La protection de la biodiversité commence à produire des effets


dimanche 6 décembre 20207 min
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Depuis plusieurs décennies, la destruction de la biodiversité est un sujet majeur pour l’humanité, mais relégué au second rang par rapport à la question climatique. Et pourtant ! Les rapports accablants se succèdent les uns aux autres. La liste rouge des espèces menacées, publiée par l’Union internationale de conservation de la nature, est édifiante : en 2020, sur 120 372 espèces étudiées, 32 441 sont classées menacées. Parmi ces espèces, 41 % des amphibiens, 14 % des oiseaux et 26 % des mammifères sont menacés d’extension au niveau mondial. C’est également le cas pour 30 % des requins, 23 % des coraux constructeurs de récifs et 34 % des conifères. Selon un rapport publié par le WWF en novembre 2018, les populations des vertébrés sauvages ont décliné de 60 % entre 1970 et 2014, et la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) livre un verdict sans appel : « Les preuves accablantes contenues dans l’évaluation globale publiée par l’IPBES et obtenues à partir d’un large éventail de domaines de connaissance présentent un panorama inquiétant », a déclaré le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Et cet organisme propose un « changement transformateur », c’est-à-dire un changement fondamental a` l’échelle d’un système qui prend en considération les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris en termes de paradigmes, objectifs et valeurs.


Comment arrive-t-on à un constat aussi catastrophique alors que la panoplie de textes de protection de la biodiversité est immense ?


Commençons par le niveau international. Dès 1972, il y a un demi-siècle, le Sommet de Johannesburg, en 2002, s’était donné pour objectif la perte de biodiversité à l’horizon 2010. La Convention sur la diversité biologique retient trois niveaux de biodiversité le niveau des espèces (diversité spécifique), le niveau intra spécifique (diversité génétique) et le niveau des écosystèmes (diversité écosystémiques). Le protocole de Carthagène adopté en janvier 2000 à Montréal vise la biosécurité et porte sur les organismes vivants modifiés ou organismes génétiquement modifiés. La Convention sur la diversité biologique date du 5 juin 1992 et a trois objectifs : la conservation de la diversité biologique (biodiversité), l’utilisation durable de ces éléments et un partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. La convention portant sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction, la Convention CITES, a été adoptée le 3 mars 1973 et amendée le 22 juin 1979 à Bonn. Elle confère aujourd’hui protection à plus de 30 000 espèces sauvages (25 000 espèces végétales et 5 000 animales).


À la même époque, la Convention sur le patrimoine universel, signée le 23 novembre 1972, classe dans le patrimoine naturel de valeur universelle les formations géologiques et les zones strictement délimitées constituant l’habitat d’espèces animales et végétales menacées qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation. Il faut citer également la Convention de Ramsar, signée en 1971, sur la conservation et l’utilisation durable des zones humides, entrée en vigueur le 21 décembre 1975, la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage est destinée à permettre la conservation des espèces migratrices et de leur habitat. La Convention internationale sur la biodiversité ; les COP biodiversité sont désormais des rendez-vous au même titre que les COP Climat. En 2020, il y a eu notamment le Congrès mondial de la nature de l’UICN à Marseille et la COP 15 à Pékin.


La directive « Oiseaux » (2009/147/CE) du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, et la directive « Habitats » (92/43/CEE) du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages fixent un cadre commun pour les États membres. Le réseau Natura 2000 vise à assurer la survie à long terme des espèces et des habitats particulièrement menacés, à forts enjeux de conservation en Europe. La vision politique de l’Union a été présentée par une communication de la Commission européenne du 3 juin 2011, intitulée : « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel - Stratégie de l’UE à l’horizon 2020 ».


Cette nouvelle stratégie élaborée par la Commission européenne pour préserver la biodiversité poursuit trois objectifs majeurs :


• faire reculer d’ici à 2020 le taux très élevé d’extinction des espèces ;


• rétablir autant que possible les écosystèmes naturels dans l’Union européenne (UE) ;


• et contribuer davantage à la lutte contre la perte de biodiversité au niveau mondial.


Enfin, en France, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée le 8 août 2016, vise à protéger, restaurer et valoriser la biodiversité, et notamment à « éviter, réduire, compenser » les impacts négatifs de certaines activités humaines sur l’environnement. Le préjudice écologique, le concept de non-régression du droit de l’environnement ainsi que celui de compensation avec « absence de perte nette de biodiversité » et de solidarité écologique ont été reconnus.


Cet arsenal juridique plus qu’impressionnant n’a en réalité donné que des résultats très modestes, car jusqu’à présent, le juge national n’avait pas considéré que la protection d’une espèce donnée et de son habitat pouvait empêcher la réalisation d’un projet. Certes le projet de Roybon avait été abandonné, en particulier à cause des déboisements, mais le contournement de Strasbourg a été finalement validé, et la séquence ERC de la loi de 2016 (c’est-à-dire « éviter, réduire, compenser ») s’est très généralement limitée à une compensation, au demeurant souvent très insuffisante.


Il semblerait que la situation soit en train de changer de manière tout à fait sérieuse, tant en ce qui concerne le préjudice écologique qu’en ce qui concerne la prise en compte des espèces, comme éléments suffisants pour bloquer un projet, même majeur.


Le préjudice écologique a été reconnu de manière très claire par la Cour de cassation en 2012 dans l’arrêt Erika. La loi l’a introduit dans le Code civil, mais en limitant son usage aux préjudices vraiment importants et en redonnant à l’État un large pouvoir. En réalité, la loi est beaucoup plus restrictive que ne l’était l’arrêt de la Cour de cassation. Or, par un arrêt du 10 novembre 2020 n° 2667 (20-82.245), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article 1247 du Code civil. Cet article réduit le préjudice écologique réparable à « l’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». C’est précisément cette notion d’atteinte non négligeable qui pose un problème, dans la mesure où la Charte de l’environnement dans ses articles 3 et 4 porte sur l’atteinte en général à l’environnement. Il n’est donc pas question de gravité préjudice, et c’est la raison pour laquelle la Cour de cassation s’interroge sur cette limitation : « compte tenu de la place croissante qu’occupent les questions relatives aux atteintes portées à l’environnement dans le débat public, un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine ».


À l’heure où ces lignes sont écrites, la décision du Conseil constitutionnel n’est pas rendue. Mais, le seul fait que la Cour de cassation se pose cette question est évidemment extrêmement encourageant.


D’autre part, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par un jugement en date du 9 novembre 2020 (commune de Mitry-Mory), annulé une dérogation « espèces protégées » qui était indispensable pour permettre la réalisation des travaux de la ligne express Paris-Charles de Gaulle. C’est la première fois que sur un projet d’une telle envergure, un « halte-là » est mis pour protéger les espèces. La motivation du tribunal est très intéressante. En effet, pour qu’il soit porté atteinte à une espèce protégée, il faut un intérêt public majeur. Or, le tribunal a estimé que celui-ci n’était pas établi, dans la mesure où les deux motifs qui avaient été retenus par l’administration, à savoir, d’une part la nécessité de disposer d’une ligne pour les Jeux olympiques de 2024, et d’autre part, la nécessité de répondre à l’augmentation du trafic aérien n’étaient plus justifiées.


Il est probable que dans les mois et années à venir, d’une part la valeur patrimoniale des unités de compensation biologique, et, d’autre part, la volonté de supprimer toute croissance dans l’artificialisation des sols, viendront conforter cette jurisprudence et remettre en cause la manière de concevoir nos projets ainsi que l’ordre des priorités.


 


Corinne Lepage,

Avocate à la Cour,

Huglo Lepage Avocats



Benjamin Huglo,

Docteur en droit,

Huglo Lepage Avocats



Raphaëlle Jeannel,

Avocate à la Cour, Of counsel,

Huglo Lepage Avocats


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