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Si le sujet n’était pas
si grave, il pourrait presque faire l’objet
d’une saga estivale télévisée divertissante. Que de rebondissements au fil des
épisodes avec ces fameux pesticides, et notamment, l’un des plus tristement
célèbres, le glyphosate.
Le très controversé glyphosate
Tout commence il y a quelques années, lorsqu’éclate un scandale
concernant le glyphosate, herbicide à l’origine exclusivement produit par
l’entreprise Monsanto. Les « Monsanto papers », documents
internes à l’entreprise, avaient alors permis d’apporter la preuve que dès le
milieu des années 90,
l’entreprise était en possession d’études internes gardées secrètes, prouvant
le danger du glyphosate. Et depuis, la question de la commercialisation et de
l’utilisation des pesticides fait couler beaucoup d’encre. Mais force est de
constater qu’elle tend régulièrement à opposer monde agricole
et associations de protection d’environnement, consommateurs ou riverains des
épandages, alors qu’en réalité cette rivalité n’a aucun sens. Car face à la
toxicité de ces produits, tout le monde est concerné.
Pesticides et conséquences
sanitaires
Il est bien évident que les agriculteurs sont les
premiers touchés par les effets des pesticides, et les premiers à payer les
conséquences d’autorisations délivrées en dépit de la toxicité des produits
qu’ils épandent, qu’ils respirent et qu’ils manipulent au quotidien. Ce n’est
d’ailleurs pas pour rien que face à la déconcertante réalité de multiplication
de maladies et de cancers chez les agriculteurs, le législateur a dû intervenir
en créant un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides par le biais de la loi de financement de la
Sécurité sociale de 2020. Il était temps, car le sujet du développement de
maladies particulières chez les agriculteurs n’est évidemment pas nouveau et ne
tend pas à s’améliorer. À titre d’illustration, dernièrement, le ministre de l’Agriculture a annoncé que
le cancer de la prostate sera prochainement reconnu comme maladie professionnelle en agriculture, en lien
avec l’exposition aux pesticides. Fort bien. Mais qu’en est-il des
non-professionnels ? Qu’en est-il des riverains se situant à côté des
épandages ou des enfants jouant à proximité des surfaces traitées et qui, eux,
contrairement aux professionnels, ne sont pas protégés par des vêtements ou des
équipements adaptés ? Rien n’est fait pour eux. Pourtant, ils risquent de
développer les mêmes maladies, et elles sont nombreuses.
Une étude de 2021?de l’Institut
national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établissement public
à caractère scientifique et technologique français spécialisé dans la recherche
médicale, intitulée « Pesticides et
effets sur la santé », fait jour sur les risques sanitaires liés aux
pesticides et concernant tout particulièrement le glyphosate, l’étude indique
que : « Le glyphosate et son métabolite l’AMPA sont des contaminants retrouvés
dans les produits alimentaires, des produits agricoles bruts ou des produits
transformés ». Le constat est posé. L’étude se poursuit en évoquant un certain
nombre de risques sanitaires potentiellement associés à l’exposition
professionnelle ou environnementale au glyphosate dont le le lymphome
non-hodgkinien. Le rapport se réfère à plusieurs méta-analyses, l’une par le
consortium AHS qui fait apparaître une élévation statistiquement significative
du risque, deux autres méta-analyses de 2016 et 2019 (p. 812 du rapport).
Plusieurs autres pathologies sont listées et notamment lymphome de Hodgkin, les
cancers de la vessie, certaines pathologies respiratoires comme l’asthme, la
maladie de parkinson, des troubles anxiodépressifs, l’hyperthyroïdie. Selon
l’étude, le glyphosate a également un effet épigénétique pour des valeurs
inférieures à la NOAEL (non observable
adverse effect level ou dose sans effet toxique observable) sur une dose
d’exposition courte. Il faut ajouter des effets neurotoxiques. Le rapport
indique que « de nombreuses études mettent en évidence des dommages
génotoxiques, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent
conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de
cancérogenèse ». Et pour démontrer que cela touche évidement les personnes
exposées autres que les professionnels, il ressort du document de l’Inserm que
quelques études témoins mettent également en évidence des anomalies de la
grossesse et des maladies chez les enfants nés de parents applicateurs de glyphosate.
Il s’agit d’études américaines qui mettent en évidence un risque augmenté de
survenue de troubles du spectre autistique chez les enfants, notamment avec une
exposition prénatale à certains pesticides.
Malgré tout, et c’est ce qui est le
plus incroyable, les pesticides sont toujours sur le marché : les
agriculteurs continuent à s’intoxiquer et les personnes vivant à proximité des
surfaces traitées également. Le 9 décembre 2019, l’ANSES a retiré du marché
36 produits à base de glyphosate : c’est bien la preuve que le sujet est
grave. Mais qu’en est-il des autres pesticides ? Ils continuent à
être utilisés… Pourtant, ironie du sort, la publication d’un décret
d’application de la loi de financement de la Sécurité sociale relatif au fonds
d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides, a été l’occasion
d’un communiqué de presse dans lequel le gouvernement affirme avoir engagé « une démarche
volontariste de réduction de l’utilisation
des produits phytopharmaceutiques ». On ne voit
pas trop en quoi…
L’utilisation de tels produits reste
encore bien trop importante et surtout pas assez encadrée. Est-il d’ailleurs
utile, à ce sujet, de rappeler que loin des grandes annonces gouvernementales
et face à la carence de l’État, le Conseil d’État a dû intervenir par une
décision de justice en date du 26 juillet 20211, enjoignant à l’État de prendre des
mesures afin de réglementer l’épandage des pesticides en fixant des distances
de sécurité suffisantes pour les produits classés comme suspectés d’être
cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. L’État avait six mois
pour agir sur ce point. Il ne l’a pas fait : les personnes se trouvant à
proximité de zones d’épandage ne sont donc pas protégées. On a du mal à
s’expliquer une telle absence de réglementation, alors même que l’on connaît
désormais les risques pour la santé de chacun liés aux pesticides. N’avons-nous
rien appris de l’histoire et scandale du chlordécone aux Antilles ? Car en
effet, nous n’en sommes pas au premier scandale du genre.
L’ombre du scandale du chlordécone
Le chlordécone, qui fut aspergé de 1972 à 1993 sur les
cultures de bananes en Guadeloupe et Martinique, est non seulement toxique pour
l’homme, mais a de surcroît entraîné une pollution durable des eaux et des
sols. Triste parallèle avec le glyphosate, depuis décembre 2021, les cancers de
la prostate liés à l’exposition au chlordécone sont reconnus au titre de la
maladie professionnelle. Mais qu’en est-il d’autres pathologies, des femmes ou
des enfants exposés ? Il va bien falloir indemniser toutes les victimes de
ce scandale sanitaire, puisque les effets toxiques du chlordécone sont connus
depuis de nombreuses années, et qu’il a tout de même fait l’objet de
dérogations pour être maintenu sur le marché. Les Antillais en ont payé et en
payent encore le prix fort.
Passé quasiment inaperçu, un décret publié fin
2021 prévoit une aide exceptionnelle en soutien au secteur de la petite pêche,
afin de compenser de manière temporaire les pertes de revenus dues à la
pollution des eaux marines par le chlordécone, aussi bien en Guadeloupe qu’en
Martinique.
La santé a un prix et les carences et fautes de l’État
qui a continué à autoriser le chlordécone ont donc un coût.
En finir avec les autorisations de mise sur le marché des pesticides
Le vrai sujet n’est pas d’opposer agriculteurs et
consommateurs ou voisins des épandages. Le vrai sujet, ce sont les
autorisations de mise sur le marché de produits toxiques extrêmement dangereux
pour l’environnement et pour la santé. Le vrai sujet est celui de la lenteur
voire de la carence des autorités et des États à prendre leurs responsabilités.
Or, si on s’en tient à la réglementation européenne, le
règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des
produits phytopharmaceutiques prévoit : « Le
présent règlement a pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la
santé humaine et animale et de l’environnement, et dans le même temps de
préserver la compétitivité de l’agriculture communautaire. Il convient
d’accorder une attention particulière à la protection des groupes vulnérables
de la population, notamment les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants.
Le principe de précaution devrait être appliqué et le présent règlement devrait
assurer que l’industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou
mis sur le marché n’ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ni
aucun effet inacceptable sur l’environnement. » On est bien loin de la
démonstration par l’industrie d’absence d’effets nocifs sur la santé humaine ou
animale… On est exactement à l’opposé. Et d’ailleurs, on connaît tellement les
effets toxiques des pesticides sur l’environnement et sur la santé qu’on en
n’est même plus au stade du principe de précaution. Les autorisations de mise
sur le marché ne devraient plus être délivrées.
Le vrai problème, c’est donc bien de continuer à
autoriser ce type de produit dont on ne saurait aujourd’hui contester les
effets néfastes pour l’environnement, mais aussi pour la santé de l’homme,
plutôt que d’accompagner l’agriculture et les agriculteurs dans une transition
qui apparaît de plus en plus pressante et impérative. Et il existe des
solutions.
Les solutions alternatives à
l’utilisation des pesticides
Il existe différentes méthodes alternatives aux
pesticides, et notamment le biocontrôle, l’agriculture raisonnée ou encore
l’agriculture biologique. Sur ce plan d’ailleurs, le gouvernement indique que
200 millions d’euros sont dédiés chaque année à la conversion en agriculture
biologique, et que ce montant a été porté à 250 millions depuis 2020. Il
indique également que depuis 2021, des moyens complémentaires ont été mis en
place afin d’aider les agriculteurs souhaitant investir dans des matériels de
substitution, permettant de faire évoluer les techniques agricoles2.
En revanche, ce qu’omet de dire le gouvernement, c’est
que les alternatives proposées en France, et notamment l’agriculture bio telle
qu’elle existe aujourd’hui, n’ont pas été co-construites avec le monde
agricole, et surtout ne fonctionnent pas ! Le bio traverse des heures
difficiles parce que le bio coûte plus cher : c’est une réalité de marché qui n’est
pas prise en compte. Tous les foyers ne peuvent pas se permettre de manger bio.
Face à ce constat, force est de constater que les communes, elles, jouent le
jeu, en proposant de plus en plus de nourriture bio aux enfants. Bon nombre de
collectivités n’ont donc pas attendu la loi EGalim, loi pour « l’équilibre des relations commerciales dans
le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et
accessible à tous », entrée en vigueur le 1er janvier dernier,
pour introduire davantage de produits sains et durables dans les menus des
enfants.
Bio ou pas, l’agriculture va devoir entamer une mutation
profonde pour garantir des productions et une alimentation saine, et permettre
aux agriculteurs de vivre décemment de leurs exploitations, tout en
garantissant la santé de chacun. Un vaste programme que l’État
et l’Europe devront accompagner. Il est là, le vrai sujet. La saga des
pesticides n’est donc pas encore achevée, mais quel sera le final ?
Saurons-nous tirer les conséquences des scandales sanitaires passés ou
sommes-nous en train de vivre le prochain scandale sanitaire pour l’État
français ? Le dernier épisode reste à écrire, mais une chose est certaine,
les responsables devront indemniser les victimes et assumer les conséquences de
leurs négligences.
2) CE, 26 juillet 2021, Collectif des maires
anti-pesticides et autres, n° 437815.
Madeleine Babès,
Avocate à la Cour,
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
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