Préjudices aux patients : hausse des décisions d'indemnisation


lundi 9 décembre 20245 min
Écouter l'article

Alors que le nombre de recours en responsabilité médicale augmente, les organismes en charge des indemnisations acceptent davantage les demandes de compensation. À l'occasion d'un colloque de droit de la santé accueilli fin novembre par l'université Jean-Moulin Lyon 3, les chercheurs ont insisté sur les notions de faute médicale et la définition des responsabilités.

Pourquoi le médecin peut-il ouvrir le corps d'un patient ou le mutiler ? Interroge Bruno Py professeur à l'université de Lorraine. La dérogation au droit commun s'analyse en un permis de soigner justifié par le principe fondamental « specialia generalibus derogant », signifiant que la règle spéciale déroge à la règle générale.

Cette exception à l'interdiction d'attenter à l'intégrité d'une personne ne suffit pas à légitimer la pratique médicale. Un manquement du soignant dans la prévention d'une pathologie, dans le diagnostic ou dans les soins prodigués constitue une faute médicale. Lorsqu'une telle faute est écartée, le patient reste indemnisable si son préjudice est lié à sa prise en charge par le soignant.

Une compensation du dommage étendue à la responsabilité sans faute

« Le droit de la santé est d'abord un droit de protection », introduit le professeur Jean-Michel Lemoine de Forges, professeur à l'université Panthéon-Assas. Depuis l'adoption des lois de bioéthique de 1994 et de la Charte des personnes hospitalisées en 1995, la reconnaissance des responsabilités en matière de santé a considérablement évolué en faveur de la protection des patients. L'exemple le plus flagrant de cette évolution est l'arrêt du 10 novembre 2021 de la Cour de cassation. Dans cette décision, la première chambre civile a retenu une responsabilité de plein droit des établissements publics de santé pour les maladies nosocomiales. Il avait déjà fallu franchir une première étape avec l'adoption de la loi Kouchner en 2002, qui reconnaissait officiellement ces maladies et en admettait une responsabilité sans faute des hôpitaux. L'indemnisation des victimes y était aussi prévue avec la création de l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux).

Selon le dernier rapport publié par l'ONIAM en 2023, plus d'une demande amiable d'indemnisation sur trois est désormais acceptée par les commissions de conciliation et d'indemnisation. Ce chiffre qui parait encore faible, révèle pourtant une hausse de 11% de plus que l'année d'avant.

Cette augmentation s'explique notamment par l'élargissement de la reconnaissance des cas de responsabilité sans faute. Le 24 avril 2024, la Cour de cassation en a consacré l'existence en rappelant que les organismes chargés des indemnisations doivent, au titre de la solidarité nationale, compenser un dommage en l'absence de faute commise par le soignant. Ainsi, même sans faute dans les soins prodigués par le professionnel de santé, si un préjudice résulte de la prise en charge du patient, une indemnisation est prévue.

Cette « compensation du dommage » est effectuée par un organisme public, et non une compagnie d'assurance, « On ne parle plus de justice civile, mais de justice sociale » remarque Alfonso Lopez de la Osa Escribano, Doyen de la faculté de droit à l'université de Nebrija.

Depuis le célèbre arrêt Perruche pris en assemblée plénière en 2000, la Cour de cassation excluait toute indemnisation du seul fait de la naissance d'une personne handicapée, et n'admettait aucune compensation.

Dans la décision du 24 avril dernier, l'appel à la solidarité nationale pour indemniser des préjudices sans faute s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence, jusqu'alors constante. Néanmoins, en plus de considérer une responsabilité sans faute indemnisée au titre de la solidarité nationale, cet arrêt consacre la reconnaissance de « l’accident médical » comme cause d'indemnisation. La Cour, en considérant les deux responsabilités dans cette affaire, en a aussi opéré une distinction, la première sans faute et la seconde avec faute médicale.

Pour retenir l'absence de faute, la haute juridiction a eu à se prononcer sur ce qui distingue la faute de l'erreur médicale. La faute médicale implique une responsabilité personnelle puisqu'elle est causée par une imprudence, tandis que l'erreur médicale est la conséquence d'un aléa thérapeutique, excluant la responsabilité du soignant. Le professeur Lopez de la Osa Escribano explique qu'avant, le juge administratif refusait l'indemnisation des erreurs hospitalières sauf si elles étaient qualifiées de « détachables du service » du fait de leurs gravités.

Des actes médicaux justifiés par leur finalité thérapeutique

La faute médicale est un manquement dans l'accomplissement de l'acte médical. Pour définir ce dernier, quatre conditions sont requises, selon le professeur Py, sans lesquelles, la faute est avérée. Sauf circonstances particulières, le patient doit bénéficier d'une qualité des soins, l'acte doit avoir une finalité thérapeutique, le soignant doit posséder un titre pour exercer, et la volonté du patient doit être recherchée.

Concernant la qualité du soin, cette notion renvoie à la rigueur du soignant dans la prise en charge du patient. Il s'agit de considérer une faute dite « caractérisée », c'est-à-dire, commise par une imprudence particulièrement grave de son auteur. C'est par exemple le cas d'un médecin qui diagnostique à un patient un simple trouble digestif malgré des symptômes évidents de péritonite. La faute est reconnue si le retard de l'opération chirurgicale a provoqué de graves séquelles.

Les actes médicaux sont aussi conditionnés par le principe impérieux de ne pas nuire (« primum non nocere ») rappelé dans plusieurs dispositions du code de déontologie médicale. Pour ne pas empirer l'état du patient, la permission de soigner n'est, par principe, accordée que dans un but curatif. L'acte doit être nécessaire à l'amélioration ou au maintien de l'état de santé du patient. En droit de la santé comme en droit commun, l'état de nécessité est un fait justificatif à la commission d'une infraction et exonère l'auteur d'une sanction pénale. S'il est nécessaire au patient que lui soit pratiquée une ablation de la rate, le chirurgien n'enfreint pas la loi pénale en l'opérant. Dans le cas contraire, l'infraction pénale, et donc la faute médicale, sont qualifiées et impliquent une indemnisation des préjudices subis.

Il faut donc distinguer les actes médicaux à finalité thérapeutique (ex : chirurgie fonctionnelle) et ceux à finalité non thérapeutique (ex : chirurgie esthétique non reconstructive). Bien que ces derniers soient indemnisables au même titre que les premiers, la responsabilité n'est pas, en elle-même, considérée comme médicale. Une décision de la Cour de cassation du 24 mai 2017 est venue différencier ces deux types d'acte.

On a modifié les termes du consentement « à l'acte thérapeutique », qui sont devenus « à l'acte médical ». Ce changement de terminologie s'explique par l'autorisation, en 2001, des stérilisations à visée contraceptive, qui n'ont donc pas de but curatif.

« On devrait distinguer l'acte de soin de l'acte médical »

Le nouveau projet de loi sur la fin de vie, dont les débats ont été reportés à début 2025, suscite une réflexion sur la qualification de l'acte médical. L'acte effectué par un médecin, s'il n'est pas à visée thérapeutique, amène à s'interroger sur la définition de ce qui est médical. Qu'en est-il des soins palliatifs ? Cette question du caractère thérapeutique a notamment été le fruit de réflexions à propos du décès de Vincent Lambert en 2019. Sédater pour soulager, même en fin de vie, doit-il être considéré comme un acte médical ?

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.