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INTERVIEW. La fiscalité appliquée aux véhicules de fonction thermiques devrait grimper en 2025. De quoi mettre en péril cet avantage bien prisé des entreprises et des salariés ? Pas sûr, nuance l’avocate Anne Leleu-Été, qui avance que la hausse n’a pas été pensée pour être dissuasive, mais incitative.
C’est une mesure qui risque
de faire grincer des dents si elle se concrétise. Le gouvernement et
l’Assemblée plancheraient sur l’augmentation de la fiscalité
appliquée aux avantages en nature des véhicules de fonction.
Alors que la France comptait,
fin 2023, 1,2 million de véhicules de fonction, une étude publiée le 21 octobre
par l'ONG Transport & Environnement indique qu’environ 20 % de ces autos seraient
des voitures « statutaires ». Comprendre : prévues dans le
contrat de cadres comme complément de salaire pour des salariés qui n’en ont,
professionnellement, pas l’utilité
Et l’addition est salée. Au total, le manque à gagner - impôts et cotisations sociales réunis - se chiffrerait à 3,96 milliards d’euros en 2023, assure l’organisation. Anne Leleu-Été, avocate associée (cabinet Axel Avocats) spécialisée en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, nous éclaire sur les tenants et les aboutissants des modifications envisagées.
JSS : Quels sont les avantages dont
bénéficient les véhicules de fonction actuellement ? Pour quelles raisons
ont-ils été mis en place au départ et comment expliquez-vous leur succès aujourd’hui
?
Anne
Leleu- Été :
Le dispositif actuel n’est pas très vieux, puisqu’il date de 2002. C’est un arrêté qui est le texte de base sur lequel on
se fonde aujourd’hui et grâce auquel l'employeur a la possibilité de retenir
une évaluation forfaitaire au titre de l'utilisation à titre privé, par les
salariés, d’un véhicule mis à leur
disposition, s’agissant du calcul des cotisations de sécurité sociale. La
philosophie de départ était de dire : le salarié a un véhicule de fonction
car il en a besoin pour exercer sa profession, donc on va lui procurer un
avantage.
Ce
dernier n’est pas des moindres, puisque, pour rappel, le véhicule de fonction est
mis à disposition par l’entreprise en faveur d’un salarié avec une particularité :
le salarié peut s’en servir à la fois pour ses trajets professionnels et à
titre personnel. Avec le forfait, quand le salarié paie ses frais d’essence
personnellement, on évalue l’avantage en nature
à 9 % du coût d’achat total (ou à 6 % pour les voitures de plus de 5
ans, ndlr), 12 % si l’employeur paie les frais carburant (ou 9 % pour les
voitures de plus de 5 ans, ndlr). Et en leasing, l’avantage est cette fois
égal à 30 % (40 % si l’employeur paie l’essence, ndlr).
C’est
donc un super avantage, très apprécié des deux côtés. Le salarié, lui, va bénéficier
d’un véhicule qu’il n’a pas acheté, dont il ne finance pas la maintenance, et
pour lequel il va être uniquement soumis à cotisations et impôt sur revenu sur une
part tout à fait minoritaire.
L’employeur
n’est pas en reste non plus : le système d’amortissement du coût du
véhicule et la déduction au titre de l’impôt sur les sociétés lui permet de
réduire l’assiette d’imposition de l’entreprise. Et, par conséquent, de donner un
avantage au salarié tout en réduisant indirectement son coût à lui via l’économie
qui en résulte. Plus précisément, comme il s’agit d’un avantage soumis à
cotisation mais de façon minime, cela donne indirectement une rémunération au
salarié… mais sans verser de salaire - soumis, lui, aux cotisations patronales.
Au
lieu de donner 20 000 euros à un salarié en rémunération, les entreprises
ont bien compris qu’il valait mieux acheter un véhicule, le mettre à
disposition du salarié, et qu’avec l’évaluation forfaitaire, cela revenait
moins cher.
JSS : Pourquoi les véhicules de fonction sont-ils
aujourd’hui dans le viseur du gouvernement ?
A.
L.- É. :
Si le dispositif est sur la sellette, c’est parce qu’avec l’évolution des
métiers, notamment, la part d’utilisation professionnelle du véhicule est
devenue minoritaire par rapport à l’utilisation personnelle.
Ce
qui ne correspond plus à la conception qui présidait à l’origine. Initialement,
on considérait qu’on ne proposait pas de véhicule au salarié s’il n’en avait
pas l’usage. Avec le temps, cette considération a nettement évolué, du fait de
l’attractivité d’un tel système.
Celui-ci
est devenu, au fil des années, un avantage proposé dans un package de
rémunération qui n’a parfois rien à voir avec l’exécution des fonctions. Beaucoup
de salariés ont par exemple un véhicule de fonction car ils ont un niveau de
fonction élevé, alors qu’ils n’en ont en réalité pas l’utilité. C’est un type
de rémunération déguisée. Attention, je précise que ce n’est pas illégal. Cela fait
partie des usages, mais ça n’est pas forcément raccord avec l’idée qui a guidé
la mise en place de l’évaluation forfaitaire.
Et
puis, vous l’aurez compris, tout le sujet pour l’Etat est de dire : « là
où on peut faire des économies, on y va », comme nous sommes en pleine
période de préparation du budget 2025. L’étude
de l’ONG Transport & Environnement parue fin octobre met en évidence ce
que le régime entourant le véhicule de fonction n’a plus de raisons désormais
d’être aussi favorable, et que cela crée une niche brune, qui indirectement
fait perdre beaucoup d’argent à Etat, car si les employeurs donnaient aux
salariés des équivalents en montant, ils seraient imposés. Il faut corriger ça
dit l’ONG, rééquilibrer. Et ce sont vraisemblablement des préconisations qui vont
être suivies.
JSS : Même si le projet est juste sur la
table pour l’instant, à ce stade, qu’est-il prévu ?
A.
L.- É. :
Le projet est de remonter le barème d’évaluation des véhicules thermiques. Avec
ce qui est prévu, on passerait de 9 % à 18 %, même si les chiffres ne sont pas
définitifs – contre les 24 % préconisés - pour les véhicules achetés, et pour
les véhicules en leasing, on atteindrait 50 % ou 60 % du coût.
Au-delà
de gagner plus d’argent sur les avantages en nature, comme exposé plus tôt, l’objectif
de l’Etat est aussi d’inciter les entreprises à passer progressivement à
l’électrique, les flottes tardant à « verdir »*, et, en creux, de relancer
aussi le secteur automobile, du fait du ralentissement des commandes de
véhicules. Au-delà, il s’agit d’amener les entreprises à réfléchir au type de
véhicules qu’elles mettent à disposition des salariés ; des entreprises
qui parfois choisissent des flottes de véhicules qui ne sont pas assemblés en
France, qui ne supportent pas le secteur automobile français.
JSS : Faut-il alors s’attendre bientôt à
une loi sur le sujet ?
A.
L.- É. :
Avec ce sujet-là, pas besoin de passer par le circuit législatif classique, car
un arrêté ministériel peut être modifié par le gouvernement sans passer par cette
voie-là. C’est d’ailleurs pour cette raison que cette disposition ne serait pas
intégrée dans le projet de loi de finances ni dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale.
Elle
a certes été présentée début octobre par le gouvernement dans le cadre du
budget 2025, mais elle ne sera pas intégrée dans les textes en train d’être
discutés, car la volonté n’est pas de faire rentrer cela dans la discussion
globale. Donc oui, cela peut aller vite. L’objectif serait à priori de mettre cette
nouveauté en place dès 2025.
JSS :
Quelles conséquences cette mesure risque-t-elle d’avoir sur les entreprises et
sur les salariés ?
A.
L.- É. :
Est-ce que cette mesure va venir tout chambouler ? Je ne pense pas, car
même après modification, le dispositif restera très avantageux. Pour
schématiser les choses, la rémunération classique est soumise à 100 % aux cotisations
sociales et à l’impôt sur le revenu. Le véhicule de fonction, malgré
l’augmentation du barème, restera séduisant.
Selon
le directeur de pôle d’une agence spécialisée dans la gestion des flottes
automobiles cité par Le Journal des Flottes, pour un véhicule essence
dont le loyer est de 500 euros et le prix d’achat de 30 000 euros, le coût
de l’avantage chaque année augmenterait de 525 euros par an pour le salarié, et
de 588 euros pour entreprise, et de 746
euros pour le salarié et 835 euros pour l’employeur quand il prend l’essence
en charge.
Il y
a une augmentation visible, c’est indéniable : mais dans tous les cas, cela demeure
intéressant. C’est à peu près le coût d’une assurance : on est loin du
coût d’un véhicule !
Alors,
certes, cela va faire râler. Certes, cela n’est pas négligeable pour un salarié
qui est déjà juste financièrement ; c’est un coût à avaler
supplémentaire. Mais est-ce que va
empêcher à l’avenir les entreprises d’y avoir recours ? Cela m’étonnerait,
d’autant que ce n’est pas l’objet, ni l’objectif, de la réforme envisagée. Des
hypothèses avaient bien été émises pour supprimer tout bonnement cet avantage, or
ce n’est visiblement pas ce vers quoi on irait. Là, la motivation première est
clairement de renflouer les caisses. Par ailleurs, force est de constater que
le projet envisagé n’a pas l’air de faire monter au créneau trop d’entreprises
ou de salariés : il n’y a, pour l’heure, semble-t-il, pas pléthore de
récriminations. Preuve en est que le futur dispositif n’est finalement pas si
dissuasif, et qu’il va malgré tout rester attractif.
Propos recueillis par Bérengère
Margaritelli
* L’arrêté
du 10 décembre 2002 « refond
le dispositif d’évaluation des avantages en nature : le champ
des avantages pouvant être évalués forfaitairement est élargi à la mise à
disposition d’un véhicule ou d’outils issus des NTIC », ndlr.
**Selon l’édition 2024 de
l'étude de Transport & Environnement, en 2023, 60 % des entreprises
possédant les plus grandes flottes du pays n’avaient pas atteint le quota de
« verdissement » de 10 % imposé par la loi d’orientation sur les mobilités,
ndlr.
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