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INTERVIEW. Le dialogue entre monde politique et monde judiciaire est-il rompu ? La condamnation récente de Nicolas Sarkozy a suscité de vives réactions médiatiques et politiques. Ces dernières illustrent une méconnaissance du dossier et du fonctionnement de la magistrature, selon l’avocat Stéphane Maugendre, vice-président du Syndicat des avocats de France. Pour lui, les hommes politiques ont oublié le rôle qu’ils jouent pour la justice et les procédures qu’ils ont eux-mêmes permises en tant que législateurs.

Journal spécial des sociétés : Quel regard portez-vous sur les réactions suscitées par la condamnation de l’ancien président Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ferme ?
Stéphane Maugendre : Je les trouve généralement assez injustifiées, sans véritable analyse du contenu du dossier. Il y a eu, quand même, toute une procédure assez longue concernant cette condamnation. C’est le cas des condamnations précédentes, et peut-être des condamnations futures. Ce n’est pas un magistrat qui a posé un regard sur le dossier, mais plusieurs dizaines de magistrats, parce qu’il y a eu une instruction de la chambre de l’instruction, des procureurs, etc. Et finalement, trois magistrats, qui ont motivé une décision sur 450 pages. Aller directement sur le terrain de l’attaque sans analyser véritablement la décision, c’est du discours politique.
JSS : Trouvez-vous ces réactions justifiées ou disproportionnées, quand on les compare par exemple à d’autres procédures judiciaires visant des personnalités politiques par le passé, en France et chez nos voisins européens ?
S. M. : Les magistrats ont estimé que, compte tenu de la gravité des faits, la peine qui devait s’appliquer était celle de 5 ans d’emprisonnement avec exécution provisoire. Il faut se souvenir que le jour du délibéré, il y a deux personnes qui sont parties entre deux gendarmes. Le mandat de dépôt a été exécuté le jour-même ! J’ai le sentiment que les magistrats ont modulé la peine, mais aussi le type d’exécution, au regard de la personnalité de chacun des prévenus. Deux personnes condamnées avec mandat de dépôt immédiat. Pour Monsieur Sarkozy et pour d’autres, le mandat de dépôt a été différé. Pour d’autres, il a été dit que la peine serait exécutée de manière aménagée, avec un bracelet. On sent bien que les magistrats ont ciselé parfaitement la décision.
JSS : Peut-on dire que le pouvoir judiciaire en France est plus réticent à juger, voire condamner des personnalités politiques, comparativement à d’autres pays en Europe, selon vous ?
S. M. : Je ne le pense pas. Au contraire, les magistrats ont de moins en moins de difficultés à sanctionner des délits commis par des hommes, des femmes politiques, à partir du moment où c’est démontré. L’évolution de l’histoire judiciaire démontre que les magistrats n’hésitent plus à appliquer la loi aux hommes politiques. Ces derniers n’ont plus d’immunité. Là, c’est un ancien Président de la République. Son prédécesseur, Jacques Chirac, a été poursuivi. Il y a eu l’affaire Elf, l’affaire Botton, les carnets du PS, etc. Sans oublier monsieur Tapie. Il y a moult exemples de ce que la loi a été appliquée à l’encontre de certains hommes politiques. Ce n’est pas récent. Les choses évoluent. À partir du moment où un Président de la République commet des actes répréhensibles, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas sanctionné. La loi est égale pour tous !
JSS : Craignez-vous, à l’avenir, que les avocats de la défense dans des affaires de ce genre aient une moindre marge de manœuvre dans leur travail de défense des personnalités publiques accusées ? En avez-vous discuté avec certains de vos confrères/consœurs ?
S. M. : Je ne pense pas qu’il y ait moins de possibilité de défense. Parallèlement à tout ça, je ne peux me réjouir de ce que quelqu’un aille en prison. Ce n’est jamais agréable de voir des gens enfermés. Mais à partir du moment où c’est la réponse de la société actuelle, c’est comme ça. On n’y peut pas grand-chose.
Ensuite, le législateur a créé ce délit d’association de malfaiteurs, qui a été critiqué par le Syndicat des avocats de France, et par monsieur Trévidic dans le Monde, en disant que c’était un délit un peu « fourre-tout ». Mais à partir du moment où ce délit existe, il doit être appliqué. C’est sous des législatures qui critiquent maintenant ces décisions que le délit d’association de malfaiteurs a été créé : il faut avoir cela en mémoire.
J’ai discuté avec des avocats d’hommes politiques, et ils n’ont pas l’impression que leur travail de défense va être amoindri. Par contre, on voit bien qu’avec la loi contre le narcotrafic, notamment avec les procédures coffre, la défense est légalement restreinte. Sauf on applique des procédures coffre dans les affaires politico-financières…
JSS : Qu’est-ce que cette affaire et d’autres affaires de corruption ou de trafic d’influence nous disent du rapport entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire ?
S. M. : Ces politiques qui critiquent ces décisions, contre Madame Le Pen, contre Monsieur Sarkozy, sont les mêmes qui critiquent le pouvoir judiciaire, sur la base de lois qu’ils ont réclamées à corps et à cris. On constate que dès que ça les touche, on a affaire à des « juges rouges ». L’exécution provisoire des peines, ce sont eux qui l’ont demandé ! Il y a suffisamment de vidéos qui circulent là-dessus.
Là, l’attaque a été dirigée contre la présidente, alors que c’est le tribunal qui a délibéré de manière collégiale, première chose. Ensuite, l’attaque contre la présidente parce qu’elle aurait été syndiquée à l’Union syndicale des magistrats. On va sur ce terrain-là.

« Les politiques ont tout fait pour que l’association de malfaiteurs soit dans le Code pénal »
Stéphane Maugendre, vice-président du Syndicat des avocats de France
Sur la question de l’association de malfaiteurs, les politiques ont tout fait pour que ce délit soit dans le Code pénal. Ils sont un peu malvenus de venir critiquer l’application de lois qu’ils ont, eux-mêmes, appelées de leurs vœux. On parle de l’inéligibilité, par exemple. Il y a une vidéo de madame Le Pen qui dit : « Il faudrait qu’ils soient inéligibles. » Quand ça tombe sur elle, elle ne peut pas dire « c’est une mauvaise loi ». Elle dit « ce sont les juges rouges ! »
JSS : Dans quelle mesure une affaire politico-judiciaire et son issue, comme celle ayant concerné Nicolas Sarkozy, peut-elle restaurer une certaine confiance dans le travail de la justice ? Renforce-t-elle l’idée que personne n’est au-dessus des lois ?
S. M. : Des mandats de dépôt, il y en a tous les jours. En comparution immédiate, ce sont des mandats de dépôt pour des peines allant de 1 à 3 mois. Il y a des statistiques qui démontrent que, grosso modo, pour toutes les peines au-delà de 5 ans, les mandats de dépôt sont immédiats, à la barre ! Et ce que la personne soit libre ou en détention provisoire. Le fait que le tribunal condamne M. Sarkozy à 5 ans d’emprisonnement ferme pour association de malfaiteurs, un délit relativement grave, parce que lié à du terrorisme, où à quelqu’un qui était recherché par la France, le fait que les juges aient demandé un mandat de dépôt, ça démontre que la justice est finalement indépendante, et qu’elle peut sanctionner les puissants comme les faibles.
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