Madeleine Huot-Fortin, une des premières femmes juges dans les années 1950


vendredi 29 mars 20195 min
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Madeleine Huot-Fortin est l’une des premières femmes magistrates, entrée par la voie du concours, seulement quelques années après que la profession fut ouverte aux femmes par la loi du 11 avril 1946.

Contrairement à Charlotte Béquignon-Lagarde (1), elle a écrit, témoigné de son parcours professionnel dans un document de mémoires. L’accès à ses souvenirs permet de citer plusieurs fois l’autrice de ce texte dans les lignes qui suivent, et de rendre compte de sa vie de magistrate, de 1953 à 1980.

Le parcours de Madeleine Huot-Fortin s’inscrit dans une magistrature où la présence des femmes est encore exceptionnelle et vécue comme une curiosité. Une des premières à siéger en cours d’assises, innovatrice dans la création d’une chambre de la famille, elle a incarné le changement.

Courageuse et libre, malgré les contraintes que son époque faisait peser sur les femmes, elle a su imposer sa passion pour le métier de juge qu’elle voulait exercer.

 

 

Des études de droit jusqu’au doctorat

Madeleine Fortin est née le 29 mai 1909 à Ambérieu-en-Bugey (Ain). Elle aime l’école et y réussit aisément jusqu’au baccalauréat.

Son père, conservateur des hypothèques, est un homme cultivé, un peu artiste. Convaincu des possibilités intellectuelles de sa fille, mais ne souhaitant la laisser partir seule en faculté, il autorise Madeleine à suivre une licence de droit par correspondance. Devant sa réussite, « trouvant stupide qu’elle arrête là ses études », il lui propose de poursuivre. Seule fille à la faculté de Strasbourg, elle achève un DES de droit privé, puis un second de droit romain et d’histoire du droit avec étude des pandectes.

Avec détermination, elle achève son parcours universitaire, en rédigeant une thèse : « La charité à Montbéliard sous l’ancien régime ». Pendant deux ans, elle s’y consacre, et découvre aux archives départementales une ordonnance des pauvres, du 29 février 1560, ignorée des érudits locaux. Pour financer ces années, elle s’inscrit au barreau, en stage chez un avoué à Montbéliard. Menant de front ses études et sa vie privée, sa soutenance a lieu huit jours avant son mariage avec Robert Huot-Marchand (1933). Elle est récompensée d’une mention, d’un prix de la thèse, et, enfin, d’une médaille des sociétés savantes départementales.

Pourtant, pendant 13 ans, Madeleine Huot-Fortin reste éloignée de toute activité juridique, se consacrant à la construction de sa famille par la mise au monde de cinq enfants, entre 1935 et 1942. La vie conjugale ne s’avère pas harmonieuse, et elle obtient une séparation de corps. Dans une nouvelle situation personnelle, elle assume son indépendance financière par un stage au barreau de Bordeaux, avant d’installer « modestement » un cabinet d’avocat à La Réole.

À la fin d’une audience où elle avait brillamment plaidé une affaire d’injures publiques, le procureur de la République du tribunal, Monsieur Portal, lui dit : « Que faites-vous là ? Vous méritez mieux, vous devriez préparer le concours de la magistrature. » Pour elle, c’est la voix du destin ou celle de la providence.

 

 

1951 : le concours de la magistrature

En 1949, elle a quarante ans. Elle devient attachée au parquet et prépare le concours. Elle échoue à la première tentative, devient attachée « rétribuée » et persiste avec le soutien du jurisclasseur par correspondance.

Pour préparer l’épreuve de culture générale, elle estime indispensable de lire André Gide. Mais l’auteur est mis à l’index par l’église catholique. Elle sollicite le curé du diocèse, et l’archevêché lui délivre l’autorisation d’accéder à la littérature interdite (2).

Le Journal Officiel note en 1951 la réussite de 6 femmes sur les 106 candidates : « c’est dire l’hostilité qui s’exerçait alors à l’entrée des femmes dans la magistrature ». L’analyse de Madeleine Huot-Fortin est confirmée par les rapports des jurys de l’époque, dont l’un relève que « sauf exception, les femmes d’une part sont inaptes à exercer nos fonctions d’autorité, d’autre part nuisent au prestige du corps judiciaire » (3).

D’emblée, elle sait qu’elle ne pourra aspirer à une carrière brillante « en raison de son sexe », de son âge, et de ses cinq enfants. Pendant un an, elle reste attachée au parquet de Bordeaux en attendant sa nomination. Elle se voit finalement proposer le poste de juge suppléant à la cour d’appel de Colmar avec affectation au TGI de Metz. Inquiète de partir si loin de son sud-ouest, ses collègues la conseillent : « acceptez, sinon ils prendront prétexte pour ne vous nommer jamais ».

 

 

1952/décembre 1953 : juge suppléant à Metz

Après avoir prêté serment à la cour d’appel, « ayant revêtu un tailleur noir, le petit chapeau et les souliers fins que les circonstances exigeaient », elle se rend au tribunal pour se présenter, et reçoit un très bon accueil de ses collègues en ceinture bleue.

Elle succède à un magistrat du parquet « indolent », qui avait laissé le service des enquêtes complètement embouteillé, et s’acharne à résorber le retard. En tant que femme, elle sent qu’elle doit prouver sa légitimité, qu’elle doit faire ses preuves, et pour cela elle s’attache à « être à la hauteur ».

Madeleine Huot-Fortin est au centre d’un véritable événement local lorsqu’elle est la première femme appelée à siéger à la cour d’assises de la Moselle. Frappée par le cérémonial désuet qui, selon elle, « pour ne pas être ridicule, doit être pratiqué avec solennité », elle rappelle que l’« on présentait les armes aux juges » en un piquet d’honneur.

Voici ses commentaires sur la réalité judiciaire de son temps : « Il m’arriva plus d’une fois d’être indignée par le mépris, la morgue affichée par certains juges à l’égard du justiciable. Celui-ci, c’était le ver de terre, arrivant dans la majorité des petits délits, tout dépenaillé, crachotant sa pauvre défense, lorgnant son avocat d’office, ne comprenant pas la sentence assénée. »

Elle est aussi juge dans son époque, celle de la guerre d’Algérie : « Et puis il y avait les nord Africains, Algériens pour la plupart. Ils attendaient, ils ne faisaient qu’attendre depuis qu’ils étaient en France. Ils étaient exploités, pressurés, parqués dans des conditions ignobles. La police n’avait aucune peine à glaner ceux qui pouvaient encore être convaincus du délit de vagabondage. Ils n’étaient pas plus mal en prison que dans leurs taudis. Dans ces yeux noirs fixés sur nous, il me semblait voir s’oudre la haine.
Je me rappelle avoir pensé, ces hommes ont combattu, ils ont versé leur sang pour nous, comment pouvons-nous les traiter ainsi. Ils en tireront vengeance, je ne croyais pas prophétiser
. »

Elle passe 18 mois à Metz, assujettie à cette mobilité géographique si caractéristique de la magistrature. Elle saisit la première occasion pour revenir sur ses terres.

 

 

1954 - 1958 : juge suppléant à Bordeaux

Installée au tribunal de Bordeaux le 24 janvier 1954, le procureur de la République lui fait un accueil plein de sous-entendus sur les désordres que peut engendrer l’arrivée d’une femme dans un milieu d’hommes, retranscrits dans ce dialogue :

— Le procureur : « Vous avez 5 enfants, mais vous êtes divorcée, Madame. »

— MHF : « Non, Monsieur le procureur, nous sommes séparés de corps. »

— Le procureur : « Je vois, mais le divorce est possible. »

— MHF : « Telle n’est pas mon intention, et de toutes façons, l’idée de me remarier ne fait pas partie de mes projets, ni de mes convictions. »

— Le procureur : « Voyez-vous Madame, le tribunal que j’ai l’honneur de diriger avec Monsieur le président est comme une grande famille, jamais la moindre intrigue, la moindre animosité,
je serai désolé si par votre fait cette paix allait être troublée.
 »

— MHF : « Soyez sans crainte, Monsieur le Procureur. »

Elle rencontre d’emblée plus d’hostilité qu’à Metz, « le pays d’Oc étant assez misogyne et ne s’en cachait pas ». À l’occasion d’une audience, un président grommelle : « qu’est-ce que c’est que cette femme ! ».

Juge suppléant est alors une fonction de juge à tout faire. Elle est parfois affectée au parquet, ou ell

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