartes postales éditent des cartes montrant cette place. Les deux artistes, estimant avoir un droit exclusif sur l’image de leur œuvre indépendamment de son incorporation dans une place ancienne nouvellement aménagée, reprochent aux éditeurs de publier sans leur autorisation et de ne pas mentionner leur nom sur ces cartes. Ils les assignent. Le tribunal puis la cour de Lyon les déboutent. Ils se pourvoient.


 


La décision


Dans son arrêt du 15 mars 2005 (pourvoi 03-14820), la Cour de cassation rejette le pourvoi des artistes.


L’argument retenu est d’une grande simplicité : l’œuvre des deux artistes se fond dans l’ensemble architectural de la Place des Terreaux dont elle constitue un simple élément ; la présentation de cette œuvre (sur les cartes postales) est accessoire au sujet traité, qui est la représentation de la place dans son ensemble (on y voit l’hôtel de ville, le musée…) ; les cartes postales ne réalisent pas en elles-mêmes la seule communication de l’œuvre des deux artistes au public.


 

Partager l'article

THÉMATIQUES ASSOCIÉES


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.