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Parce qu’elle « mesure un risque important pour la sécurité des
données de santé, dans un contexte où les établissements de santé et leurs
sous-traitants sont régulièrement victimes de violations de données », la
Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a récemment
reprécisé les obligations garantissant la confidentialité du dossier patient
informatisé (DPI). Et ce, après avoir dressé de nombreux constats de carence
sur le sujet. Avec une menace : une sanction pouvant monter jusqu’à 2% du
chiffre d’affaires de l’établissement.
Le dossier patient informatisé
(DPI) est défini par l’agence du numérique en santé (ANS) comme la
fonction d’un système informatique hospitalier (SIH) qui a vocation à stocker
l’ensemble des documents liés au parcours de soins du patient au sein de
l’établissement de soins. Il contient donc les différents éléments devant
alimenter le dossier médical partagé (DMP), lesquels sont transmis via
messageries sécurisées de santé (MSSanté) et désormais stockés au sein de mon
espace santé. On l’aura compris, il permet
aux professionnels de santé d’accéder facilement aux informations médicales
d’un patient et de mieux coordonner son parcours.
Par ailleurs, dans le but de moderniser les SIH et de favoriser un partage fluide
et sécurisé des données de santé, « le
Ségur du numérique (cf. encadré plus bas) en santé encourage l’utilisation de
solutions logicielles qui respectent certaines exigences techniques,
fonctionnelles et ergonomiques », explique l’ANS. Dans ce cadre, les
logiciels de type DPI doivent principalement respecter les fonctions suivantes
:
- l’alimentation
du DMP stocke l’ensemble des documents liés au parcours de soins du
patient au sein de l’établissement : lettres de liaison de sortie
d’hospitalisation, ordonnances de sortie, comptes-rendus opératoires,
comptes-rendus de biologie et d’imagerie, etc. Plus largement, il s’agit de
gérer les informations nécessaires et utiles à la prise en charge et au suivi
du patient, mais également à la traçabilité des soins et des actions
entreprises ;
- la portabilité
des données de santé (export standard et documentation) ;
- la couverture des risques de sécurité des
systèmes d’informations (SSI).
Par conséquent, au regard « de
la sensibilité et du volume des données qu’il contient, le DPI doit bénéficier de mesures de sécurité renforcées », déclare la Cnil dans une note du 9 février
dernier, intitulée « Données de santé : la Cnil rappelle les
mesures de sécurité et de confidentialité pour l’accès au dossier patient
informatisé ». Or, il y a « des trous
dans la raquette », pointe la Commission.
Alertée à plusieurs reprises au sujet d’accès illégitimes aux données de
patients contenues dans le DPI, elle a donc procédé, entre 2020 et 2024, à
treize contrôles d’établissements de santé. Verdict : ces contrôles « ont permis de constater que les
mesures de sécurité informatique et la politique de gestion des habilitations étaient parfois
inadaptées aux besoins des établissements ». En cause, le fait que
« des professionnels de santé ne participant pas à la prise en charge du
patient [peuvent] accéder à des informations relatives à ce
dernier. »
Les principaux manquements constatés sont : l’absence de complexité
des mots de passe et de mise à jour systématique des droits d’accès ; une
politique de gestion des habilitations définie de manière trop large sans
prendre en compte la notion d’équipe de soins ; ou encore, une traçabilité
des accès inadéquate.
Les difficultés pratiques rencontrées par les établissements de santé
pour faire progresser leur niveau de sécurité en la matière sont « multifactorielles »,
poursuit la Cnil. Elle pointe, pêle-mêle, la nécessité de faciliter la conduite
du changement auprès des professionnels de santé et personnels des
établissements de santé, lesquels sont soumis à « des modalités d’utilisation des outils informatiques jugées
contraignantes et peu adaptées à leur travail » ; un faible
équipement technique sur le terrain ; la difficulté chronique d’obtenir
les financements nécessaires ; la dépendance vis-à-vis des éditeurs ;
des solutions installées en établissement souvent incompatibles avec certaines
exigences légales et réglementaires, etc.
Suite à ce constat peu flatteur, la
Cnil a mis en demeure plusieurs établissements de prendre les
dispositions permettant de préserver la sécurité et la confidentialité des
données du DPI. Elle prévoit, en outre, des mesures correctrices contre
d’autres établissements en 2024 articulées autour de trois axes. Le premier
consiste à sécuriser les accès au système grâce à une politique d’authentification robuste, notamment des mots de passe
suffisamment complexes et l’interdiction des comptes partagés entre plusieurs
utilisateurs.
Le second consiste à prévoir des habilitations
spécifiques pour que chaque professionnel de santé ou agent de l’établissement
n’accède qu’aux dossiers dont il a à connaître. Pour la Cnil, il convient ici
de combiner deux critères. Tout d’abord, le métier exercé : par exemple,
un agent responsable de l’accueil des patients dans la structure ne peut
consulter que le dossier administratif du patient et non ses données médicales.
Ensuite, la notion d’équipe de soins, telle que définie par la loi, afin que
seuls les professionnels effectivement impliqués dans la prise en charge d’un
patient ou dans les soins qui lui sont prodigués aient accès aux informations
couvertes par le secret médical.
Néanmoins,
ces habilitations peuvent être complétées d’un mode « bris de glace »
permettant aux agents administratifs et aux professionnels de santé, en cas
d’urgence, d’avoir accès à d’autres données, et ce, pour tout patient. Pour
autant, l’activation de ce mode « doit
être particulièrement bien tracée et surveillée pour que toute personne y ayant
recours puisse être identifiée et justifier des conditions de son
utilisation », insiste la Cnil. Elle recommande par ailleurs de
prévoir des mesures de confidentialité renforcées pour certains dossiers
particuliers tels les DPI de patients provenant d’un établissement
pénitentiaire.
Enfin, troisième axe de mesures correctrices évoqué par la
Commission : tracer quotidiennement les accès au DPI. À savoir, indiquer
qui s’est connecté à la base de données, à quel moment et qui a accédé à quoi. « Des contrôles réguliers de ces accès
doivent être opérés afin d’identifier ceux susceptibles d’être frauduleux ou
illégitimes. Il est vivement recommandé de disposer d’un système d’analyse
automatique des journaux de connexion afin de repérer les accès qui semblent
anormaux », préconise la Cnil. Par
exemple, précise-t-elle, un nombre trop élevé de dossiers consultés
ou un usage fréquent du mode bris de glace ».
« D’un point de vue éthique, les enjeux
sont importants, explique Alexandre Fievée, avocat au sein du
cabinet Derriennic Associés.
Le respect de la sécurité, notamment de
la confidentialité des données de santé, doit être au centre des préoccupations
des professionnels de santé en vue, notamment, de garder un haut niveau de
confiance entre eux et leurs patients. De même, d’un point de vue juridique,
les enjeux sont énormes. En application du RGPD, la sanction encourue en cas de
manquement à l’obligation de sécurité est de 2 % du chiffre d’affaires
annuel mondial » de l’établissement. De quoi inciter à une vigilance
accrue.
Rappelons qu’en fonction des manquements constatés, la Cnil peut mettre
en demeure un organisme de prendre des mesures de mise en conformité
nécessaires, notamment vis-à-vis du Règlement général
sur la protection des données (RGPD). Et ce, dans un délai qu’elle fixe.
La Commission est également habilitée à engager directement une procédure de
sanction qui se traduira par le prononcé de mesures correctrices, une amende ou
encore, une injonction de mettre en conformité le traitement. Enfin, elle suit
les mesures de mise en conformité prises par les établissements de santé.
Toutefois, les décisions de la Cnil sont susceptibles de faire l’objet
d’un recours devant le Conseil d'état dans un délai de deux mois qui suivent
leur notification.
À signaler que la Commission élabore une recommandation complète sur la
conformité et la sécurité des solutions propres aux dossiers patients
informatisés (DPI). Elle reprend sa doctrine sur les données de santé et
intègre les résultats des contrôles qu’elle a opérés, en particulier quant à la
gestion des habilitations dans le cadre de l’équipe de soins. Ce document sera
bientôt soumis à consultation publique avant son adoption par le collège de la
Cnil.
Alexandre Terrini (Agence Pi+)
Lancé dans le sillage du Ségur de la Santé qui a acté en juillet 2020
des mesures urgentes d’investissement pour l’hôpital (suite au premier choc de
la pandémie du Covid-19), le Ségur du Numérique est un plan destiné à accélérer
la transformation numérique du système de santé français. Il s'agit d'un
investissement majeur de plus de deux milliards d’euros sur cinq ans environ pour
moderniser les outils et les infrastructures numériques des établissements de
santé et médico-sociaux, mais aussi des professionnels de santé de ville. Les
objectifs clés comprennent :
• Améliorer la coordination des soins : Cela inclut le développement de dossiers
médicaux partagés, la mise en place de systèmes de communication efficaces
entre les différents acteurs de santé, et l'amélioration de l'accès aux données
de santé pour les professionnels ;
• Dématérialisation et interopérabilité : Cela implique la modernisation des systèmes
d'information pour faciliter l'échange et le partage sécurisé des données entre
différents services et établissements ;
• Innovation et recherche : Le programme vise à soutenir l'innovation dans le domaine de la santé
numérique, y compris le développement de l'intelligence artificielle, pour
améliorer les diagnostics et les traitements ;
• Formation et accompagnement du personnel : Une attention particulière est portée à la
formation des professionnels de santé à l'utilisation des outils numériques et
à l'accompagnement des établissements dans la transition numérique ;
• Sécurité et confidentialité des données : Un aspect crucial du Ségur du Numérique est
de garantir la sécurité et la protection des données de santé des patients.
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