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L’édition 2024 des e-rencontres Notaires Conseil d’Entreprise (NCE) a porté mi-octobre sur le thème de la transmission d’entreprise. Moment crucial de la vie d’un chef d’entreprise, une transmission se prépare longtemps à l’avance. En cette période d’incertitude économique et législative, quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour réussir sa cession ? Notaires, experts-comptables, professionnels de la cession d’entreprise, etc., délivrent leurs conseils.
Interrogée
par le journaliste économique Guillaume Mollaret, lors de la 5e
édition des e-rencontres NCE, le 15 octobre, sur l’état du marché des cessions-acquisitions
aujourd’hui en France, Corinne Privateli, membre de la Compagnie des Conseils
et Experts Financiers (CCEF) et associée MGT Partners, estime que celui-ci est
en plein développement.
Cette
dynamique s’explique selon elle par le fait que de nombreux dirigeants sont
aujourd’hui proches de l’âge de la retraite et vont donc devoir céder leur
entreprise à plus ou moins long terme. Si l’on se réfère aux données des Chambres
du commerce, plusieurs centaines de milliers d’entreprises seront cessibles
dans les années à venir.
Cependant,
précise Corinne Privateli, « ces chiffres concernent 90 % d’artisans et
de commerçants et pas des PME au sens strict du terme ». La nature des
cessions-acquisitions a cependant beaucoup changé en une quinzaine d’années. À
l’époque, 80 % des entreprises cédées l’étaient dans le cadre familial et les
20 % restantes l’étaient à l’externe. Aujourd’hui, les pourcentages sont
inversés.
Un
marché dynamique freiné par des incertitudes
Sur
le marché, la cession peut cependant s’avérer plus difficile, notamment pour
les petites entreprises, informe Corine Privateli. Celles-ci sont en général
éminemment liées à leur dirigeant ainsi qu’à des actionnaires clés de
l’entreprise qui partent au moment de la transmission. Par conséquent, le prix
de cession sera plus faible, car « l’acquéreur considérera que le
risque de perdre une partie de la clientèle est élevé. »
Les
incertitudes réglementaires et législatives de l’année 2024 ont-elles eu un
impact sur le moral des cédants et des acquéreurs ? Pour Nathalie Rocher,
notaire NCE à Paris, cela ne fait aucun doute. D’abord, le taux d’emprunt
bancaire a beaucoup augmenté en deux ans. Lors d’un rachat d’entreprise,
c’est-à-dire lors d’une opération dite « à risque », le taux d’intérêt
s’élève à 5 % environ. « Dans le cadre de financements alternatifs, ce taux peut même être plus élevé » pointe-t-elle.
À lire aussi : Entre bilan et
revendications appuyées, le 120e Congrès des notaires en ordre de marche
En
outre, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, les
notaires s’interrogent en particulier sur le taux de taxation des
plus-values. Il s’agit en effet d’une information essentielle pour le cédant. Actuellement,
le Prélèvement forfaitaire unique (PFU) taxe le bien à hauteur de 30 % :
12,8 % sont liés à l’impôt sur le revenu et 17,2 % aux prélèvements sociaux. Le
10 octobre dernier, le Projet de loi de finances 2025 a été présenté au Conseil
des ministres. Or, celui-ci prévoit un rehaussement de ce taux, mais uniquement
pour certains foyers fiscaux : « Aujourd’hui, nous savons que le taux
de 12,8 % risque de passer à 20 % » déclare Nathalie Rocher. Celle-ci a
cependant exprimé son soulagement quant au maintien du PFU à 30 % dans ladite
loi.
Malgré ce contexte économique
incertain, Nathalie Rocher estime qu’il est possible pour un cédant de s’en
sortir d’un point de vue fiscal : « Il existe des régimes de faveur
intéressants pour les TPE-PME ». Actuellement, l’exonération des
plus-values est totale pour les entreprises valant jusqu’à 500 000 euros et est
partielle pour les entreprises valant jusqu’à un million d’euros. Les seuils
ont été augmentés puisqu’autrefois l’exonération était totale quand
l’entreprise valait moins de 300 000 euros et partielle quand elle valait
jusqu’à 500 000 euros. « Ce dispositif est efficace et permet à beaucoup
d’entreprises d’être cédées en franchises d’exonération, concernant l’impôt sur
le revenu et les prélèvements sociaux », reconnait la notaire.
Bien préparer sa
transmission pour ne pas la subir
Bruno
Jacquet, délégué CRA – association qui accompagne les cédants et les repreneurs
d’entreprise dans leurs démarches – à Lyon, rappelle qu’une transmission
d’entreprise prend au moins six mois à partir du moment où le cédant présente
son affaire sur le marché. « Le dirigeant doit avoir à l’esprit qu’il fait
face à son plus gros client » souligne le délégué CRA à Lyon.
Dès le début de sa réflexion, le chef d’entreprise doit prévenir ses
experts-comptables, ses avocats et ses notaires, insiste-t-il. Pour bien
préparer sa cession, il convient en premier lieu d’anticiper les questions que
pourraient poser, de prime abord, les potentiels acquéreurs : qu’est-ce qui
est vendu et comment ? Pourquoi est-ce vendu ? À quel moment la vente
est-elle prévue ? Quel est le prix de cession ?
Par
exemple, selon Jérôme Cesbron, président de NCE et notaire à Grenoble, il
convient de bien connaître la différence entre « céder son fonds de commerce
et céder son entreprise ». Céder son fonds de commerce équivaut à céder un
actif et un futur chiffre d’affaires. Le successeur va seulement reprendre le
droit au bail, les salariés ainsi que la clientèle. En revanche, céder son
entreprise est « beaucoup plus engageant », car en plus des éléments susmentionnés,
le chef d’entreprise cède aussi les comptes bancaires, les stocks ainsi que les
dettes. Par conséquent, le prix de cession est complètement différent : « Si
l’entreprise possède une trésorerie florissante, sa valeur sera bien supérieure
à celle d’un fonds de commerce. »
Autre
critère d’importance : l’immobilier de l’entreprise est-il logé dans la
structure d’exploitation ? Dans le cadre d’une cession d’entreprise,
l’immobilier sera lui aussi vendu. Or, selon Me Cesbron, cette situation va créer
une « double contrainte » : celle de ne pas avoir le choix de tout
acheter et celle de créer une survaleur difficilement finançable. Jérôme
Cesbron préconise donc que l’immobilier soit logé dans une autre structure.
Ainsi, lors de la cession d’entreprise, l’acheteur pourra acheter l’entreprise sans
l’immobilier. Le chef d’entreprise pourra quant à lui décider de céder
l’immobilier un peu plus tard : « Si la cession intervient au moment de
sa retraite, cela peut lui permettre de conserver un revenu » ajoute le
président de NCE.
En définitive, « une cession anticipée et préparée va permettre de déminer un certain nombre de sujets […] et de questions qui peuvent être crispantes. » garantit Jérôme Cesbron.
Si
des prestataires aident à la mise en vente d’entreprises sur le marché, par
ailleurs, certains cabinets de conseil sont également spécialisés dans la
cession et l’acquisition d’entreprises, et peuvent aider les entreprises à
monter un dossier de présentation. Bruno Jacquet encourage d’ailleurs les dirigeants
à réaliser une plaquette de leur société incluant des photographies des locaux
et du matériel.
La délicate question du prix
de cession
Le prix de cession étant un
des éléments clés lors d’une négociation de reprise d’entreprise, à quel moment
et comment aborder cette question avec l’acheteur ?
Pour
Bruno Jacquet, il convient de ne pas aborder ce sujet lors de la première
rencontre. En effet, au cours du premier rendez-vous, le cédant et le potentiel
acheteur font connaissance et déterminent s’ils peuvent oui ou non faire
affaire ensemble. Cependant,
dès le deuxième entretien, « il faut que le cédant sache ce que l’acquéreur
attend et inversement » affirme-t-il.
Reste qu’il est essentiel,
pour le cédant, d’avoir au préalable bien estimé la valeur de son entreprise. Or,
la valorisation d’une entreprise tient certes aux données comptables, mais il
faut aussi prendre en compte la valeur de la clientèle, le fonds de commerce,
le contexte, etc. La fixation du prix résulte d’une réflexion commune de
l’ensemble de conseils. « Ce n’est pas seulement une somme mathématique »
insiste le délégué CRA à Lyon.
De son côté, Corinne
Previtali rappelle que le prix de cession ne correspond pas forcément à la
valeur de l’entreprise : « La valeur est un élément calculé avec des
méthodes qui ont leur vertu et qui permettent de donner une idée. Cependant le
prix c’est ce que l’acquéreur sera prêt à payer et cela peut être très
différent de la valorisation purement financière qui est faite à partir des
chiffres de l’entreprise » explique-t-elle. À l’heure actuelle, sur le
marché, la valeur d’une entreprise est essentiellement basée sur un multiple
lié à la performance économique : « L’acquéreur achète la performance
économique future de l’entreprise en se basant sur sa performance passée. »
Une fois la cession
effectuée, reste la question de la durée pendant laquelle le cédant peut rester
dans l’entreprise. Pour Jérôme Cesbron, si un accompagnement est prévu, les
modalités financières liées à celui-ci doivent avoir été déterminées à l’avance
entre les deux parties : cet accompagnement fait-il partie du prix de
cession ou va-t-il donner lieu à une rémunération ? En outre, celui-ci distingue
un accompagnement dans le cadre d’une transmission de savoirs et celui effectué
lors d’une transmission de management et de gestion. Dans le premier cas, l’accompagnement
peut être un peu plus long, car l’acquéreur peut ne pas disposer de toutes les
compétences techniques requises pour reprendre l’entreprise. En revanche, dans
le deuxième cas, « il faut assez vite laisser la place au nouveau dirigeant »
estime-t-il.
Plus catégorique, Bruno
Jacquet incite fortement le cédant à « laisser son bureau au nouveau
dirigeant » dès le premier jour de l’accompagnement.
Maria-Angélica
Bailly
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