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Plusieurs entreprises coopératives du secteur maritime, réunies mardi 15 octobre à Marseille, ont présenté leur modèle de fonctionnement qui se distingue par une gouvernance démocratique et un partage des bénéfices entre les propriétaires salariés de la société. Ces exemples de réussites exposent un modèle entrepreneurial qui répond à des attentes sociales et environnementales actuelles.
Les
coopératives sont des formes d'entreprises qui, comme toute société
commerciale, cherchent à faire des bénéfices, mais elles se distinguent par
leur gouvernance qui se veut « démocratique ». Dans ce modèle, les
investisseurs sont plutôt internes qu’externes. Chaque salarié qui prend part
au capital se retrouve évidemment associé. On parle alors de « salarié associé
».
Attention
à une différence avec les autres formes de société, le salarié associé dispose
d’une voix unique au sein de la gouvernance de l’entreprise, et ce, quelle que
soit son importance dans le capital. Cette caractéristique distingue les
coopératives des autres entreprises. Elles garantissent par ailleurs une
répartition équitable des bénéfices entre les associés.
Les SCOP
(sociétés coopératives et participatives) et les SCIC (sociétés coopératives
d'intérêt collectif) sont les formes juridiques les plus courantes en France.
Une SCOP est une société (SA, SARL ou SAS) coopérative dont les salariés sont
les associés majoritaires. Ils doivent détenir au moins 51% du capital social.
Dans une
SCIC, les mécanismes coopératifs et participatifs sont identiques à ceux de la
SCOP. La principale différence se fait au niveau de la gouvernance : elle doit
obligatoirement réunir les acteurs (salariés, collectivités, usagers) autour
d’un projet d’utilité publique. L’activité d’une SCIC diffère ainsi d’une SCOP
dans le sens où elle comporte un objectif social, par exemple la préservation
de l’environnement.
Plusieurs
expériences réussies de coopératives du secteur maritime ont été présentés lors
d’une table ronde, organisée mi-octobre à Marseille par l’Union régionale
(Paca) des SCOP et SCIC.
Ainsi,
Hisseo est une SCIC créée en 2023 dont l’objectif est de développer le
transport de marchandises par bateaux à voile, en Méditerranée. Les levées de
fonds sont en cours et l’intention est de commencer les premières traversées en
2026. L’entreprise a opté pour le statut coopératif car cette forme est le plus
adapté pour porter des « valeurs » dans le monde de l’entreprise, a déclaré
Djamina Houdet-Caseneuve, présidente de la société.
« Avec
Hisseo, l’objectif n’est pas de créer du business, mais de contribuer à la
transition écologique en proposant une alternative aux transports polluants », développe-t-elle. Pour atteindre cet objectif, « nous
avons besoin d’une activité économique qui tienne la route et soit viable sur
le long terme ».
La
gouvernance ouverte de la SCIC fonctionne selon des principes démocratiques.
Elle réunit toutes les parties prenantes. « Cela a permis de fédérer tous
les acteurs économiques ayant pris part au projet, c’est-à-dire les chargeurs,
les utilisateurs des transports, mais aussi des institutionnels, des
collectivités et des citoyens », détaille la présidente. « Une
gouvernance démocratique est également un bon moyen d’impliquer davantage les citoyens
à l’enjeu environnemental porté par Hisseo », témoigne-t-elle.
Franck
Rossi est président de la coopérative du lamanage de Marseille et du Golfe de
Fos. Créée en 1946, cette SCOP a débuté son activité sur les eaux de Marseille,
avant de s’étendre à celles de Fos et de Port-de-Bouc. Elle emploie aujourd’hui
une centaine de personnes dont 84 associés. Le lamanage est un terme maritime
qui désigne l’assistance aux navires lors de leur entrée, sortie ou manœuvre
dans un port, en utilisant notamment des remorqueurs pour les guider avec des amarres.
« Nous
sommes bien une coopérative avec un fonctionnement totalement démocratique. Le
président est élu pour un mandat de quatre ans au maximum. Nous avons un
conseil d’administration, une assemblée générale et des commissions », expplique Franck Rossi. « Chez nous, le conseil
d’administration dispose d’une vraie latitude pour investir, racheter des
sociétés, et se développer », constate le président. « Le dialogue
social est donc le mode de fonctionnement des coopératives », affirme-t-il.
D’après son expérience, il est « absolument faux » de croire que ce type
d’organisation est synonyme de lenteur dans la prise de décisions.
A la
coopérative du lamanage, comme dans les autres SCOP et SCIC, les résultats sont
répartis équitablement entre les associés salariés. « Les dividendes sont
divisés chaque année entre les 80 lamaneurs associés », témoigne Franck
Rossi. « Il y a une vraie répartition. […] Cette redistribution des
bénéfices n’empêche pas la coopérative d'avoir une puissance financière, grâce
notamment à son ancienneté », ajoute-t-il. « Cela nous permet d'investir
dans des bateaux ou d’autres sociétés. »
Autre
exemple, la société ATEM est une SCOP marseillaise spécialisée dans la
maintenance de machines tournantes. Elle compte 70 employés dont 55 associés.
Elle a été créée en 1977 par les sept employés d’une précédente entreprise qui
avait fait faillite. Ils ont mis leurs indemnités de licenciement en commun
pour reprendre l’affaire, sous le statut de coopérative. « Aujourd’hui,
notre société représente 47 ans d’existence et autant d’exercices positifs »,
se félicite Ludovic Viviand, ingénieur commercial chez ATEM.
Dans
cette entreprise, environ 65% des bénéfices sont partagés entre les salariés,
dont 20% sous la forme d’intéressement, 10% en dividendes. Le reste est réparti
à parts égales en réserves (pour des investissements et la solidité de
l’entreprise) et en participation. Dans les autres formes de société, les
propriétaires reçoivent des dividendes en cas de distribution, sans autre
engagement que leur risque financier. Là, cette rétribution revient aux
propriétaires acteurs de cette réussite. « Une grosse partie des bénéfices
récompense chaque année le fruit du travail des salariés coopérateurs »,
souligne Ludovic Viviand.
Comme
toute société commerciale, une coopérative doit présenter des finances saines. «
La coopérative du lamanage est une société organisée en SA. Cela implique
d’avoir un résultat pour pouvoir investir chaque année », souligne son
président, Franck Rossi. « Nous avons donc une double casquette : une
société commerciale, mais avec un capital qui est détenu chez nous à 100% par
les travailleurs ».
Pour
durer, une entreprise coopérative doit s’inscrire dès le début dans une
démarche entrepreneuriale, complète Patrick Maddalone, secrétaire général du
Grand Port Maritime de Marseille. À l’instar de n’importe quelle société
commerciale, « elle doit dégager des bénéfices, générer du chiffre
d’affaires, aller chercher des clients et rémunérer ses salariés tout en
veillant à leurs conditions de travail », résume-t-il.
Malgré
cela, beaucoup de clichés perdurent sur les coopératives, au premier rang
desquels l’idée qu’elles naissent toutes d’une faillite. « L’image des SCOP
est trop souvent associée à une reprise d’activité par les salariés lorsque
l’entreprise va mal », raconte Patrick Maddalone. « Lorsqu’une
entreprise est en difficulté, généralement les employés pensent tout de suite à
la SCOP. Or, il ne faut pas limiter la possibilité de créer une coopérative à
ce moment précis de la vie de l’entreprise ».
Le
statut de coopérative offre des avantages qui peuvent notamment séduire les
générations de jeunes actifs. Ainsi,
« la génération Z a besoin d’une raison d’être pour pouvoir adhérer à un
projet professionnel, ce qui correspond pleinement à l’esprit SCOP »,
considère Patrick Maddalone. « Les coopératives peuvent être ainsi une
réponse face à l’émergence d'entreprises à missions. »
Malgré
ses points forts, le statut coopératif peut parfois freiner le développement de
l’entreprise, en particulier pour ce qui concerne les investissements. Un souci
car, s’agissant de l’économie liée à la mer, Franck Rossi précise « qu’il
peut être difficile de demander à des ouvriers d’investir des montants
importants. Or le secteur maritime demande par nature beaucoup d’argent, ne
serait-ce que pour l’achat de bateaux ».
Une
autre spécificité réduit la capacité à attirer des investisseurs extérieurs. «
Le fait que les salariés doivent détenir 51% du capital peut faire peur »,
relève Ludovic Viviand. En outre, avec le fonctionnement démocratique de la
gouvernance, « il ne faut pas oublier de formaliser les échanges, pour
pouvoir prendre des décisions et éviter que cela parte dans tous les sens »,
ajoute le représentant d’ATEM.
Par
ailleurs, une problématique répandue tient à l’image véhiculée par les
entreprises coopératives. « Le modèle coopératif n’est pas toujours compris
» dans certains milieux d’affaires traditionnels. « Il y a beaucoup d’a
priori », rapporte Djamina Houdet-Caseneuve. « Il est souvent nécessaire
de rassurer les partenaires potentiels en leur disant notamment que ce n’est
pas parce qu’on est une SCIC que les décisions sont longues à prendre ».
Pourtant,
travailler avec une coopérative présente un intérêt particulier pour les
investisseurs. « C’est la garantie d’un engagement important de la part des
salariés sociétaires et d’une qualité dans le travail rendu », affirme
Ludovic Viviand. De plus, des coopératives comme Hisseo, peuvent motiver un
type précis d’investisseurs : « ceux orientés vers l’impact et qui veulent
concrètement contribuer à la transition écologique », complète Djamina
Houdet-Caseneuve.
Les
coopératives apparaissent comme un modèle alternatif d’entreprises. L’équité
sociale et la promotion de valeurs, telles que la défense de l’environnement,
en constituent les principales qualités.
Sylvain Labaune
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