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Par un arrêt du 27 septembre 20171, le Conseil d’État a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au statut du ministère public au Conseil constitutionnel à la demande d’une organisation professionnelle du ministère de la Justice2. Si l’organisation syndicale, qui a articulé ce contentieux, a légitimement revendiqué cette décision comme une première victoire3, la question du succès au fond de ce volet de la procédure apparaît à ce jour hasardeux, si le Conseil constitutionnel entend se montrer fidèle à ses propres précédents.
Mais, comme c’est souvent le cas avec les « grands » arrêts, un rejet peut être la source d’une évolution future.
La question pourrait bien dès lors ne pas être de savoir si le Conseil constitutionnel va accepter la question, ce qui constituerait un improbable « grand soir » du statut de la magistrature, mais sûrement, dans quels termes l’ouverture d’un futur débat relatif au statut du ministère public pourrait être posée. La situation caractériserait alors plutôt un « petit matin » propice aux délices que l’on sait.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La demande de l’USM
L’Union syndicale des magistrats (USM), premier syndicat de la profession au regard des scrutins de représentativité du corps judiciaire4, a saisi à l’origine le Conseil d’Etat d’un recours portant sur le décret réformant l’organisation du ministère de la Justice paru le 27 avril 20175.
Les termes exacts de la requête initiale, et la réponse du ministère de la Justice devant le Conseil d’État, sont bien entendu à ce jour encore inconnus.
La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l’article 5 de la loi organique portant statut de la magistrature.
Ce texte est le suivant : "Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. à l’audience, leur parole est libre."
La réponse du Conseil d’État
Après avoir constaté que l’article 5 du statut de la magistrature n’a jamais été soumis au contrôle de constitutionnalité, le Conseil d’Etat a considéré que la question de sa conformité aux principes de séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’indépendance de l’autorité judiciaire telle qu’elle est définie par l’article 64 de la Constitution présentait un caractère sérieux.
En foi de quoi le Conseil d’Etat a saisi le Conseil constitutionnel qui a donc trois mois à compter du 27 septembre 2017 pour se prononcer.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL N’A-T-IL PAS DÉJÀ STATUÉ ?
L’article 5 de la loi organique un « fondement originel »
Il serait trop long ici de revenir sur l’ensemble des turpitudes qui ont immédiatement suivi l’avènement de la Constitution du 4 octobre 1958.
Il suffit pour les besoins de notre raisonnement de retenir que, conformément à une disposition provisoire édictée à l’époque, un certain nombre de règles qui devaient relever normalement du contrôle de constitutionnalité n’ont pas été soumises au Conseil constitutionnel dans la mesure où à l’heure de leur promulgation celui-ci n’était pas intégralement composé6.
L’absence de déclaration de constitutionnalité est d’ailleurs clairement visée dans le corps même de l’ordonnance du 22 octobre 1958 qui ne porte pas mention du passage au Conseil constitutionnel ; soutenir que l’article 5 du statut de la magistrature n’a jamais fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité est donc parfaitement fondé7.
Cependant, du point de vue du fond du droit abordé, il est possible de s’interroger sur l’intérêt réel de la contestation.
En effet, si la question du statut du ministère public présent à l’audience n’a jamais été évoquée devant le Conseil constitutionnel (elle a en revanche pu l’être devant la Cour européenne des droits de l’homme, ou devant le Conseil supérieur de la magistrature, cf. la note 8), tel n’est pas le cas du statut, quasi identique des magistrats affectés en administration centrale qui sont eux aussi membres du ministère public9.
L’article 43 de la loi organique, exemple de validation de l’article 5 ?
Au cours d’une des nombreuses révisions du statut de la magistrature survenues depuis 1958, le Conseil constitutionnel a eu à examiner en 1979 une nouvelle version de l’actuel article 43 de l’ordonnance portant statut de la magistrature.
Le Conseil constitutionnel a eu alors à se pencher sur les implications disciplinaires du principe de soumission hiérarchique applicable aux magistrats affectés en administration centrale.
Sur le rapport de Louis Joxe, le Conseil constitutionnel a validé la disposition de la loi organique consistant à considérer que la faute disciplinaire qui peut être reprochée à un magistrat « s’apprécie pour un membre du parquet ou un magistrat du cadre de l’administration centrale du ministère de la Justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique10 ».
Plus près de nous, l’article 32 de la loi 2016-732 du 28 juillet 2016 dont le texte a expressément étendu le cadre de la soumission hiérarchique à l’ensemble des magistrats membres de l’inspection de la justice n’a pas non plus fait l’objet de réserves relatives à sa conformité à la Constitution11.
Comment dans ces conditions imaginer que l’article 5 qui pose le même principe au sein des juridictions de l’ordre judiciaire, et qui figure au sein du même texte de loi puisse être sérieusement remis en cause par le Conseil constitutionnel ?
Un changement radical d’interprétation apparaît juridiquement impossible
Un brutal changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel apparaît hautement improbable.
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel, a reconnu l’intelligibilité des normes juridiques comme un principe constitutionnel12.
Revenir complètement sur sa propre jurisprudence sans avoir annoncé auparavant qu’il conviendrait de préparer le terrain juridique ne serait pas cohérent par rapport à sa propre interprétation de la Constitution.
Ensuite, même s’il assortissait l’obligation faite au gouvernement de procéder à une révision constitutionnelle de délais suffisants, les conséquences en termes de légitimité du ministère public dans la conduite des actes de poursuite et de direction d’enquête au quotidien seraient considérables.
Elle ouvrirait une véritable brèche dans la continuité de l’Etat at donnant naissance à une discussion non plus juridique, mais bien politique.
Le Conseil d’Etat a saisi le Conseil constitutionnel d’une difficulté tenant à l’interprétation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et à la séparation des pouvoirs.
Toute la question sera de savoir en quoi le texte de l’article 5 serait de nature à porter atteinte à la séparation des pouvoirs, telle est qu’elle pratiquée au sein de la République française, et en quoi le texte de l’article 5 pourrait être contraire à l’article 16 de la Déclaration.
DE QUOI « L’INDEPENDANCE » EST-ELLE LE NOM EN MATIERE JUDICIAIRE ?
De quoi parle l’article 5 du statutde la magistrature ?
L’article 5 contient deux expressions distinctes du principe de soumission hiérarchique, et une référence spécifique à la liberté de parole des membres du ministère public à l’audience.
Cette dernière disposition, qui est une manifestation du pouvoir propre du représentant de l’accusation présent à l’audience de présenter les réquisitions qu’il convient, ne peut logiquement être qualifiée d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs. En effet, elle constitue précisément une manifestation « positive » de ce principe de séparation des pouvoirs, tant du corps judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif qu’au sein du pouvoir juridictionnel lui-même.
Ce texte affirme que le magistrat du ministère public ne peut voir sa responsabilité professionnelle mise en cause, ni a fortiori être déplacé en raison du contenu des réquisitions qu’il a prises à l’audience, dès lors que celles-ci sont prises conformément à la procédure et ne sont pas injurieuses ou diffamatoires13.
La difficulté ne peut donc porter que sur l’expression du principe de soumission hiérarchique.
L’indépendance n’est pas la souveraineté
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