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Les procureurs formulent 10 propositions pour une meilleure justice


lundi 10 janvier 20228 min
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10/01/2022 09:17:01 1 1 2834 10 0 5986 2691 2772 L’infernale saga des pesticides

Si le sujet n’était pas si grave, il pourrait presque faire l’objet d’une saga estivale télévisée divertissante. Que de rebondissements au fil des épisodes avec ces fameux pesticides, et notamment, l’un des plus tristement célèbres, le glyphosate.

 

 

Le très controversé glyphosate

Tout commence il y a quelques années, lorsqu’éclate un scandale concernant le glyphosate, herbicide à l’origine exclusivement produit par l’entreprise Monsanto. Les « Monsanto papers », documents internes à l’entreprise, avaient alors permis d’apporter la preuve que dès le milieu des années 90, l’entreprise était en possession d’études internes gardées secrètes, prouvant le danger du glyphosate. Et depuis, la question de la commercialisation et de l’utilisation des pesticides fait couler beaucoup d’encre. Mais force est de constater qu’elle tend régulièrement à opposer monde agricole et associations de protection d’environnement, consommateurs ou riverains des épandages, alors qu’en réalité cette rivalité n’a aucun sens. Car face à la toxicité de ces produits, tout le monde est concerné.

 

 

Pesticides et conséquences sanitaires

Il est bien évident que les agriculteurs sont les premiers touchés par les effets des pesticides, et les premiers à payer les conséquences d’autorisations délivrées en dépit de la toxicité des produits qu’ils épandent, qu’ils respirent et qu’ils manipulent au quotidien. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que face à la déconcertante réalité de multiplication de maladies et de cancers chez les agriculteurs, le législateur a dû intervenir en créant un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides par le biais de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2020. Il était temps, car le sujet du développement de maladies particulières chez les agriculteurs n’est évidemment pas nouveau et ne tend pas à s’améliorer. À titre dillustration, dernièrement, le ministre de l’Agriculture a annoncé que le cancer de la prostate sera prochainement reconnu comme maladie professionnelle en agriculture, en lien avec l’exposition aux pesticides. Fort bien. Mais qu’en est-il des non-professionnels ? Qu’en est-il des riverains se situant à côté des épandages ou des enfants jouant à proximité des surfaces traitées et qui, eux, contrairement aux professionnels, ne sont pas protégés par des vêtements ou des équipements adaptés ? Rien n’est fait pour eux. Pourtant, ils risquent de développer les mêmes maladies, et elles sont nombreuses.

Une étude de 2021?de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établissement public à caractère scientifique et technologique français spécialisé dans la recherche médicale, intitulée « Pesticides et effets sur la santé », fait jour sur les risques sanitaires liés aux pesticides et concernant tout particulièrement le glyphosate, l’étude indique que : « Le glyphosate et son métabolite l’AMPA sont des contaminants retrouvés dans les produits alimentaires, des produits agricoles bruts ou des produits transformés ». Le constat est posé. L’étude se poursuit en évoquant un certain nombre de risques sanitaires potentiellement associés à l’exposition professionnelle ou environnementale au glyphosate dont le le lymphome non-hodgkinien. Le rapport se réfère à plusieurs méta-analyses, l’une par le consortium AHS qui fait apparaître une élévation statistiquement significative du risque, deux autres méta-analyses de 2016 et 2019 (p. 812 du rapport). Plusieurs autres pathologies sont listées et notamment lymphome de Hodgkin, les cancers de la vessie, certaines pathologies respiratoires comme l’asthme, la maladie de parkinson, des troubles anxiodépressifs, l’hyperthyroïdie. Selon l’étude, le glyphosate a également un effet épigénétique pour des valeurs inférieures à la NOAEL (non observable adverse effect level ou dose sans effet toxique observable) sur une dose d’exposition courte. Il faut ajouter des effets neurotoxiques. Le rapport indique que « de nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse ». Et pour démontrer que cela touche évidement les personnes exposées autres que les professionnels, il ressort du document de l’Inserm que quelques études témoins mettent également en évidence des anomalies de la grossesse et des maladies chez les enfants nés de parents applicateurs de glyphosate. Il s’agit d’études américaines qui mettent en évidence un risque augmenté de survenue de troubles du spectre autistique chez les enfants, notamment avec une exposition prénatale à certains pesticides.






Malgré tout, et c’est ce qui est le plus incroyable, les pesticides sont toujours sur le marché : les agriculteurs continuent à s’intoxiquer et les personnes vivant à proximité des surfaces traitées également. Le 9 décembre 2019, l’ANSES a retiré du marché 36 produits à base de glyphosate : c’est bien la preuve que le sujet est grave. Mais qu’en est-il des autres pesticides ? Ils continuent à être utilisés… Pourtant, ironie du sort, la publication d’un décret d’application de la loi de financement de la Sécurité sociale relatif au fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides, a été l’occasion d’un communiqué de presse dans lequel le gouvernement affirme avoir engagé « une démarche volontariste de réduction de lutilisation des produits phytopharmaceutiques ». On ne voit pas trop en quoi

L’utilisation de tels produits reste encore bien trop importante et surtout pas assez encadrée. Est-il d’ailleurs utile, à ce sujet, de rappeler que loin des grandes annonces gouvernementales et face à la carence de l’État, le Conseil d’État a dû intervenir par une décision de justice en date du 26 juillet 20211, enjoignant à l’État de prendre des mesures afin de réglementer l’épandage des pesticides en fixant des distances de sécurité suffisantes pour les produits classés comme suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. L’État avait six mois pour agir sur ce point. Il ne l’a pas fait : les personnes se trouvant à proximité de zones d’épandage ne sont donc pas protégées. On a du mal à s’expliquer une telle absence de réglementation, alors même que l’on connaît désormais les risques pour la santé de chacun liés aux pesticides. N’avons-nous rien appris de l’histoire et scandale du chlordécone aux Antilles ? Car en effet, nous n’en sommes pas au premier scandale du genre.

 


L’ombre du scandale du chlordécone

Le chlordécone, qui fut aspergé de 1972 à 1993 sur les cultures de bananes en Guadeloupe et Martinique, est non seulement toxique pour l’homme, mais a de surcroît entraîné une pollution durable des eaux et des sols. Triste parallèle avec le glyphosate, depuis décembre 2021, les cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone sont reconnus au titre de la maladie professionnelle. Mais qu’en est-il d’autres pathologies, des femmes ou des enfants exposés ? Il va bien falloir indemniser toutes les victimes de ce scandale sanitaire, puisque les effets toxiques du chlordécone sont connus depuis de nombreuses années, et qu’il a tout de même fait l’objet de dérogations pour être maintenu sur le marché. Les Antillais en ont payé et en payent encore le prix fort.

Passé quasiment inaperçu, un décret publié fin 2021 prévoit une aide exceptionnelle en soutien au secteur de la petite pêche, afin de compenser de manière temporaire les pertes de revenus dues à la pollution des eaux marines par le chlordécone, aussi bien en Guadeloupe qu’en Martinique.

La santé a un prix et les carences et fautes de l’État qui a continué à autoriser le chlordécone ont donc un coût.

 

 

En finir avec les autorisations de mise sur le marché des pesticides

Le vrai sujet n’est pas d’opposer agriculteurs et consommateurs ou voisins des épandages. Le vrai sujet, ce sont les autorisations de mise sur le marché de produits toxiques extrêmement dangereux pour l’environnement et pour la santé. Le vrai sujet est celui de la lenteur voire de la carence des autorités et des États à prendre leurs responsabilités.

Or, si on s’en tient à la réglementation européenne, le règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques prévoit : « Le présent règlement a pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, et dans le même temps de préserver la compétitivité de l’agriculture communautaire. Il convient d’accorder une attention particulière à la protection des groupes vulnérables de la population, notamment les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants. Le principe de précaution devrait être appliqué et le présent règlement devrait assurer que l’industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ni aucun effet inacceptable sur l’environnement. » On est bien loin de la démonstration par l’industrie d’absence d’effets nocifs sur la santé humaine ou animale… On est exactement à l’opposé. Et d’ailleurs, on connaît tellement les effets toxiques des pesticides sur l’environnement et sur la santé qu’on en n’est même plus au stade du principe de précaution. Les autorisations de mise sur le marché ne devraient plus être délivrées.

Le vrai problème, c’est donc bien de continuer à autoriser ce type de produit dont on ne saurait aujourd’hui contester les effets néfastes pour l’environnement, mais aussi pour la santé de l’homme, plutôt que d’accompagner l’agriculture et les agriculteurs dans une transition qui apparaît de plus en plus pressante et impérative. Et il existe des solutions.

 

 

Les solutions alternatives à l’utilisation des pesticides

Il existe différentes méthodes alternatives aux pesticides, et notamment le biocontrôle, l’agriculture raisonnée ou encore l’agriculture biologique. Sur ce plan d’ailleurs, le gouvernement indique que 200 millions d’euros sont dédiés chaque année à la conversion en agriculture biologique, et que ce montant a été porté à 250 millions depuis 2020. Il indique également que depuis 2021, des moyens complémentaires ont été mis en place afin d’aider les agriculteurs souhaitant investir dans des matériels de substitution, permettant de faire évoluer les techniques agricoles2.

En revanche, ce qu’omet de dire le gouvernement, c’est que les alternatives proposées en France, et notamment l’agriculture bio telle qu’elle existe aujourd’hui, n’ont pas été co-construites avec le monde agricole, et surtout ne fonctionnent pas ! Le bio traverse des heures difficiles parce que le bio coûte plus cher : c’est une réalité de marché qui n’est pas prise en compte. Tous les foyers ne peuvent pas se permettre de manger bio. Face à ce constat, force est de constater que les communes, elles, jouent le jeu, en proposant de plus en plus de nourriture bio aux enfants. Bon nombre de collectivités n’ont donc pas attendu la loi EGalim, loi pour « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous », entrée en vigueur le 1er janvier dernier, pour introduire davantage de produits sains et durables dans les menus des enfants.

Bio ou pas, l’agriculture va devoir entamer une mutation profonde pour garantir des productions et une alimentation saine, et permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leurs exploitations, tout en garantissant la santé de chacun. Un vaste programme que l’État et l’Europe devront accompagner. Il est là, le vrai sujet. La saga des pesticides n’est donc pas encore achevée, mais quel sera le final ? Saurons-nous tirer les conséquences des scandales sanitaires passés ou sommes-nous en train de vivre le prochain scandale sanitaire pour l’État français ? Le dernier épisode reste à écrire, mais une chose est certaine, les responsables devront indemniser les victimes et assumer les conséquences de leurs négligences.

 


2) CE, 26 juillet 2021, Collectif des maires anti-pesticides et autres, n° 437815.

2) https://www.gouvernement.fr/les-actions-du-gouvernement/agriculture/reduire-l-utilisation-des-produits-phytosanitaires-et

 

Madeleine Babès,

Avocate à la Cour,

Cabinet Huglo Lepage Avocats

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