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À
l’automne dernier, Gérard Sousi, président de l’Institut Art & Droit, et
Blanche Sousi, professeure émérite de l’université Jean Moulin Lyon 3, ont
convié une nouvelle fois les juristes à une journée de réflexion sur les NFTs.
Curiosité actuelle, sujet d’interrogation, d’exploration : comment appréhender
l’œuvre d’art NFT ? Artistes, mécènes, galeristes, professeurs, avocats
ont exprimé leurs observations pratiques. Nous ne nous arrêtons pas ici sur le
début de la conférence reprenant la présentation des tokens déjà traitée (cf JSS
n° 44 du 16 juin 2021).
Blanche Sousi explique
que les tokens naissent, vivent, évoluent, circulent. Les jetons numériques se
distinguent en fongibles et non fongibles. Les premiers existent en exemplaires
multiples, absolument semblables, ce qui les rend interchangeables (bitcoin,
ethereum, stablecoin). En droit classique, ils s’apparentent à des choses de
genre. Les seconds, uniques, identifiés, ne peuvent pas se remplacer. En droit
civil, ce sont des corps certains. Sans doute le droit va-t-il s’adapter et
calquer dans l’univers virtuel ce qu’il connaît déjà dans le réel. Les jetons
numériques, fongibles ou non, constituent, en droit français, dans le Code
monétaire et financier (CMF), des actifs numériques. Le droit européen, pour sa
part, parle de crypto-actifs. Certains servent de moyen de paiement (bitcoin,
ethereum) au même titre qu’un virement ou une autorisation de prélèvement, sans
être des monnaies pour autant. Cependant, de véritables monnaies numériques
(euro) naîtront sans doute prochainement.
La fiscalité des NFTs
Ivana Zivanovic, avocate counsel au cabinet CMS Francis
Lefebvre, est spécialisée en fiscalité internationale des personnes physiques
et du marché de l’art. Comme beaucoup d’acteurs du marché de l’art, l’avocate
constate que 2021 a été l’année des NFTs et de leur utilisation effective,
notamment dans les grandes maisons de vente. Chacun se demande désormais quelle
est la place des NFTs, et celle plus largement de l’art numérique, dans le
marché contemporain. Est-ce un amusement d’initié, un hobby de geek, un
divertissement temporaire ? Les artistes traditionnels, les
collectionneurs vont-ils suivre cette mode ?
Et fiscalement, comment l’imposer ? Les NFTs aujourd’hui ne font pas l’objet d’une régulation spécifique sur ce point. Souvent qualifiés « d’ovnis juridiques », ils ne répondent à aucune qualification qui permette à l’administration fiscale de les caractériser et donc de les taxer. « Généralement, selon Ivana Zivanovic les fiscalistes fonctionnent de deux manières. Soit un régime existe déjà et le fonctionnement se fait par analogie. Soit il faut essayer de créer un régime ad hoc. »
La fiscalité a suivi plusieurs étapes. Il y a une
dizaine d’années, elle se fondait sur le Code général des impôts (CGI) pour
déterminer l’imposition des gains tirés de la cession d’actifs numériques.
L’article 34 indique qu’un tiers qui réalise des gains à titre habituel en
raison d’actifs numériques est soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie
des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), précise l’avocate. Un tiers qui
réalise des gains de cession à titre occasionnel, est sous le coup de
l’article 92 du CGI. Il sera soumis à l’impôt sur le revenu pour des bénéfices
non commerciaux. Toutefois, la jurisprudence a partiellement invalidé cette
approche. Le Conseil d’État indique le 26 avril 2018 que c’est seulement dans
le cadre d’une activité d’achat-revente qu’une personne physique qui réalise
des gains à titre vraiment habituel se trouve dans la catégorie des BIC. Sinon,
la personne est imposée comme si elle vendait un bien meuble. Les gains
réalisés sur les ventes de biens meubles sont des plus-values imposables au
taux global de 36,2 %. La loi de
finances est venue appuyer légèrement l’administration et le Conseil d’État.
Elle a créé l’article 150 VH bis du Code général des impôts qui énonce que les
plus-values réalisées par des personnes physiques résidentes de France lors de
cession à titre onéreux d’actifs numériques sont imposables à titre de revenu,
et sujettes à prélèvement forfaitaire unique, c’est-à-dire concrètement une
flat tax de 30 %. Les 30 % se décomposent en 12,8 % d’impôts sur
le revenu et 17,2 % de
prélèvements sociaux. Le fait générateur n’est pas l’opération d’échange entre
actifs numériques, sauf pour les personnes physiques qui pratiquent cette
activité de manière habituelle et restent donc imposables dans la catégorie des
BIC à l’impôt sur le revenu. La législation a finalement rejoint la définition
du Code monétaire et financier ainsi que la loi PACTE du 22 mai 2019. « Mais les NFTs rentrent-ils dans le cadre des
actifs numériques, ou bien faut-il les considérer fiscalement comme des œuvres
d’art ? » demande Ivana Zivanovic. « Pour
l’heure, la question demeure sans réponse. »
Le député Pierre Person (Paris, 6e circonscription), à l’occasion de la loi de finances
2022, a déposé une série d’amendements dont un sur les NFTs. Son but était
justement de clarifier leur régime fiscal et
donc de leur associer une définition juridique. Le parlementaire souligne deux
évidences. Premièrement, le phénomène des NFTs occupe maintenant une place économique et financière
indéniable. La
société Sorare, par exemple, est à l’origine d’une importante levée de fonds
(0,5 milliard d’euros) de la French Tech. Or, cette levée de fonds repose sur
les NFTs. Deuxièmement, l’incertitude du traitement fiscal des NFTs rend
anxiogène leur détention et bride l’attractivité de la France dans ce domaine.
Il convient donc d’y remédier. L’amendement avait pour objet de donner une
définition aux NFTs qui les exclut expressément du régime général des
plus-values de cession des actifs numériques. Il créait un autre régime ad hoc applicable aux seuls NFTs. Il ajoutait un
article 150 VH ter, à la suite du 150 VH bis du CGI. La proposition du député
prévoyait l’imposition du NFT en fonction de son sous-jacent (pas
nécessairement de l’art). L’imposition était adaptée à la
nature du bien tokenisé. Concrètement, pour un NFT lié à une œuvre d’art, sa
vente impliquait de se tourner vers le sous-jacent et d’imposer en fonction,
c’est-à-dire imposer à la taxe forfaitaire de la cession d’une œuvre d’art.
L’idée n’a pas été retenue et l’amendement a malheureusement été retiré. Dès
lors, la responsabilité incombe au fiscaliste de qualifier juridiquement le NFT
et de lui appliquer le régime fiscal associé. Ivana Zivanovic entrevoit
trois possibilités :
• le NFT est un
actif numérique ;
• le NFT n’est pas
un actif numérique, mais un bien meuble incorporel ;
• le NFT est une
œuvre d’art.
Si le NFT est considéré comme un actif numérique, c’est soit un crypto, soit un jeton numérique. Le crypto est un moyen d’échange, donc fongible et contraire au NFT. Quant au jeton, dans les textes, le critère de fongibilité n’apparaît pas. Cependant, pour assimiler le NFT au jeton numérique prévu par l’article L. 552-2 du CMF, il faudrait que le NFT représente un droit. Si on considère le NFT comme un actif numérique, les gains de cession seront assujettis à la flat tax de 30 %. C’est le cas du résident en France qui réalise des opérations à titre occasionnel. Si, en revanche, il pratique des opérations à titre habituel, il intègre la catégorie imposée aux BIC. Pour un collectionneur taxé à 30 %, le fait générateur se produit lorsqu’il convertit son NFT en monnaie FIAT (émise par une banque centrale, euros, dollar, livre sterling). Pour toute autre opération d’échange, entre deux NFTs ou entre un NFT et un autre actif numérique, il n’y a pas d’imposition. Le collectionneur qui agit de manière occasionnelle est taxé à 30 %, mais s’il est requalifié en professionnel, il doit s’acquitter de l’impôt sur le revenu au barème progressif de 45 % ainsi que des prélèvements sociaux, soit au total environ 60 % au taux marginal.
Si le NFT n’est pas qualifié d’actif numérique, alors le
Conseil d’État le verrait comme un bitcoin, comme un bien meuble incorporel. Le
taux est de 36,2 % selon le
régime de cession des biens meubles incorporels défini à l’article 150 UA du
Code général des impôts. Le taux global de 36,2 % s’applique
après abattement de 5 % pour une
durée de détention au-delà de la deuxième année. Tout gain inférieur à 5 000 euros n’est pas imposable. Dans l’hypothèse où le NFT n’est
pas un actif numérique, les échanges ne bénéficient pas du principe de
neutralité. À chaque
échange, l’impôt tombe puisque le fait générateur est la mutation de propriété.
Ici aussi, la requalification amène à la catégorie générale des bénéfices
industriels et commerciaux qui peut aller jusqu’à 60 % en termes
d’impôt sur le revenu.
Si le NFT est une œuvre d’art d’un point de vue fiscal,
le lien entre les NFTs et l’art existe. Les NFTs, sorte de certificat
d’authenticité, rendent un fichier unique. Qui dit unique dit rare, et,
fiscalement, cela signifie avoir de la valeur, et par conséquent être
imposable. Les NFTs n’épousent pas les caractéristiques de l’œuvre de l’esprit
des articles 111?et suivants du Code de la propriété intellectuelle, mais sur
le plan fiscal, peut-être pourraient-ils trouver une définition d’œuvre d’art.
Celle qui existe en droit fiscal appartient au domaine de la TVA. En effet, la
directive 2006/112?codifiée à l’article?98A de l’annexe 3?du CGI donne une
définition de l’œuvre d’art. Pour l’administration fiscale, une œuvre d’art
doit répondre aux critères posés par cet article : il doit s’agir d’une
création originale (unicité) ; exécutée de la main de l’artiste (l’art
numérique est exclu du CGI). Si, malgré tout, on considère le NFT comme œuvre
d’art, il pourrait bénéficier lors de sa cession d’un régime très avantageux,
celui de la taxe forfaitaire à 6,5 %.
Les NFTs et les artistes
Aujourd’hui, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) gère les droits de 200 000 auteurs. Le sujet des NFTs retient l’attention de son directeur juridique, Thierry Maillard. En effet, leur application la plus évidente tient à la vente d’œuvres numériques, or bien d’autres utilisations se profilent à l’horizon. Le NFT n’est pas l’œuvre, mais plutôt, comme déjà dit précédemment, son certificat d’unicité. Avant le jeton, la vente se concrétisait par l’intermédiaire d’un support, comme un DVD (parfois signé), une clé USB, etc. Ces échanges s’opèrent depuis longtemps. Mais ce que le NFT apporte, c’est la capacité d’une dématérialisation complète. Il ne faut pas y voir la naissance d’un courant artistique, plutôt celle d’un outil qui permet de rendre unique des œuvres numériques. Une autre application envisageable est la duplication numérique d’une œuvre matérielle. Dans ce cas, l’auteur crée à la fois l’œuvre matérielle et son jumeau dématérialisé. Cet usage pourrait se systématiser. Les deux supports d’une même œuvre autoriseraient plusieurs ventes et finalement, chacun suivrait sa propre destinée. Il y aurait également un intérêt pour les œuvres éphémères et pour la conservation des performances actuellement enregistrées sur média vidéo ou photographique. En général, le tirage photographique témoigne a posteriori d’un travail sur un site. Désormais, un artiste de street art peut intervenir sur un mur et prendre des clichés de sa réalisation qui deviennent alors des preuves numériques originales de sa création appelée à disparaître. La vente du double numérique d’une œuvre matérielle préexistante s’opère déjà au British Museum et au musée de l’Ermitage. D’autres pratiques ne sont pas liées à la vente de l’œuvre, comme par exemple des jetons de soutien à l’artiste. En effet, un
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