Justice

La lutte contre la criminalité environnementale en passe de prendre du galon


mardi 17 septembre 20246 min
Écouter l'article
17/09/2024 14:05:25 1 10 5330 23 0 5392 4796 4970 INTERVIEW. Congrès des notaires : « Les notaires se confrontent quotidiennement aux mutations environnementales »

A quelques jours du 120e Congrès des Notaires qui se tiendra à Bordeaux du 25 au 27 septembre et soumettra au vote une douzaine de propositions élaborées en faveur d’un urbanisme durable, Marie-Hélène Péro, sa présidente, évoque une profession moteur qui entend bien assouplir les contraintes actuelles pesant sur les porteurs de projet.

JSS : Quelle est la responsabilité, le rôle des notaires face aux défis environnementaux actuels ?

Marie-Hélène Péro : Leur quotidien évolue clairement au cœur des mutations actuelles de la société : économiques, démographiques et bien sûr sociétales. Au-delà des arrêts du Conseil d’Etat qui s’orientaient déjà en ce sens, nos confrères font face à une demande urgente de leur clientèle de profiter d’un environnement de vie sain et durable.

Qu’il s’agisse des collectivités ou des particuliers, aucun projet ne peut plus s’envisager sans avoir une connaissance précise de ses impacts sur l’environnement. Construire ou réhabiliter des sites industriels sans se préoccuper de la pollution éventuelle des sols est désormais impossible, tout comme la donation d’un bien potentiellement concerné par le recul du trait de côte se révèle désormais plus complexe à traiter.

Au-delà de la multitude de législations qui viennent s’ajouter à notre droit, le notaire s’engage, dans son rôle de conseil, d’information et d’accompagnement à délivrer à sa clientèle l’accompagnement et l’information nécessaire, de manière à appréhender avec sérénité les risques naturels et environnementaux à venir.

JSS : Le congrès des Notaires sera l’occasion de présenter un rapport qui sera soumis à l’appréciation et au vote des participants…

M-H. P. : Ce rapport intitulé « Vers un urbanisme durable, accompagner les projets aux défis environnementaux » et ses propositions sont le fruit de l’émanation de l’analyse fournie par l’ensemble de l’équipe du 120e congrès. C’est un travail de longue haleine proposant 12 mesures qui seront débattues, reposant sur trois angles, lesquels alimenteront les commissions aux intitulés éponymes : anticiper les défis environnementaux, convaincre les acteurs d’un projet et s’interroger sur la manière dont on les réalise.

Ce rapport de 1000 pages offrira un panel de formats très complet, en suggérant au choix une lecture papier, une lecture facilitée et ergonomique, une lecture par mot clé, et enfin, la possibilité de profiter d’une lecture par questionnement grâce à une IA juridique, qui cite ses sources, en rapportant toujours le nom et la date du rapport à laquelle elle a été établie !

JSS : L’anticipation semble au cœur de la réflexion menée par vos équipes. Est-il possible de connaître les grandes mesures proposées à ce titre, à quelques jours du Congrès ?

M-H. P. : La question de l’anticipation revêt plusieurs facettes, à commencer par la manière dont nous pouvons appréhender au mieux le changement climatique pour minimiser les risques. Sur ce point, nous formulons trois propositions. La première s’attache à la problématique du recul du trait de côte,  l’une des principales conséquences du dérèglement climatique. Cette réalité, jusqu’à présent, n’autorise les propriétaires menacés par l’érosion du littoral à aucun droit ou indemnisation publique. Par principe, tout terrain gagné par la mer devient propriété de l’Etat.

C’est dans ce contexte que nous invoquons la possibilité de création d’un droit de propriété temporaire. On offre ainsi la possibilité à la collectivité de reprendre la main sur ce bien et qu’il soit intégré avec anticipation dans le domaine maritime, de sorte à ce que la propriétaire ne soit pas complétement lésé.


« Nous demandons l’instauration d’un véritable statut de l’arbre dans le Code civil »

- Marie-Hélène Péro, présidente du 120e Congrès des notaires

Notre deuxième proposition plaide pour une gestion plus collective des forêts, soumises notamment aux risques d’incendies estivaux, en n’hésitant pas à mutualiser les compétences des collectivités et des associations, sur le modèle des « biens communs » d’autrefois.

Nos réflexions, d’un point de vue purement environnemental, se sont enfin concentrées sur les arbres. En participant au verdissement des villes, en étant partie intégrante du patrimoine naturel, en luttant contre le réchauffement climatique et en participant au « confort d’été », nous demandons l’instauration d’un véritable statut de l’arbre dans le Code civil, afin de le protéger lui, mais aussi, indirectement, les habitats qui l’entourent.

JSS : La politique relative au ZAN (Zéro Artificialisation Nette), qui fait l’objet de débats animés, occupera une place particulière parmi les sujets traités lors du grand rendez-vous annuel de la profession. S’agit-il de la remettre en question ?  

M-H. P. : Absolument pas. Le ZAN fait partie d’une politique engagée depuis longtemps, via la loi Climat et Résilience de 2021, qui entend réduire de moitié le rythme d’artificialisation des sols jusqu’en 2031 par rapport à la décennie précédente et l’arrêt total de l’artificialisation d’ici 2050. Plus anciennement, la loi SRU (« Solidarité et renouvellement urbain ») inscrivait déjà la maîtrise de l'étalement urbain dans le Code de l'urbanisme.

Nous ressentons néanmoins, tant à l’intérieur de nos offices qu’à l’échelle médiatique, que les mécanismes du ZAN suscitent une grande crispation de la part des collectivités ou des porteurs de projets. C’est pourquoi nous appelons à plus de souplesse le concernant, de sorte à le rendre plus.

La mesure que nous suggérons repose sur la création d’une bourse d’échange des droits à artificialiser. Concrètement, cela pourra donner l’opportunité à des collectivités qui n’ont pas de nécessité à utiliser ces droits à en faire profiter d’autres, à proximité, dans la limite de 20 %. L’idée étant justement de céder ces droits en justifiant d’un intérêt général supérieur pour l’autre collectivité. Ce système de réallocation des droits sera évidemment soumis à des délibérations. Cet exemple illustre parfaitement notre état d’esprit : assouplir les contraintes qui pèsent sur les porteurs de projet et adapter le droit à l’impératif écologique, pour répondre tant aux objectifs de développement du territoire qu’aux ambitions de la transition énergétique.

JSS : L’objectif de 2050 du ZAN passe aussi, selon votre rapport, par la nécessité de « recycler » les villes, à commencer par les « entrées de ville »…

M-H. P. : Il est question ici de remettre en question la politique d’urbanisme des années 70, afin que les entrées de ville correspondent plus aux recherches d’aujourd’hui et aux objectifs des territoires actuels. Je pense typiquement à leur conception centrée sur un principe de mono-fonctionnalité. Nous plaidons donc pour une conversion des entrées de ville commerciales en quartiers mixtes et durables, à vocation multifonctionnelle.

De quelle manière ? En les intégrant aux ORT (Opérations de Revitalisation de Territoire), en favorisant le regroupement ou le découpage de commerces entre eux, dans le respect des exploitations commerciales mais surtout… en incitant les commerçants à participer ! Ici, comme dans l’ensemble des mesures que nous formulons, nous insistons sur l’importance de passer d’un urbanisme de la construction à un urbanisme de la transformation.

JSS : Dans quel état d’esprit engagez-vous ce congrès ?

M-H. P. : Conquérant, avec l’objectif de convaincre définitivement nos confrères et consœurs de l’utilité, pour notre profession, de se saisir de ces nouveaux outils. Aujourd’hui, plus personne ne veut vire en périphérie, on recherche des choses que l’on ne cherchait pas avant. J’insiste également sur le fait que l’engagement en faveur du développement durable et de l’urbanisme qui lui est inhérent ne concerne pas seulement ceux qui font de l’immobilier ! Ces questions nous intéressent aussi en tant que citoyens, car nous avons conscience de l’urgence qui prédomine pour notre génération et celles à venir.

Pour terminer, je crois aussi que notre congrès s’insère dans une multiplicité d’actions, parfois soutenues par d’autres acteurs, comme les architectes ou encore les géomètres. C’est tous ensemble et en combinant nos efforts que nous pourrons atteindre ces résultats.

JSS : Compte tenu du renouvellement du gouvernement, les nouvelles orientations impacteront-elles les mesures que vous proposez ?

M-H. P. : Quel que soit le gouvernement en place et quelle que soit sa tendance politique, on ne peut pas mettre de côté les priorités réclamées par la population, ni les urgences des territoires. La question de l’environnement appartient à tous et pas à un parti en particulier : il y a longtemps que ce domaine a dépassé le débat politique ! Il s’agit avant tout d’un débat citoyen, à l’image de l’objet de la Convention citoyenne pour le climat mise en place après le mouvement Gilets Jaunes, dont les politiques doivent absolument se servir.

Propos recueillis par Laurène Secondé

 

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.