Sciences : où sont les femmes ? Le Sénat veut réfléchir à des solutions


mercredi 19 février6 min
Écouter l'article

En France, les femmes représentent encore moins d’un tiers des chercheurs scientifiques et ce chiffre stagne ces dernières années. La délégation aux droits des femmes du Sénat s’est mise en quête d’explications et de solutions pour conjurer cette sous-représentation historique.

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, récent et emblématique. Pendant le sommet pour l’action sur l’IA qui s’est tenu à Paris début février, un baromètre européen a fait ressortir que les femmes représentaient seulement 25 % des effectifs travaillant dans ce secteur d’avenir en France, et plus généralement en Europe.

Une révolution scientifique et technologique qui se construit sans sollicitation ou contribution égale de la moitié de l’humanité… Le constat n’est pas nouveau. Alors que les femmes demeurent sous-représentées dans les carrières et domaines scientifiques, la délégation aux droits des femmes du Sénat a décidé de se pencher sur les solutions à apporter pour plus de filles et de femmes dans les sciences.

Le 13 février dernier, pour le lancement de sa mission transpartisane qui débouchera sur un rapport d’information, la délégation a entendu des membres de l'Académie des sciences au sujet d’un rapport intitulé « Sciences : où sont les femmes ? », publié en juin 2024.

Accompagner les enseignantes qui ont « une dent contre les sciences »

Devant les sénatrices, les membres de l’Académie ont tenu à rappeler le décrochage inquiétant, car précoce, des filles en sciences par rapport aux performances des garçons. Une tendance observée ces 20 dernières années dans les grandes évaluations de performance scolaire, au premier lieu rang desquelles l’enquête PISA et plus récemment TIMSS.

« Il suffit de quelques mois seulement pour que ce décrochage ait lieu : il se situe entre le début du CP, le milieu du CP, le début du CE1. Le phénomène se produit dans tous les contextes sociaux, territoriaux et familiaux. Pour l’instant, nous ne disposons pas d’explications scientifiquement étayées. Des études restent à faire », explique Laure Saint-Raymond, mathématicienne et professeure des universités à l'ENS de Lyon.

En attendant, l’hypothèse privilégiée est celle d’un biais de genre chez les professeures des écoles. Les femmes représentent en effet plus de 80 % des enseignants du premier degré, mais 10 % d'entre elles seulement ont une formation scientifique. « Beaucoup n'ont pas fait de sciences depuis le lycée, et certaines ont même un petite dent contre les sciences », résume Laure Saint-Raymond. Un déficit de formation « qui risque de transmettre une image négative des sciences aux élèves et tout particulièrement aux filles », souligne quant à lui le rapport.

À ce titre, l’Académie invite à renforcer la formation scientifique initiale et continue des professeurs des écoles. L’institution souligne que la réforme envisagée par le Gouvernement sur le chantier de la formation va dans ce sens. Autre piste de solution : former les enseignants et personnels de l’éducation aux biais de genre. Car les stéréotypes infusent partout, jusque dans les bulletins scolaires. « Il ressort majoritairement des appréciations que les filles travaillent bien et sont au maximum de leur potentiel, quand les garçons en ont toujours sous le pied », détaille par exemple la mathématicienne.

Rendre les carrières scientifiques attractives pour les femmes 

« La réforme du lycée et du baccalauréat n’a, pour ainsi dire, rien arrangé », poursuit la physicienne Jacqueline Bloch. Depuis la mise en place des choix d’options, les filles se tournent majoritairement vers les humanités. 45 % des filles de terminale ne choisissent aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons.

Le serpent continue de se mordre la queue à l’université, où le nombre de diplômés universitaires place la France dans la moyenne de l’OCDE, avec seulement 13% des étudiantes diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM) en 2023, contre 40 % des étudiants.

Cette situation aboutit à ce qu’en France, les femmes représentent encore moins d’un tiers des chercheurs scientifiques. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements R&D des entreprises.

Et quand bien même, les femmes aspireraient à faire carrière, le monde de la recherche, comme le monde de l’entreprise a-t-on envie de dire, ne prend pas en compte leurs assignations sociales. La physicienne Hélène Bouchiat, directrice de recherche au CNRS, pointe notamment du doigt « un recrutement de plus en plus tardif, à la suite de longues années de contrats temporaires avec souvent un passage obligé à l’étranger », qui décourage les femmes en rendant leurs avancées professionnelles incompatibles avec leur vie de famille.

Pour améliorer cet équilibre, l’Académie préconise trois mesures concrètes : le report des dates limites pour les candidatures en fonction de la durée du congé parental, le recrutement précoce et continu dans des postes juniors pour intégrer les jeunes scientifiques dans des équipes, et le soutien aux jeunes parents par des décharges d’enseignement ou une aide technique au laboratoire.

Quotas : une fausse bonne idée ?

Faut-il en passer par des quotas ? s’interrogent aussi les élues qui ont vu progresser grâce à eux la place des femmes en politique. Dans son rapport, l’Académie indique que ce système présente « des intérêts notables » et observe que dans ses rangs un grand nombre d’académiciennes ont favorablement bénéficié de quotas à l’époque où les écoles normales supérieures étaient séparées par genre. Mais, note l’institution, « la mise en place de quotas ne résout pas tous les problèmes et peut générer des frustrations et encourager un sentiment d'illégitimité ».

Cette politique est surtout difficile à mettre en place en l’absence de vivier. L’équation est simple : femmes sous-représentées = femmes sur-sollicités. Comme en témoigne Laure Saint-Raymond.

« Je suis mathématicienne dans une communauté où je pense qu'on est un peu moins de 10% de femmes professeures ou directrices de recherche. Et depuis un certain nombre d'années, pour aider à la représentation des femmes, on oblige à ce qu’il y en ait dans tous les comités de recrutement, éditoriaux et de conférences. Concrètement, ça veut dire qu'on travaille dix fois plus que nos collègues hommes au service de notre communauté scientifique ».

En finir avec le star system

Plus généralement, les membres de l’Académie ont souligné à plusieurs reprises devant les sénatrices la nécessité d’agir sur les représentations. En commençant par remettre en cause un modèle de réussite très « masculin » : celui du compétiteur individualiste. « Le stéréotype du chercheur brillant dont on glorifie les qualités de leader plus que la créativité », explicite Hélène Bouchiat.

« De façon générale, il y a à valoriser le travail collectif, parce qu’une découverte en sciences repose sur un travail d'équipe où chacun a contribué avec des compétences complémentaires. Et ça, ce n'est vraiment pas assez mis en avant », déplore la physicienne. Notamment lors des remises de prix scientifiques qui contribuent au maintien d’un star system.

S’attaquer aussi, de l’autre côté, aux représentations limitées et souvent inadaptées des femmes scientifiques dans les manuels scolaires. « On présente aux jeunes filles des modèles extrêmement impressionnants, Marie Curie étant l'exemple emblématique », rappelle Jacqueline Bloch. « Mais peu de scientifiques ont eu deux prix Nobel, nuance la physicienne. Des modèles comme ça, c'est extrêmement écrasant. Mieux vaut faire intervenir de jeunes scientifiques accessibles dans les classes, car cela marche bien pour promouvoir ces matières ».

Delphine Schiltz

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.