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Madeleine
Huot-Fortin est l’une des premières femmes magistrates, entrée par la voie du
concours, seulement quelques années après que la profession fut ouverte aux
femmes par la loi du 11 avril 1946.
Contrairement à Charlotte
Béquignon-Lagarde (1), elle a écrit, témoigné de son parcours professionnel
dans un document de mémoires. L’accès à ses souvenirs permet de citer plusieurs
fois l’autrice de ce texte dans les lignes qui suivent, et de rendre compte de
sa vie de magistrate, de 1953 à 1980.
Le parcours de Madeleine
Huot-Fortin s’inscrit dans une magistrature où la présence des femmes est
encore exceptionnelle et vécue comme une curiosité. Une des premières à siéger
en cours d’assises, innovatrice dans la création d’une chambre de la famille,
elle a incarné le changement.
Courageuse et libre,
malgré les contraintes que son époque faisait peser sur les femmes, elle a su
imposer sa passion pour le métier de juge qu’elle voulait exercer.
Des études de
droit jusqu’au doctorat
Madeleine Fortin est née
le 29 mai 1909 à Ambérieu-en-Bugey (Ain). Elle aime l’école et y
réussit aisément jusqu’au baccalauréat.
Son père, conservateur
des hypothèques, est un homme cultivé, un peu artiste. Convaincu des
possibilités intellectuelles de sa fille, mais ne souhaitant la laisser partir
seule en faculté, il autorise Madeleine à suivre une licence de droit
par correspondance. Devant sa réussite, « trouvant stupide qu’elle
arrête là ses études », il lui propose de poursuivre. Seule fille à la
faculté de Strasbourg, elle achève un DES de droit privé, puis un second de
droit romain et d’histoire du droit avec étude des pandectes.
Avec détermination, elle
achève son parcours universitaire, en rédigeant une thèse : « La
charité à Montbéliard sous l’ancien régime ». Pendant
deux ans, elle s’y consacre, et découvre aux archives départementales une
ordonnance des pauvres, du 29 février 1560, ignorée des érudits
locaux. Pour financer ces années, elle s’inscrit au barreau, en stage chez un
avoué à Montbéliard. Menant de front ses études et sa vie privée, sa soutenance
a lieu huit jours avant son mariage avec Robert Huot-Marchand (1933). Elle
est récompensée d’une mention, d’un prix de la thèse, et, enfin, d’une médaille
des sociétés savantes départementales.
Pourtant, pendant
13 ans, Madeleine Huot-Fortin reste éloignée de toute activité juridique,
se consacrant à la construction de sa famille par la mise au monde de
cinq enfants, entre 1935 et 1942. La vie conjugale ne s’avère pas
harmonieuse, et elle obtient une séparation de corps. Dans une nouvelle
situation personnelle, elle assume son indépendance financière par un stage au
barreau de Bordeaux, avant d’installer « modestement » un cabinet
d’avocat à La Réole.
À la fin d’une audience
où elle avait brillamment plaidé une affaire d’injures publiques, le procureur
de la République du tribunal, Monsieur Portal, lui dit : « Que
faites-vous là ? Vous méritez mieux, vous devriez préparer le concours de
la magistrature. » Pour elle, c’est la voix du destin ou celle de la
providence.
1951 : le concours de la
magistrature
En 1949, elle a quarante
ans. Elle devient attachée au parquet et prépare le concours. Elle échoue à la
première tentative, devient attachée « rétribuée » et persiste avec
le soutien du jurisclasseur par correspondance.
Pour préparer l’épreuve
de culture générale, elle estime indispensable de lire André Gide. Mais
l’auteur est mis à l’index par l’église catholique. Elle sollicite le curé du
diocèse, et l’archevêché lui délivre l’autorisation d’accéder à la littérature
interdite (2).
Le Journal
Officiel note en 1951 la réussite de 6 femmes sur les
106 candidates : « c’est dire l’hostilité qui s’exerçait
alors à l’entrée des femmes dans la magistrature ». L’analyse de
Madeleine Huot-Fortin est confirmée par les rapports des jurys de l’époque,
dont l’un relève que « sauf exception, les femmes d’une part sont
inaptes à exercer nos fonctions d’autorité, d’autre part nuisent au prestige du
corps judiciaire » (3).
D’emblée, elle sait
qu’elle ne pourra aspirer à une carrière brillante « en raison de son
sexe », de son âge, et de ses cinq enfants. Pendant un an, elle
reste attachée au parquet de Bordeaux en attendant sa nomination. Elle se voit
finalement proposer le poste de juge suppléant à la cour d’appel de Colmar avec
affectation au TGI de Metz. Inquiète de partir si loin de son sud-ouest, ses
collègues la conseillent : « acceptez, sinon ils prendront
prétexte pour ne vous nommer jamais ».
1952/décembre 1953 : juge suppléant à Metz
Après avoir prêté serment
à la cour d’appel, « ayant revêtu un tailleur noir, le petit chapeau et
les souliers fins que les circonstances exigeaient », elle se rend au
tribunal pour se présenter, et reçoit un très bon accueil de ses collègues en
ceinture bleue.
Elle succède à un
magistrat du parquet « indolent », qui avait laissé
le service des enquêtes complètement embouteillé, et s’acharne à résorber le
retard. En tant que femme, elle sent qu’elle doit prouver sa légitimité,
qu’elle doit faire ses preuves, et pour cela elle s’attache à « être à
la hauteur ».
Madeleine Huot-Fortin est
au centre d’un véritable événement local lorsqu’elle est la première femme
appelée à siéger à la cour d’assises de la Moselle. Frappée par le cérémonial
désuet qui, selon elle, « pour ne pas être ridicule, doit être pratiqué
avec solennité », elle rappelle que l’« on présentait les
armes aux juges » en un piquet d’honneur.
Voici ses commentaires
sur la réalité judiciaire de son temps : « Il m’arriva plus d’une
fois d’être indignée par le mépris, la morgue affichée par certains juges à
l’égard du justiciable. Celui-ci, c’était le ver de terre, arrivant dans la
majorité des petits délits, tout dépenaillé, crachotant sa pauvre défense,
lorgnant son avocat d’office, ne comprenant pas la sentence assénée. »
Elle est aussi juge dans
son époque, celle de la guerre d’Algérie : « Et puis il y
avait les nord Africains, Algériens pour la plupart. Ils attendaient, ils ne
faisaient qu’attendre depuis qu’ils étaient en France. Ils étaient exploités,
pressurés, parqués dans des conditions ignobles. La police n’avait aucune peine
à glaner ceux qui pouvaient encore être convaincus du délit de vagabondage. Ils
n’étaient pas plus mal en prison que dans leurs taudis. Dans ces yeux noirs
fixés sur nous, il me semblait voir s’oudre la haine.
Je me rappelle avoir pensé, ces hommes ont combattu, ils ont versé leur sang
pour nous, comment pouvons-nous les traiter ainsi. Ils en tireront vengeance,
je ne croyais pas prophétiser. »
Elle passe 18 mois à
Metz, assujettie à cette mobilité géographique si caractéristique de la
magistrature. Elle saisit la première occasion pour revenir sur ses terres.
1954 - 1958 : juge
suppléant à Bordeaux
Installée au tribunal de
Bordeaux le 24 janvier 1954, le procureur de la République lui fait un
accueil plein de sous-entendus sur les désordres que peut engendrer l’arrivée
d’une femme dans un milieu d’hommes, retranscrits dans ce dialogue :
— Le procureur :
« Vous avez 5 enfants, mais vous êtes divorcée, Madame. »
— MHF : « Non,
Monsieur le procureur, nous sommes séparés de corps. »
— Le procureur :
« Je vois, mais le divorce est possible. »
— MHF : « Telle
n’est pas mon intention, et de toutes façons, l’idée de me remarier ne fait pas
partie de mes projets, ni de mes convictions. »
— Le procureur :
« Voyez-vous Madame, le tribunal que j’ai l’honneur de diriger avec
Monsieur le président est comme une grande famille, jamais la moindre intrigue,
la moindre animosité,
je serai désolé si par votre fait cette paix allait être troublée. »
— MHF : « Soyez
sans crainte, Monsieur le Procureur. »
Elle
rencontre d’emblée plus d’hostilité qu’à Metz, « le pays d’Oc étant
assez misogyne et ne s’en cachait pas ». À l’occasion d’une audience,
un président grommelle : « qu’est-ce que c’est que cette
femme ! ».
Juge suppléant est alors une fonction de juge à tout faire. Elle est parfois affectée au parquet, ou ell
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