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Alors que le nombre de recours en responsabilité médicale augmente, les organismes en charge des indemnisations acceptent davantage les demandes de compensation. À l'occasion d'un colloque de droit de la santé accueilli fin novembre par l'université Jean-Moulin Lyon 3, les chercheurs ont insisté sur les notions de faute médicale et la définition des responsabilités.
Pourquoi le médecin peut-il
ouvrir le corps d'un patient ou le mutiler ? Interroge Bruno Py professeur
à l'université de Lorraine. La dérogation au droit commun s'analyse en un
permis de soigner justifié par le principe fondamental « specialia
generalibus derogant », signifiant que la règle spéciale déroge à la
règle générale.
Cette exception à
l'interdiction d'attenter à l'intégrité d'une personne ne suffit pas à
légitimer la pratique médicale. Un manquement du soignant dans la prévention
d'une pathologie, dans le diagnostic ou dans les soins prodigués constitue une
faute médicale. Lorsqu'une telle faute est écartée, le patient reste
indemnisable si son préjudice est lié à sa prise en charge par le soignant.
« Le droit de la santé
est d'abord un droit de protection », introduit le
professeur Jean-Michel Lemoine de Forges, professeur à l'université
Panthéon-Assas. Depuis l'adoption des lois de bioéthique de 1994 et de la
Charte des personnes hospitalisées en 1995, la reconnaissance des
responsabilités en matière de santé a considérablement évolué en faveur de la
protection des patients. L'exemple le plus flagrant de cette évolution est
l'arrêt du 10 novembre 2021 de la Cour de cassation. Dans cette décision, la
première chambre civile a retenu une responsabilité de plein droit des
établissements publics de santé pour les maladies nosocomiales. Il avait déjà
fallu franchir une première étape avec l'adoption de la loi Kouchner en
2002, qui reconnaissait officiellement ces maladies et en admettait une
responsabilité sans faute des hôpitaux. L'indemnisation des victimes y était
aussi prévue avec la création de l'ONIAM (Office national d'indemnisation des
accidents médicaux).
Selon le dernier rapport
publié par l'ONIAM en 2023, plus d'une demande amiable d'indemnisation sur
trois est désormais acceptée par les commissions de conciliation et
d'indemnisation. Ce chiffre qui parait encore faible, révèle pourtant une
hausse de 11% de plus que l'année d'avant.
Cette augmentation s'explique
notamment par l'élargissement de la reconnaissance des cas de responsabilité
sans faute. Le 24 avril 2024, la Cour de cassation en a consacré l'existence en
rappelant que les organismes chargés des indemnisations doivent, au titre de la
solidarité nationale, compenser un dommage en l'absence de faute commise par le
soignant. Ainsi, même sans faute dans les soins prodigués par le professionnel
de santé, si un préjudice résulte de la prise en charge du patient, une
indemnisation est prévue.
Cette « compensation du
dommage » est effectuée par un organisme
public, et non une compagnie d'assurance, « On ne parle plus de
justice civile, mais de justice sociale » remarque Alfonso Lopez de la
Osa Escribano, Doyen de la faculté de droit à l'université de Nebrija.
Depuis le célèbre arrêt Perruche
pris en assemblée plénière en 2000, la Cour de cassation excluait toute
indemnisation du seul fait de la naissance d'une personne handicapée, et
n'admettait aucune compensation.
Dans la décision du 24 avril
dernier, l'appel à la solidarité nationale pour indemniser des préjudices sans
faute s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence, jusqu'alors constante.
Néanmoins, en plus de considérer une responsabilité sans faute indemnisée au
titre de la solidarité nationale, cet arrêt consacre la reconnaissance de «
l’accident médical » comme cause d'indemnisation. La Cour, en considérant
les deux responsabilités dans cette affaire, en a aussi opéré une distinction,
la première sans faute et la seconde avec faute médicale.
Pour retenir l'absence de
faute, la haute juridiction a eu à se prononcer sur ce qui distingue la faute
de l'erreur médicale. La faute médicale implique une responsabilité personnelle
puisqu'elle est causée par une imprudence, tandis que l'erreur médicale est la
conséquence d'un aléa thérapeutique, excluant la responsabilité du soignant. Le
professeur Lopez de la Osa Escribano explique qu'avant, le juge administratif
refusait l'indemnisation des erreurs hospitalières sauf si elles étaient
qualifiées de « détachables du service » du fait de leurs gravités.
La faute médicale est un
manquement dans l'accomplissement de l'acte médical. Pour définir ce dernier,
quatre conditions sont requises, selon le professeur Py, sans lesquelles, la
faute est avérée. Sauf circonstances particulières, le patient doit bénéficier
d'une qualité des soins, l'acte doit avoir une finalité thérapeutique, le
soignant doit posséder un titre pour exercer, et la volonté du patient doit
être recherchée.
Concernant la qualité du
soin, cette notion renvoie à la rigueur du soignant dans la prise en charge du
patient. Il s'agit de considérer une faute dite « caractérisée »,
c'est-à-dire, commise par une imprudence particulièrement grave de son auteur.
C'est par exemple le cas d'un médecin qui diagnostique à un patient un simple
trouble digestif malgré des symptômes évidents de péritonite. La faute est
reconnue si le retard de l'opération chirurgicale a provoqué de graves
séquelles.
Les actes médicaux sont aussi
conditionnés par le principe impérieux de ne pas nuire (« primum non nocere ») rappelé dans plusieurs
dispositions du code de déontologie médicale. Pour ne pas empirer l'état du
patient, la permission de soigner n'est, par principe, accordée que dans un but
curatif. L'acte doit être nécessaire à l'amélioration ou au maintien de l'état
de santé du patient. En droit de la santé comme en droit commun, l'état de
nécessité est un fait justificatif à la commission d'une infraction et exonère
l'auteur d'une sanction pénale. S'il est nécessaire au patient que lui soit
pratiquée une ablation de la rate, le chirurgien n'enfreint pas la loi pénale
en l'opérant. Dans le cas contraire, l'infraction pénale, et donc la faute
médicale, sont qualifiées et impliquent une indemnisation des préjudices subis.
Il faut donc distinguer les
actes médicaux à finalité thérapeutique (ex : chirurgie fonctionnelle) et
ceux à finalité non thérapeutique (ex : chirurgie esthétique non
reconstructive). Bien que ces derniers soient indemnisables au même titre que
les premiers, la responsabilité n'est pas, en elle-même, considérée comme
médicale. Une décision de la Cour de cassation du 24 mai 2017 est venue
différencier ces deux types d'acte.
On a modifié les termes du
consentement « à l'acte thérapeutique », qui sont devenus « à
l'acte médical ». Ce changement de terminologie s'explique par
l'autorisation, en 2001, des
stérilisations à visée contraceptive, qui n'ont donc pas de but curatif.
Le nouveau projet de loi sur
la fin de vie, dont les débats ont été reportés à début 2025, suscite une
réflexion sur la qualification de l'acte médical. L'acte effectué par un
médecin, s'il n'est pas à visée thérapeutique, amène à s'interroger sur la définition
de ce qui est médical. Qu'en est-il des soins palliatifs ? Cette question
du caractère thérapeutique a notamment été le fruit de réflexions à propos du
décès de Vincent Lambert en 2019. Sédater pour soulager, même en fin de vie,
doit-il être considéré comme un acte médical ?
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