Proche aidant : une inégalité qui pèse sur les femmes


lundi 11 juillet 20227 min
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En France, d’ici 2070, grâce à la hausse de l’espérance de vie, le nombre de personnes âgées de 75?ans ou plus augmentera de 5,7 millions (vie-publique.fr). Face au vieillissement de la population, le rôle des aidants non professionnels est essentiel… mais aussi essentiellement féminin. Un rôle prenant qui affecte inévitablement la vie professionnelle de ces femmes. Face à cette inégalité, le Laboratoire de l’Égalité s’empare de la question, et formule une série de propositions – notamment à destination des entreprises –, pour faciliter le parcours des aidantes.

 


 


Alors que la France connaît un vieillissement de sa population, l’accompagnement de nos aînés est devenu un enjeu sociétal majeur, d’autant que de plus en plus de personnes âgées souhaitent vieillir chez elles. Dans ce contexte, le rôle des aidants non professionnels – également appelés proches aidants – est primordial. Ces personnes accompagnent un ou des proches en situation de dépendance, que ce soit à cause de leur âge, d’une maladie ou d’un handicap. En France, ces aidants sont 11,5 millions, et ce chiffre ne va cesser de croître – la crise sanitaire l’a bien montré. En 2030, un quart de la population française sera aidante non professionnelle.

Or, les aidants sont surtout des aidantes – à 57 % – et plus l’aide fournie est importante, plus l’on retrouve des femmes. Près de 20 % des aidantes interviennent auprès de leur proche plus de 21h par semaine (contre 11 % des aidants de la même tranche d’âge), et cette aide s’étend souvent sur le temps long. Cette activité non rémunérée vient s’ajouter aux charges domestiques et familiales encore supportées aujourd’hui en large majorité par les femmes, et a des conséquences sur leur santé, leur vie professionnelle, et ensuite leur retraite. Il s’agit donc d’un véritable investissement qui, malgré son utilité sociale, n’est pas reconnu par la communauté. En cause, notamment, des stéréotypes sexistes considérant qu’il est « naturel » et « normal » pour les femmes de prendre soin des autres, gratuitement.

Le Laboratoire de l’Égalité – association œuvrant pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde professionnel – s’est donc saisi de cet enjeu de société. Pour l’association, les objectifs sont clairs : rendre visibles ces inégalités de genre et les difficultés vécues par les aidantes, mais aussi proposer des solutions d’accompagnement, de répit et de financement.

 

 


Être aidant a des effets plus défavorables pour les femmes que pour les hommes

Le Laboratoire de l’Égalité a initié sa réflexion sur le sujet au début de la crise sanitaire en auditionnant un groupe multidisciplinaire d’experts. La conclusion était claire : être aidant a des effets plus défavorables pour les femmes que pour les hommes. Le 6 octobre 2020, à l’occasion de la Journée nationale des aidants, le Laboratoire de l’Égalité a ainsi publié un « Le Saviez-vous ? » sur les aidants en partenariat avec Audencia Business School, afin de donner des chiffres clés. Par exemple, parmi les personnes déclarant que leur rôle d’aidant a eu un impact sur leur vie professionnelle, 65 % sont des femmes. L’association s’est alors donnée comme mission de faire appréhender les problématiques de l’aidance au travers du prisme du genre. Les recherches et mesures pour reconnaître et améliorer la situation des proches aidants doivent se pencher sur les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes. Pour faire émerger cette vision, le Laboratoire de l’Égalité a organisé, en juin 2021, un colloque intitulé « Comment mieux s’engager auprès des 6 millions d’aidantes en France ». Divisé en trois tables rondes chacune animée par un des membres du groupe sur les aidantes du Laboratoire de l’Égalité – Fabienne Arrighi-Bensoussan, Nils Poussielgues et Leonora Razakandrainy – ce colloque donnait la parole à toutes les parties prenantes. Des aidantes qui témoignaient, mais aussi des personnes du monde de la recherche, de l’entreprise, de la politique, des médias, des associations. Plus récemment, le groupe de travail du Laboratoire de l’Égalité est intervenu lors d’un colloque organisé par la CFDT, « Aidons les aidants ». Fabienne Arrighi-Bensoussan, Véronique Clouet, Mathilde Haulon et Élisa Joly du Laboratoire de l’Égalité ont pu mettre en avant, lors de leurs prises de parole, les inégalités de genre dans l’aide à la personne, qui ne sont presque jamais abordées. Or, ces inégalités sont bien réelles, et elles se retrouvent notamment dans l’impact sur la vie professionnelle ou sur la santé.

 







 


Le rôle de l’entreprise

Si 65 % des aidantes déclarent que leur rôle a des implications importantes sur leur vie professionnelle, quelles solutions pour mieux les accompagner ?

Selon Véronique Clouet, conseillère du travail et membre du groupe des aidantes, les premiers outils à disposition des services RH des entreprises sont l’information et la communication en interne pour permettre aux salariés de savoir s’identifier eux-mêmes comme proches aidants. En pratique, l’entreprise peut relayer les campagnes organisées lors de la Journée nationale des aidants le 6 octobre de chaque année. À cette occasion, le ministère des Solidarités et de la Santé ainsi que la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) publient des informations pour guider les proches aidants dans leurs démarches. Selon ses moyens, l’employeur peut également créer une rubrique intranet ou un guide interne informant les collaborateurs et les collaboratrices sur les congés légaux tels que le congé de proche aidant, le congé de solidarité familiale et le congé de présence parentale et référençant les principales structures et associations existantes.

En outre, l’entreprise peut informer sur l’action sociale des caisses de retraite complémentaire qui proposent des dispositifs individuels pour les aidants telles que des aides matérielles ponctuelles avec ou sans conditions de ressources, ou des aides collectives telles que les solutions de répit et des comparateurs d’établissements et de services. Des actions de communication plus poussées peuvent consister en l’organisation d’un forum annuel au sein de l’entreprise ou même l’adhésion à une plateforme payante spécialisée dans l’accompagnement des aidants familiaux. La constitution d’un groupe de parole permet également de lutter contre l’isolement des aidants. Enfin, l’orientation vers les services de santé au travail – médecins et assistants sociaux du travail – témoigne de la volonté de lentreprise de soutenir et daccompagner les aidants.

Fabienne Arrighi-Bensoussan, avocate spécialiste en droit social et membre du groupe des aidantes, relève également que le dialogue social, et en son sein l’accord collectif, se révèle particulièrement utile pour appréhender la question du collaborateur proche aidant. Il permet de définir les modalités d’organisation interne appropriées aux besoins et particularités de l’entreprise, quelle que soit sa taille. La réforme de la négociation collective issue des ordonnances du 22 septembre 2017, communément appelées ordonnances Macron, a développé l’activité conventionnelle dans les entreprises de moins de 50 salariés. En 2018, 13 200 accords collectifs ont été déposés par des entreprises de moins de 21 salariés. Ainsi, dès lors que le sujet des proches aidants est une préoccupation sociale de l’entreprise, l’accord collectif se révèle être un outil approprié d’autant plus efficace que ces modalités de négociation sont depuis la réforme de 2017 adaptées à la taille de l’entreprise. Cet accord collectif peut adresser exclusivement la question des proches aidants non professionnels, ce qui est souvent le cas pour la mise en place de dons de jours entre salariés, comme il peut aussi l’appréhender plus largement dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) ou à l’occasion d’une négociation sur le télétravail, l’aménagement du temps de travail ou la prévoyance. En pratique, la prévoyance s’avère être une bonne porte d’entrée pour aborder la question des proches aidants non professionnels dans l’entreprise. En outre, compte tenu de la prépondérance des femmes parmi les salariés proches aidants, ce sujet peut ainsi être abordé à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Les entreprises peuvent également tenir compte du statut d’aidants non professionnels dans l’index égalité professionnelle. En tout état de cause, il est indispensable de former, et notamment le management intermédiaire, sur le respect des principes d’égalité et de non-discrimination des aidants non professionnels. Encore méconnue, la question des collaborateurs et collaboratrices proches aidants concerne pourtant toutes les entreprises. Appréhender cette question dans le cadre du dialogue social permet de lutter contre l’absentéisme et participe à la politique RSE de l’entreprise.

 

 


Les conséquences de l’aide sur la santé, notamment chez les jeunes

Les jeunes font également partie des 11,5 millions d’aidants non professionnels en France. Un jeune aidant est une personne âgée de moins de 25 ans aidant un proche en perte d’autonomie. La reconnaissance de l’accompagnement spécifique des jeunes aidants ainsi que la prise en compte des répercussions de l’aide sur leurs trajectoires de vie est essentielle.

L’engagement du laboratoire de l’égalité pour les aidants s’inscrit plus largement dans le cadre de ses trois missions qui sont de rassembler les acteurs et actrices de l’égalité professionnelle, d’interpeller les pouvoirs publics et privés avec des propositions concrètes, et de sensibiliser l’opinion publique. Pour répondre à ces différents objectifs dans son travail sur les aidantes non professionnelles, l’association a organisé et participé à différents événements sur le sujet, et a publié du contenu. En 2022 est sorti le Pacte du Laboratoire de l’Égalité pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui compte plus de 300 mesures et est divisé en trois grandes parties : l’autonomie économique des femmes, le partage d’une culture commune de l’égalité, et le rôle des politiques publiques pour faire avancer l’égalité. L’association y a inscrit différentes propositions sur les aidantes non professionnelles. Maintenant, le groupe de travail a pour objectif de rédiger un guide à destination des entreprises, afin de les aider à mieux prendre en compte la situation des aidants salariés.

Le Laboratoire de l’Égalité reste par ailleurs dans l’attente d’un nouveau projet de loi sur la dépendance.

 

 

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