Pourquoi plus de parité et d’égalité hommes-femmes boosterait l’économie


jeudi 28 mars 201910 min
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Moins bien payées, sous-représentées dans les postes à responsabilités, les femmes souffrent d’une forte discrimination au travail. Une discrimination qui a, de plus, un effet considérable sur la croissance.


 


« Les femmes portent sur leurs épaules la moitié du ciel », disait Mao Zedong. « S’il est vrai que les femmes soutiennent la moitié du ciel, elles ont rarement une prise égale sur le sol », déplore pourtant Safiye Cagar, Directrice de la Division de l’information et des relations extérieures du Fonds des Nations unies pour la population.


Lors d’une conférence sur l’impact économique des inégalités hommes/femmes organisée à la Banque de France à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la Banque de France, a pour sa part regretté que « la société se prive d’une partie des talents disponibles et de la capacité de contribuer au bien commun », ce qui se traduit en termes économiques. Ainsi, a-t-elle souligné, la croissance d’un pays est souvent en corrélation avec la part de femmes qui ne travaillent pas. Comme en Italie, par exemple, où les femmes, qui doivent encore très souvent choisir entre être mère et avoir un emploi, représentent 39 % de la population active en 2018, contre 50 % en France, rapporte l’Organisation internationale du travail (OIT). De façon générale, « les femmes sont surreprésentées dans les catégories les plus démunies : retraite avec faible pension réversion, femmes qui élèvent seules leurs enfants… », a rappelé Sylvie Goulard. Dans les pays en voie de développement, c’est l’accès à l’éducation pour les filles qui reste la difficulté première. « La situation des femmes explique en grande partie les situations de sous-développement. Or, le gisement de productivité augmente directement le bien-être », a estimé de son côté Peter Praet, membre du directoire de la Banque Centrale Européenne (BCE).


 


Écarts de salaire : des « répercussions en termes de consommation et de recettes fiscales »


Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), l’écart salarial entre les femmes et les hommes se réduit dans les 36 pays de l’Organisation (17,7 % en 2000, 13,8 % en 2016) – de moins en moins rapidement, toutefois, depuis 2010. Parmi le groupe des pays développés, c’est la Corée qui affiche le plus gros écart salarial : 34,6 %. Le Japon, le Canada et les États-Unis font également figure de mauvais élèves, au contraire du Luxembourg (3,4 %), du Costa Rica (3 %) et de la Roumanie (1,5 %) en tête du classement.


En France, les employeurs sont tenus, depuis la loi de 1972, d’« assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Mais en pratique, malgré quelques évolutions en la matière, les femmes restent toujours moins bien payées que les hommes, à hauteur de 9 % en moyenne, même en tenant compte des différences de tranche d’âge, de type de contrat, de temps de travail, de secteur d’activité et de taille d’entreprise.


Or, cette discrimination salariale, en plus d’être établie, aurait, si l’on en croit la Fondation Concorde, des répercussions directes sur l’économie. Cette dernière indique dans une étude publiée en 2016 que « la persistance de ces inégalités nuit gravement à l’économie française : le différentiel de salaire net versé entre les femmes et les hommes représente en moyenne 3 525 euros par an et atteint ainsi, de manière agrégée, 33,6 milliards d’euros par an ».
Le think tank économique précise en outre : « Ce "manque à gagner" en termes de salaire net a également des répercussions en termes de consommation et de recettes fiscales. On estime ainsi que la consommation nette agrégée supplémentaire pourrait s’élever à 21,98 milliards d’euros (lorsque le surplus d’épargne serait lui de 6,2 milliards d’euros). Ce supplément permettrait de générer 0,16 point de croissance supplémentaire, qui seraient les bienvenus. »


Bien que la France ait encore beaucoup à faire pour y parvenir et établir l’égalité salariale, de récentes initiatives montrent en tout cas une volonté de progression. Ainsi, les grandes entreprises françaises ont commencé le 1er mars dernier à publier leurs index de l’égalité hommes-femmes, une mesure visant à réduire les inégalités professionnelles, mise en place par le gouvernement.


D’autres États montrent l’exemple, à l’instar de l’Islande, qui impose désormais aux entreprises d’utiliser l’ « Equal Pay Standard », un système de gestion de l’égalité des rémunérations. Une nouvelle loi, votée en juin 2017 et mise en application début 2018, oblige en effet les entreprises à respecter la loi islandaise de 1961 sur l’égalité salariale. Ce n’est plus aux salariés de porter plainte en cas d’inégalité, mais c’est à l’entreprise de faire en sorte que l’égalité soit respectée, sous peine d’amende. La Norvège a également décroché une petite victoire il y a peu, puisque la fédération norvégienne de football a décidé d’octroyer aux équipes nationales féminine et masculine le même salaire : 6 millions couronnes par an – soit deux fois plus qu’auparavant pour les joueuses norvégiennes


 


Augmenter le PIB en réduisant les inégalités


Toutefois, la rémunération n’est pas la seule cause d’inégalité. Le 7 mars dernier, l’ONU a estimé que « Les disparités professionnelles entre hommes et femmes n’ont pas connu de véritable diminution depuis un quart de siècle, et la situation ne changera que lorsque les hommes assumeront davantage de tâches à domicile. » Selon une étude de l’INSEE, en moyenne, en France, les femmes consacrent 3h26 par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, etc.), contre 2h pour les hommes (données de 2010). Par ailleurs, dans leur étude « Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ? », Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz observent qu’ « Au cours des 25 dernières années, les femmes ont consacré davantage de temps aux activités parentales, mais elles ont sensiblement réduit le temps dédié à l’entretien domestique. Cette baisse tient surtout aux changements de leurs pratiques, et dans une bien moindre mesure, à la progression de l’activité féminine et aux changements des structures familiales (...). »


Ailleurs dans le monde, d’après une étude menée par le McKinsey Global Institute (MGI), le plus gros écart de temps non rémunéré se constate en Turquie, où ce temps représente 25 % chez les hommes pour 75 % chez les femmes, ou encore en Italie (22 % - 61 %). La Finlande, la Suède et la Norvège tirent quant à elles leur épingle du jeu avec les plus faibles écarts.


L’OIT souligne elle aussi dans un rapport publié début 2019 qu’il existe plusieurs facteurs bloquant l’égalité dans l’emploi, et que « celui qui pèse le plus est la garde d’enfants ». 647 millions de femmes en âge de travailler (soit 21,7 %) dans le monde sont en effet, à plein temps, prestataires non rémunérées de soin à autrui, et ce pourcentage monte à 60 % dans les pays arabes, quand seuls 41 millions d’hommes (1,5 %) le sont. Cette inégalité fait peser sur les femmes une « pénalisation professionnelle de la maternité » face à l’emploi, tandis que les hommes pères jouissent d’une prime salariale, précise le rapport.


Ces heures non rémunérées le sont parfois au détriment des heures rémunérées. Le MGI le met en évidence dans son étude (chiffres de 2014) : aux Pays-Bas, en Allemagne et au Royaume-Uni, la différence entre la part d’hommes en temps partiel et la part de femmes est flagrante (respectivement : 19 % - 61 %, 8 % - 38 %, 11 % - 39 %), tandis qu’en Hongrie, en Pologne ou encore au Portugal, cet écart est minime. La France, quant à elle, se situe dans le ventre mou (7 % - 25 %).


Pourtant, selon le MGI, pour parvenir à l’égalité sur le lieu de travail, « il faut aborder les fossés en matière de temps partiel et de travail non rémunéré ». Pour l’institut de recherche, il existe trois manières de réduire l’écart économique entre les femmes et les hommes : augmenter les heures travaillées par les femmes, accroître la participation des femmes au marché du travail et augmenter la représentation des femmes dans les secteurs à haute productivité. « Ces trois manières interrogent implicitement la situation actuelle qui pousse les femmes à travailler à temps partiel et à fournir la part du lion des services tels que les soins et les travaux ménagers. La diminution du taux d’emploi en temps partiel des femmes et celle de leur part d’heures non rémunérées sera essentielle pour capter le potentiel économique des femmes dans l’Europe occidentale », considère-t-il.


Des pays se sont déjà mis au diapason, en œuvrant au niveau du congé parental.


Ainsi, l’Islande a décidé d’attribuer un congé parental de trois mois pour la mère, trois mois pour le père, et trois mois supplémentaires à se partager.


Lors de la conférence sur l’impact économique des inégalités hommes/femmes à la Banque de France le 7 mars dernier, Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France, a quant à elle évoqué l’exemple canadien : 52 semaines qui se partagent entre les deux parents, auxquelles le gouvernement a ajouté 5 semaines supplémentaires pour le deuxième parent. « 57 semaines partagées permettent un meilleur partage des tâches non rémunérées. Les deux parents développent une relation à la maison. Une fois le réflexe développé du partage des tâches à la maison, ce muscle s’exerce, et les bonnes pratiques demeurent », a-t-elle estimé.


Globalement, les régions du monde pourraient augmenter considérablement leur PIB en réduisant tous types d’inégalités entre hommes et femmes. C’est en tout cas la conclusion que tire le McKinsey Global Institute, qui a envisagé un scénario de « plein potentiel » dans lequel la participation des femmes à l’économie serait identique à celle des hommes. Dans ce scénario, le monde ajouterait 28 000 milliards de dollars au PIB d’ici 2025, dont 5 000 milliards provenant d’Europe occidentale. Le MGI a également analysé un scénario alternatif dans lequel tous les pays comparent leurs progrès en matière de parité hommes-femmes à ceux du pays à l’amélioration la plus rapide de leur région. Dans ce cadre, l’Europe occidentale pourrait augmenter son PIB de 2 000 milliards de dollars en 2025, soit 9 %. « Pour concrétiser les opportunités économiques décrites, les actions visant à réduire l’écart entre les sexes doivent s’étendre au-delà du lieu de travail et englobent la société dans son ensemble », recommande l’institut de recherche.


 


Plus de femmes dans les CA : un « rendement additionnel »


La feuille de route pour l’égalité entre les hommes et les femmes au sein de l’Union européenne adoptée pour la période 2006-2011 accordait une place centrale à la promotion de l’accès des femmes aux postes à responsabilité, à la fois dans le champ politique et sur le marché de l’emploi. « 29 % de sénatrices, 39 % de députées, 40 % de conseillères municipales. Le bilan de la parité en politique est de moins en moins défavorable aux femmes, sauf aux fonctions à haute responsabilité », pointait pourtant l’Observatoire des inégalités fin 2017.
La même année, Eurostat soulignait que « seulement 1 manager sur 3 dans l’UE est une femme… gagnant en moyenne quasiment un quart de moins qu’un homme. Bien que représentant pratiquement la moitié des personnes travaillant dans l’UE, les femmes demeurent sous-représentées parmi les managers ».


Par ailleurs, selon les chiffres du Monde, « en 2017, parmi les 1 039 personnes nommées pour la première fois sur l’un des 6 000 emplois concernés par la loi Sauvadet, seules 36 % étaient des femmes ». La loi de 2012 avait pourtant imposé qu’à partir de 2018, toutes les directions des employeurs des trois fonctions publiques devraient compter au moins 40 % de personnes de chaque sexe.


Il y a cependant un domaine dans lequel la France s’est nettement améliorée en matière de parité.
« La France, championne du monde de la féminisation des conseils d’administration », se félicitait ainsi un article des Echos paru en ce mois de mars. En effet, au 1er janvier 2019, plus de 10 000 entreprises françaises devaient compter 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Une obligation issue des quotas imposés par la loi Copé-Zimmermann, adoptée en 2011. Résultat atteint : aujourd’hui, les femmes occupent 43,6 % des sièges d’administrateurs dans le SBF 120. 23 sociétés comptent même au moins 50 % de femmes administrateurs, et Sodexo, Kering, Ipsos ou CGG affichent même un taux de féminisation de 60 % (certains, en revanche, préfèrent domicilier leur siège social hors de France, plutôt que d’accepter davantage d’adiministratrices, voir p. 12).


Lors de la conférence sur l’impact économique des inégalités hommes/femmes à la Banque de France, l’ambassadrice du Canada en France (et première femme à ce poste) Isabelle Hudon est revenue sur les résultats d’une étude qui a pu démontrer que « chaque femme supplémentaire sur un conseil d’administration est associée à un rendement additionnel ». Ainsi, pour atteindre la parité, Air Canada, qui dispose d’un conseil d’administration de 11 personnes, devrait ajouter 3 femmes en congédiant 3 hommes. Ces 3 femmes représenteraient alors entre 40 et 60 millions de dollars canadiens de rendement additionnel. « C’est la complémentarité entre hommes et femmes qui génère cette valeur additionnelle », a commenté Isabelle Hudon.


Anciennement présidente de la Financière Sun Life au Québec, ayant siégé à de nombreux conseils d’administration, l’ambassadrice a adressé quelques conseils aux entreprises, afin que les femmes accèdent plus facilement aux postes à responsabilités. « Établissez des objectifs de parité et communiquez-les », a recommandé Isabelle Hudon. « Rendez visibles et célébrez différents modèles de femmes dans vos organisations, dressez un portrait de la parité, identifiez vos talents féminins à haut potentiel et investissez auprès d’elles pour mieux les comprendre. Mettez sur pied des programmes de mentorat où l’on choisit soi-même son mentor. N’acceptez aucune liste de candidature pour un poste où il n’y a pas de femme. Parlez à vos enfants pour ne pas avoir à défaire des biais inconscients à l’âge adulte. Et, surtout, n’acceptez jamais que des femmes s’assoient à la deuxième rangée et non à la même table que les hommes. »


Pour l’heure en tout cas, et de façon globale, le rapport du World Economic Forum estime qu’il faudrait 108 ans pour arriver à la parité dans le monde. Lors de la conférence sur l’impact économique des inégalités hommes/femmes organisée à la Banque de France, la sous-gouverneure Sylvie Goulard l’a martelé : « Si nos institutions sophistiquées n’arrivent pas à avancer sur ces questions, c’est qu’il s’agit d’un problème culturel. Jusqu’à présent, nous n’avons pas su mettre en place un système qui prenne en compte ces objectifs de parité. Nous sommes arrivés à faire des choses bien plus compliquées. Si l’on veut que les choses changent, il faut s’en donner les moyens. »



Bérengère Margaritelli


 


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