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Florian Manet, colonel de gendarmerie
nationale, expert en analyse du risque maritime, a donné une conférence à l’école normale catholique (lycée
Blomet). L’événement, organisé par Diploweb, centre d’études en géopolitique et
gouvernance, s’est déroulé fin janvier. Pour l’intervenant, la surveillance de
l’espace maritime est lacunaire et la Convention de Montego Bay obsolète.
Les Français ont tendance à l’ignorer, mais Paris est la capitale du deuxième empire maritime mondial. Pour nos concitoyens, la mer se borne souvent à un espace de loisir. Pourtant, les océans recouvrent 70 % de notre planète, d’ailleurs appelée improprement la Terre, puisqu’il s’agit de sa partie congrue. La crise sanitaire a révélé la dépendance de notre économie et de notre vie courante à l’univers maritime. Chacun se souvient des dizaines de pétroliers au large des côtes américaines attendant que les cuves à quai se vident pour déverser l’or noir de leurs cales. La pandémie a gelé les activités industrielles. Néanmoins, un bateau qui quitte le Nigeria ou un autre champ pétrolifère a une trajectoire programmée. Une fois à destination, il faut que le port puisse absorber son chargement. Autre souci inverse, les pénuries observées dans les magasins pour les biens manufacturés à l'étranger et acheminés par voie maritime, et la rupture d’approvisionnement ont touché de nombreux secteurs. Ce contexte a désorganisé les vecteurs de l’économie internationale que représentent les porte-conteneurs. Les conteneurs ne se trouvaient pas au bon endroit au bon moment.
Pour un marin,
deux espaces comptent, explique le colonel : la mer territoriale et la zone
économique exclusive (ZEE). Ces démarcations géographiques distinguent
juridiquement les événements maritimes. La mer territoriale correspond au
prolongement du territoire national. La moyenne annuelle des eaux à marée basse
d’un pays définit une ligne imaginaire. En traçant
vers le large un trait en profondeur à 12 miles (22 km) nautiques de cette frontière
naturelle, on dessine le contour de la mer territoriale dudit pays. Les droits
de police et ceux de douane y sont très marqués. La zone économique exclusive
commence après la ligne des 12 miles nautiques et s’étend au large sur
200 miles (370 km).
L’état côtier peut exploiter la colonne d’eau et toutes les
ressources halieutiques qui s’y trouvent. Ces éléments ont été définis par la
Convention de Montego Bay, également appelée la « Constitution de la
mer ». Elle règlemente les activités humaines en mer, les droits de l’état
du pavillon, ceux de l’état côtier, la pêche en haute mer, dans les ZEE, dans
les eaux territoriales, etc. Ratifié le 10 décembre 1982, le texte est entré en
application le 16 novembre 1994. Les États-Unis, première puissance maritime
mondiale, et d’autres pays ne l’ont pas signé.
La France,
deuxième puissance maritime mondiale, dispose d’une zone économique exclusive
de 11 millions de kilomètres carrés. L’Outre-mer français en constitue 97 %. Notre nation détient 8 % de la surface des zones économiques
exclusives du monde quand ses terres couvrent moins de 0,5 % de la superficie terrestre. La Polynésie
englobe 40 %
de la ZEE française, soit une surface équivalente à celle de l’Europe. Le gigantisme
des zones concernées donne le vertige. Par exemple, un îlot inhabité comme Clipperton,
minuscule anneau de 1,6 km² au large du Mexique, ouvre droit à une ZEE
circulaire de plus de 400 miles (pratiquement 800 km) de diamètre dont il est
le centre, c’est-à-dire quasiment la surface de la France métropolitaine. Dernier chiffre :
la Nouvelle-Calédonie est forte d’un peu plus de 1,3 million de kilomètres carrés de zone
économique exclusive, plus grande surface après la Polynésie. Cet étendue
immense est difficile à protéger contre les menaces de la criminalité
organisée, ce que le colonel de gendarmerie appelle la thalassocratie
criminelle.
Une impensée stratégique
La menace maritime se conçoit comme humaine (piraterie) ou liée à la sécurité maritime (safety). La piraterie mise à part, pour le marin, les deux pires ennemis à bord sont le feu ou, au contraire, la voie d’eau. Les risques d’origine naturelle ou provoqués par la navigation peuvent entraîner des dommages conséquents, voire irréversibles. En 1912, le Titanic sombre lors de son premier voyage commercial, faisant plus de 1 500 victimes. Cette tragédie a motivé l’écriture de la Convention internationale SOLAS (Safety of life at sea). Elle impose des suretés à la navigation maritime tels qu’un nombre d’équipements de survie (gilet de sauvetage, canot) en capacité de prendre en compte tous les passagers.
La nuisance ou le risque peut aussi durer. C’est le cas avec l’histoire du pétrolier Amoco Cadiz, dont les réservoirs ont continué à se vider de leur contenu longtemps après son naufrage, en mars 1978. Sorte de révolution en droit marin, les suretés maritimes ont introduit le fait que l’activité humaine soit une menace potentielle au même titre que le vent, la mer et les récifs. Autre épisode stimulateur de législation, le 17 octobre 1985, appareille en Méditerranée orientale le paquebot de croisière Achille Lauro. Un commando palestinien prend les passagers du navire en otage. Les secours sont inaccessibles, l’équipage n’est ni armé, ni préparé à ce type d’assaut. Sur ce nouveau sujet, la première Convention internationale apparaît à Rome en 1988. Il s’agit de la SUA (Suppression of Unlawful Acts against the safety of maritime navigation), qui vise à lutter contre tout comportement type prise d’otage, prise de contrôle de navire ou actes de violence en mer. Ce texte de droit public international arrive assez tardivement. Dans les vastes étendues océanes éloignées de toute terre, sans policier ni magistrat, le législateur a peiné pour quantifier les infractions et les malveillances. L’absence de données chiffrées statistiques sur les occurrences a généré un résultat dit « noir ». La réalité n’est pas documentée, un peu comme un problème qui n’existerait pas. Les menaces maritimes s’apparentent à une impensée stratégique pour Florian Manet, puisqu’on a du mal à les mesurer.
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