Suzanne Régnault-Gousset, première femme lauréate de l’examen d’entrée dans la magistrature


lundi 28 février 20226 min
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Suzanne Régnault naît le 18 juin 1914 dans la Meuse, à Varennes-en-Argonne, à la veille de la Première Guerre mondiale. D’abord notaire, son père, Félix, est juge de paix depuis 1912. Sa mère, Marguerite Perrin, de nationalité allemande pour être née à Metz (1), est mère au foyer.

Suite au déclenchement des combats, la famille est contrainte d’évacuer et n’est de retour qu’une fois la paix revenue. Suzanne et son frère, Maurice, sont scolarisés au lycée impérial de Nancy, devenu le lycée Henri Poincarré. Elle et son frère sont traités de la même manière et tous deux poursuivent des études juridiques. Après son baccalauréat, elle le rejoint à la faculté de droit où il étudie depuis l’année précédente.

 


Une étudiante devenue une mère de famille

Elle obtient aisément sa première année mais arrête ses études car à 21 ans, le 18 mai 1935, elle se marie avec François Gousset. Elle met au monde quatre enfants, trois garçons et une fille, en 1936, 1937, 1939 et 1944. Cependant, son époux est atteint d’une sclérose en plaques : elle est consciente de la gravité de son état et de son probable décès précoce, qui arrivera effectivement en 1949.

À 29 ans, Suzanne Régnault-Gousset décide alors de préparer l’avenir, sachant qu’elle aurait à assumer sa survie économique. Courageuse et pugnace, alors qu’elle a dix ans de plus que ses camarades de bancs universitaires, elle s’inscrit en octobre 1943 en deuxième année de droit. Elle obtient une licence en 1945 et s’inscrit en qualité d’avocate stagiaire au tableau de l’Ordre des avocats de Nancy, où elle est admise le 30 novembre 1945.

Entre-temps, son frère Maurice est devenu magistrat. Suzanne y pense aussi, alors que les temps changent pour les femmes.

 

 



Suzanne Régnault-Gousset, Photo de famille




La première à concourir à un examen réservé aux hommes

Tout au long du XXe siècle, les hommes magistrats sont nommés, sans processus de sélection formel de leur compétence.

La loi organique du 20 avril 1810 dispose simplement en son article 64 que « nul ne pourra être juge ou suppléant d’un tribunal de première instance, ou procureur impérial, s’il n’est âgé de vingt-cinq ans accomplis, s’il n’est licencié en droit, et s’il n’a suivi le barreau pendant deux ans, après avoir prêté serment à la cour impériale ».

Le décret du 13 février 1908 crée un examen et précise qu’il est nécessaire, pour s’y présenter, de remplir les conditions d’âge et de diplôme, d’accomplir un stage d’un an dans un barreau et de justifier d’un an de stage au ministère de la Justice ou dans un parquet, ou de deux ans dans une étude d’avoué.

Cet examen n’est ouvert qu’aux hommes.

Ce n’est qu’à l’issue d’une lente évolution politique et sociétale, formalisée par une succession de projets rejetés, que finalement, la loi du 11 avril 1946 permet à « tout Français, de l’un ou de l’autre sexe, répondant aux conditions légales » d’accéder aux fonctions de la magistrature.

Le garde des Sceaux qui porte cette réforme est Pierre-Henri Teitgen. Il est de Nancy : son père Henri Teitgen y a été bâtonnier, lui-même a enseigné le droit à l’université. Il connaît la situation difficile sur le plan personnel de Suzanne Régnault-Gousset et son mérite. Certains ont pu penser qu’il avait accéléré la réforme pour elle.

Quoi qu’il en soit, elle est la première à se lancer sans tarder dans cette nouvelle voie qui vient de s’ouvrir aux femmes. Un mois après le vote de la loi, le 11 juillet 1946, elle s’inscrit en qualité d’attachée stagiaire auprès du tribunal civil de Nancy. Elle a 32 ans et se prépare à présenter les épreuves de l’examen professionnel d’entrée dans la magistrature.

Par arrêté du 12 octobre 1946, 160 candidats sont admis à subir les épreuves : elle est la seule femme. Sur cette liste, ne figurent que des noms de famille sans précision du sexe, à l’exception de celui de Suzanne Régnault-Gousset qui est le seul à être précédé d’un « Mme », soulignant le caractère exceptionnel de l’événement.

Elle passe les épreuves le 14 novembre, et, par décret du 18 décembre 1946, elle devient la première femme « déclarée apte aux fonctions judiciaires », 40e sur 57 candidats ayant concouru.

Elle suit donc de près Charlotte Béquignon-Lagarde, première femme magistrate à la Cour de cassation, par intégration directe en raison de titre universitaire, ayant prêté serment le 16 octobre 1946 (2).

 


Magistrate dans les années 1940/1950

Suzanne Régnault devient d’abord attachée de parquet où elle se forme au métier. En 1947, elle est nommée juge suppléante auprès du tribunal de Nancy.

L’arrivée d’une femme est remarquée, et la presse locale rend compte de cette situation inédite. « Pour la première fois à Nancy, une femme siège au tribunal correctionnel », « Mme Gousset avait déjà fait partie du tribunal civil, mais c’est la première fois qu’un magistrat féminin siégeait au prétoire de la correctionnelle (3). »

« La profession était mal préparée à l’arrivée des femmes » euphémise son fils (4), qui rappelle qu’à l’époque, une femme devait être « à la cuisine et au lit », et que « mécontents, les hommes n’ont pas fait de publicité sur l’arrivée des femmes dans la magistrature ».

Les chefs de cour ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de Suzanne Régnault-Gousset, et ne font rien pour la mettre en valeur. Elle ne fait pas carrière, souhaitant simplement rester à Nancy pour s’occuper de ses enfants. Elle adopte un profil modeste pour se faire accepter, et exerce son métier avec simplicité et humanité. Elle est souvent désignée comme assesseure dans les formations correctionnelles collégiales. Jamais présidente.

Pourtant, Suzanne Régnault-Gousset est une femme particulièrement intelligente, vive et subtile.

Elle est parfaitement consciente des réticences à l’entrée de femmes dans la magistrature, qu’elle incarne pour être la première à s’être soumise aux épreuves. Elle décide d’ignorer les préjugés et de démentir son frère Maurice lorsqu’il trouve les collègues féminines « pas sérieuses (5) ».

Sur les photos, sa fine silhouette, sa coiffure soignée, lui donnent une prestance qui révèle sa personnalité, forcément hors norme pour avoir eu le panache de se lancer la première dans une profession historiquement réservée aux hommes. Catholique pratiquante, elle avait foi en l’avenir et a mobilisé son énergie pour gagner sa liberté. Elle s’est aussi adossée à sa volonté d’indépendance, professionnelle et financière, ce qui est la marque d’un esprit d’avant-garde.

En 1950, elle est nommée juge titulaire auprès du tribunal civil de Lunéville, où elle siège jusqu’à sa fermeture, en 1958. En 1955, Suzanne Régnault se remarie, à 41 ans, avec Jean Fenot, commerçant et juge au tribunal de commerce de Nancy. En 1959, elle est nommée juge auprès du tribunal de grande instance de Nancy, où elle effectue le reste de sa carrière.




Le Tribunal de Lunevile en 1953. Suzanne Régnault-Gousset est assise derrière la chaire à droite



Elle prend sa retraite assez jeune, à 59 ans, en 1973. Lors de sa dernière audience, le bâtonnier fait son éloge : « Vous avez beaucoup sacrifié à la cause de la justice. Vous étiez un élément de sécurité et nous avons toujours apprécié vos qualités de cœur, votre mérite, votre caractère humain, aussi l’estime du barreau vous était entièrement acquise (6) ».

C’est âgée de 80 ans qu’elle décède le 1er août 1994, dans la ville où elle a mené à la fois sa vie et sa carrière.

 


Une mémoire conservée

La situation de Suzanne Régnault-Gousset est assez exceptionnelle pour la noter : sa mémoire a été conservée. Contrairement à Charlotte Béquigon-Lagarde, qui avait disparu de l’histoire de la magistrature, l’ancrage local a permis l’inscription de son identité sur une plaque émaillée.

C’est en effet son fils Étienne Gousset, alors chef du protocole à la mairie de Nancy, qui propose que la ville baptise une rue de son nom : pas n’importe laquelle, celle du siège de la cour d’appel de Nancy (7). C’est chose faite en 2005, et depuis plus de 15 ans déjà, son nom figure sur tous les courriers adressés aux juges nancéens. Afin que nul n’en ignore !



1) Suite au traité de Versailles du 26 février 1871 qui met un terme à la guerre avec la Prusse.

2) Voir son portrait dans le JSS n° 71 du 6 octobre 2018.

3) Articles de presse transmis par monsieur Rémi Gousset.

4) Entretien de l’autrice avec Rémi Gousset, fils de Suzanne Régnault-Gousset, le 24 août 2021.

5) Témoignage familial de Rémi Gousset.

6) Discours de Monsieur le bâtonnier Pierre Joffroy.

7) Anciennement dénommée terrasse de la pépinière.

 

Gwenola Joly-Coz,

Première présidente de la cour d’appel de Poitiers,

Membre de l’association « Femmes de justice »




Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz



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