Justice

Violences sexuelles : dans près d’une affaire sur deux, les auteurs sont mineurs


samedi 7 décembre 20248 min
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07/12/2024 10:34:30 1 10 5694 73 0 4223 5110 5293 Yasmine Develle, nouvelle présidente de l’ACE : « La modernisation de la profession d’avocat n’est plus une option »

INTERVIEW. Apport d’affaire, intelligence artificielle, RSE… A la tête du syndicat d’avocats Avocats, Ensemble (anciennement Avocats conseils d’entreprises) depuis fin octobre, l’avocate bordelaise milite contre l’immobilisme. Son mandat sera en outre rythmé par le suivi des recours portés par l’ACE devant la justice européenne, en matière de secret professionnel et de conseil des ressortissants russes.  

JSS : Vous avez été élue présidente de l’ACE après avoir été vice-présidente depuis janvier 2024. Que retenez-vous de ce précédent mandat ? Comment va-t-il nourrir l’exercice de vos nouvelles fonctions ?

Yasmine Develle : En tant que vice-présidente, j’ai pu prendre connaissance des enjeux et des dossiers en cours pour préparer la prise de fonction. A ce titre, je dois souligner l’implication d’Emmanuel Raskin qui m’a accompagnée pendant un an pour lui succéder. J’ai pu travailler aux côtés d'une équipe formidable.

Cette expérience m’a permis de comprendre l’importance d'une écoute attentive et d’une action collective. Mon précédent mandat m’a donné les outils nécessaires pour structurer un projet ambitieux tout en respectant les valeurs fondamentales du syndicat : l’entrepreneuriat, l’innovation et la défense des intérêts de tous les avocats.

JSS : Vous êtes notamment engagée en faveur de la modernisation de la profession, un sujet qui a tendance à la diviser. Sur quels axes allez-vous travailler ?

Y.D. : La modernisation de la profession ne devrait plus être un sujet : c’est une nécessité pour répondre aux défis de demain : économique, de compétitivité, organisationnel. Les sujets portés par l’ACE depuis de nombreuses années ne relèvent plus de la prospective mais de l’actualité : responsabilité sociétale des entreprises (RSE), intelligence artificielle, développement d’activité annexe pour la survie économique des cabinets.

Il existe chez certains confrères une forme de paradoxe : il se plaignent de la conjoncture, craignent les bouleversements à venir, mais se complaisent dans un certain immobilisme. Bien qu'ils expriment des préoccupations légitimes face aux défis actuels et aux bouleversements à venir, il semble parfois difficile pour eux de s'engager pleinement dans les évolutions nécessaires.

La déontologie est parfois interprétée de manière restrictive, variant d’un ordre à l’autre, et certains représentants dans les instances adoptent une position conservatrice, peu en phase avec la dynamique actuelle. Cependant, il est essentiel de reconnaître qu’un changement profond est à l'œuvre : le monde évolue rapidement, avec des avancées technologiques constantes, et notre profession doit s'adapter pour rester pertinente.

Les « gardiens du temple » ne semblent par ailleurs pas vouloir se rendre à l’évidence : le monde change, les technologies évoluent à une vitesse importante et la profession n’arrive pas à se positionner sur des sujets aussi évidents à l’aube de 2025 que l’apport d’affaire, par exemple. La pratique du partage d’honoraires est autorisée (article 11.4 du RIN) entre confrères travaillant sur un même dossier, mais pas l’apport d’affaire : quelle hypocrisie !

Au lieu d’avoir de la défiance faisons confiance en  l’avenir, mais surtout faisons confiance aux confrères ! Nous devons avancer en accompagnant ceux qui craignent ces évolutions : la maitrise de l’IA sera déterminante, la modernisation n’est plus une option : il faut passer à l’action !

JSS : Lors de son passage de flambeau, votre prédécesseur Emmanuel Raskin a émis le souhait que l’ACE reste un syndicat uni. Quelles actions comptez-vous porter à ce titre ?

Y.D. : L’unité est un principe fondamental pour l’ACE. Nous sommes un syndicat uni, c’est ce qui fait notre force. Grand cabinet, avocat individuel, jeune, ancien, homme, femme, parisien, régional : l’ACE couvre aujourd’hui la diversité de la représentativité des avocats de France unie par les mêmes convictions.

La grande force de l’ACE réside précisément dans cette diversité rassemblée vers les valeurs d’audace, d’agilité, d’entrepreneuriat ! Tout le monde ne peut pas en dire autant, et c’est une grande fierté d’avoir des confrères aussi soudés. Nous avons évité l’écueil d’une politisation de notre syndicat, qui exclut par définition ceux qui n’ont pas les mêmes orientations politiques, nous n’avons pas de ligne partisane, ce qui nous permet d’être libre et de nous concentrer sur l’essentiel : l’avocat !

 « La profession n’arrive pas à se positionner sur des sujets évidents à l’aube de 2025 »

L’ACE est un formidable soutien pour les confrères et les accompagne dans toutes les dimensions de leur transformation en leur apportant des outils concrets pour devenir des chefs d’entreprise, définir une stratégie de transformation et un projet de cabinet, trouver les missions de demain qui pourraient leur correspondre. Je vais continuer à fédérer tous ceux qui veulent bouger les lignes, développer des cabinets agiles et rentables, dans la grande convivialité et solidarité entre nos membres qui nous caractérise.

Pour cela, je vais renforcer les échanges avec les différentes sections, commissions, régions de l’ACE, veiller à ce que chaque voix soit entendue et travailler à un dialogue constructif avec tous les avocats, quels que soient leurs profils et leurs mode d’exercice. L’unité passe aussi par la clarté de notre action et l’implication de tous.

JSS : Avocate au barreau de Bordeaux, spécialisée dans le secteur viti-vinicole, vous affichez la volonté de développer l’ancrage régional de l’ACE. Pourquoi est-ce important à vos yeux ? 

Y.D. :  L’ancrage régional est essentiel pour renforcer la présence et la représentativité de l’ACE. Chaque région a ses spécificités, ses défis et ses besoins.

En tant qu’avocate au barreau de Bordeaux, je suis la preuve vivante que l’on peut pratiquer le contentieux, être une femme de région, associée d’un cabinet à taille moyenne et sectoriel (contentieux commercial, droit viticole, et accompagnement RSE) et être à la tête d’un syndicat qui a encore une étiquette collée dans son dos : celui des avocats « d’affaires » issus de grands cabinets. Pire, celui de syndicat des « avocats de riche », expression peu délicate que nous entendons parfois de la bouche de certains nos confrères qui semblent vouloir ignorer notre adaptation.

JSS : Le guichet unique a beaucoup (pré)occupé l’ACE ces dernières années, et conformément à ses mises en garde, les entreprises ont rencontré de nombreux problèmes. Infogreffe doit être désactivé - pour de bon, cette fois - en janvier 2025 : le guichet est-il enfin prêt ?

Y.D. : Malgré les mises en garde de l’ACE, les avocats et leurs clients ont souffert de dysfonctionnements. Nous avons exigé des améliorations constantes, et bien que des progrès aient été réalisés, il est crucial que nous restions vigilants. Toutefois, il y a d’autres sujets brûlants en ce moment…

JSS : Quelles sont justement les autres priorités de votre mandat ? Trois ans, cela passe vite…

Y.D. : Nos préoccupations du moment sont – notamment - concentrées sur l’accompagnement des confrères en ces temps de récession économique. A l’ACE, nous souhaitons lancer un baromètre auprès des avocats, leur adresser un questionnaire pour savoir comment ils se situent, au niveau de la crise. 

Sachant que la récession touche aussi bien sûr nos clients : le président du tribunal de commerce de Bordeaux est pessimiste, face à la recrudescence des redressements judiciaires. La question avait été bien anticipée en vue des années précédentes, mais pour 2025 et au-delà, on est assez mal préparés. Or, je pense que ces défaillances sont seulement à leur commencement. A Bordeaux, le secteur viticole est très touché, tout le monde se replie sur soi, fait très attention à sa trésorerie. Cela se ressent beaucoup en cette fin 2024.

« On peut pratiquer le contentieux, être une femme de région, associée d’un cabinet à taille moyenne, et être à la tête d’un syndicat » 

Une autre de nos préoccupations phares concerne le fait qu’aujourd’hui et depuis deux ans, un avocat ne peut toujours pas exercer sa mission si son client est établi sur le territoire russe. En effet, l’Union européenne, dans son 8e paquet de sanctions relatif à l’invasion de l’Ukraine, a pris en 2022 une mesure interdisant à tous les avocats ressortissants de l’UE d’offrir des prestations de services juridiques et de conseil au profit de toute entité, organisation ou personne établie en Russie. Ce qui est incompréhensible, car le droit de l’UE n’a jamais énoncé à destination des avocats une interdiction d’exercer à l’encontre d’un Etat membre. 

L’ACE a donc déposé un recours en décembre 2022 devant le tribunal de l’UE en annulation du règlement litigieux, suivi quelques semaines après par barreau de Paris et barreau de Bruxelles. L’affaire a été plaidée devant le tribunal de l’UE le 12 mars 2024 : l’audience a duré 9 heures, mais dans un arrêt rendu le 2 octobre, le tribunal de l’UE a rejeté nos recours. Nous sommes donc en train de préparer un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Un autre sujet important concerne le secret professionnel, puisque fin 2021, la loi Dupond-Moretti* a embrayé sur une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation en venant déclarer que le secret professionnel de l’avocat était garanti dans le seul cadre de la défense pénale. A l’époque, l’ACE a déposé, au printemps 2022, une plainte en manquement contre l’Etat français, dirigée contre la loi Dupond-Moretti, qui viole frontalement le droit de l’UE. 

Cette plainte est toujours d’actualité, car encore pendante devant la Commission européenne. D’ailleurs, on est assez confiants sur le sujet, car dans un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué qu’une consultation avec un avocat bénéficiait, quel que soit le domaine du droit concerné, de la protection renforcée de la charte des droits fondamentaux de l’UE. Avec cet arrêt favorable du 26 septembre, on espère donc que notre recours en manquement portera ses fruits.

JSS : Votre syndicat soutient l’adoption de la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise, dont le chemin est semé d’embûches. Ce « legal privilege » va-t-il finir par aboutir ?

Y.D. : Le legal privilege est un enjeu crucial pour la protection des entreprises française et de leurs clients. Bien que le chemin soit ardu, nous resterons solidaires avec les juristes d’entreprise et cohérents avec notre doctrine.

Comment les avocats peuvent-ils travailler en harmonie avec les juristes d’entreprises et leur renier ce droit ? Nous soutenons l’AFJE et le Cercle Montesquieu sur ce point, comme nous l’avons toujours fait.

JSS : L’ACE est monté au créneau récemment s’agissant du PLFSS pour 2025 qui remet en cause l’autonomie de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF). Où en est le dialogue entre les syndicats et le gouvernement à ce sujet ?

Y.D. : Nous avons exprimé nos préoccupations concernant la remise en cause de l’autonomie de la CNBF, et de la détermination du montant de la retraite plancher qui est essentielle pour garantir l’indépendance des avocats. Les discussions avec le gouvernement sont en cours, et nous restons fermes sur notre position : la CNBF doit conserver son indépendance pour préserver la liberté d’exercice des avocats. Nous continuerons à porter cette revendication avec force et à mobiliser tous nos relais.

JSS : Aujourd’hui, quelle est votre ambition pour vos confrères ?

Y.D. : Mon ambition ? Des confrères heureux ! Un avocat bien formé pour appréhender un monde en évolution, bien défendu par son syndicat qui ne s’éparpille pas sur des sujets généraux mais se concentre sur la défense de la profession, un avocat bien rémunéré et qui ne subit pas les pressions de Bercy sur sa fiscalité ou ses cotisations sociales.

Propos recueillis par Bérengère Margaritelli

* loi Dupond-Moretti n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire

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