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INTERVIEW. Ce processus, jusqu’ici limité, uniquement possible en interrogeant des bases de données d’ADN étrangères, pourrait bien voir le jour en France sur l’impulsion du ministère de la Justice. De quoi lever les derniers freins de certaines enquêtes au point mort depuis des années ? Pour l’avocat spécialiste des cold cases Didier Seban, « il y a urgence à résoudre ces affaires ».

Journal Spécial des Sociétés : Le 20 octobre dernier, le ministre de la Justice a annoncé sa volonté d’encadrer l’usage de la généalogie génétique pour résoudre les crimes les plus graves restés sans réponse, comme cela est le cas aux Etats-Unis depuis plus de sept ans. Comment accueillez-vous cette proposition ?
Didier Seban : C’est une première avancée, mais je ne me réjouis pas trop vite, car il faut que l’Assemblée adopte le projet de loi. Ensuite, il ne faudrait pas mettre des conditions trop lourdes pour cet encadrement qui retarderaient sa mise en œuvre.
Des familles attendent des réponses depuis 20, 25, 30 ans, et chaque mois supplémentaire est une souffrance. Il y a urgence à résoudre ces affaires, déjà pour que les auteurs de ces crimes ne recommencent pas, et pour que les familles puissent avoir une réponse.
Une première affaire en France a été résolue grâce à la généalogie génétique, celle du « prédateur des bois » [un homme soupçonné d’avoir séquestré et violé cinq jeunes femmes entre 1998 et 2008, ndlr]. L’ADN recueilli n’ayant matché avec aucun du Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), un juge français a saisi le FBI et lui a demandé de comparer la trace retrouvée sur les victimes de viols, ici des traces de sperme. Le FBI a alors interrogé ses bases et trouvé deux cousins de l’auteur, qui a ensuite été interpellé en mars dernier, mais qui n’a jamais été jugé puisqu’il s’est suicidé entre temps.

« Ne pas encadrer la généalogie génétique en France, c’est permettre qu’elle soit mise en œuvre avec des conditions de sécurité bien inférieures dans d’autres pays. »
La génétique généalogique est donc déjà pratiquée en France, mais la difficulté est que les juges ne peuvent pas, à droit constant, consulter directement ces bases étrangères. Ils sont obligés de passer par une commission rogatoire internationale auprès du FBI pour que lui-même fasse cette généalogie génétique. Un processus qui nous fait dépendre de services de police étrangers – qui n’ont pas que cette priorité.
En outre, pendant un certain temps, la situation avait été bloquée à cause d’une triste histoire d’argent, si je puis dire : comment payer l’intervention de policiers étrangers sur ces bases ? On a perdu presque deux ans comme ça, ce qui a justifié ma conférence de presse [en juin dernier ndlr] et ma colère dans l’affaire Sabine Dumont [jeune fille de 9 ans enlevée, violée et tuée à Bièvres en 1987, ndlr], bloquée pour ces raisons, alors même que la procédure n’est pas très coûteuse. Ce n’était au final même pas une histoire de montant, mais de capacité de l’administration française à surmonter la difficulté de payer quelque chose aux Etats-Unis.
JSS : Comment fonctionne, concrètement, le recours à la généalogie génétique ?
D. S. : On compare un ADN prélevé sur une scène de crime qui se résume à une série de chiffres, aux ADN d’une base, laquelle va pouvoir nous dire s’il s’agit d’un cousin germain, d’un petit fils ou autre. Lorsqu’on a trouvé, on fait de la généalogie pour trouver celui ou celle qui a laissé sa trace. Une fois la personne identifiée, on prélève et on vérifie si c’est bien la même trace que celle prélevée sur la scène. S’ensuit une période d’enquête et de vérifications. Bref, elle nous permet des avancées vraiment très importantes dans certaines enquêtes aujourd’hui bloquées !
À lire aussi : La généalogie génétique relance l’espoir sur l’affaire Sabine Dumont et pourrait aider d’autres cold cases
Et si je suis favorable à ce que les juges puissent interroger les bases étrangères sans passer par le FBI, je souhaite également une seconde étape : pouvoir faire la même chose avec les données du FNAEG. En effet, on ne renseigne au fichier que 23 marqueurs, or, pour faire de la généalogie génétique, il en faut 600 000 . Ce n’est pas plus coûteux, il s’agit juste de changer les règles pour qu’au moment de prélever l’ADN, on prenne ces 600 000 marqueurs.
Ainsi, plutôt que de consulter des bases dont on ne connaît pas parfaitement la déontologie, le respect des règles et leur utilisation (puisque soumises à un droit étranger), mon souhait est qu’on le fasse en permettant au FNAEG de détenir suffisamment de marqueurs pour chaque nouveau profil enregistré, de façon à réaliser cette généalogie génétique. Chaque année, environ 250 000 nouveaux prélèvements sont inscrits à ce fichier. [Celui-ci tient son origine d’un généticien qui avait commencé à répertorier une liste d’empreintes génétiques avec des numéros de tous les profils de crimes d’enfants de sang et de sexe, avant d’être pleinement opérationnel vers 2002, expliquait auprès du JSS Marie Lawritz, vice-procureure de Nanterre ndlr]
JSS : Quid de la protection des données génétiques personnelles face aux piratages, comme ce fut le cas de l’entreprise 23andMe en 2023, qui a vu des millions de données circuler sur le dark web ?
D. S. : Il y a des règles en France qui font qu’aujourd’hui, seule la justice peut consulter les empreintes génétiques. Dans sa proposition, le ministère de la Justice prévoit que la généalogie génétique soit utilisée en dernier recours et seulement dans les affaires irrésolues.
De plus, on a un corpus de règles très protecteur des personnes et de l’utilisation de ces fiches. Finalement, ne pas encadrer la généalogie génétique en France, c’est permettre qu’elle soit mise en œuvre avec des conditions de sécurité bien inférieures dans d’autres pays.
Le FNAEG est extrêmement protégé, il n’a jamais été piraté. Et en l’état actuel des choses, on a affaire à des banques de données privées soumises à la loi américaine, ce qui n’est pas une garantie étatique.
JSS : Pourquoi le recours à la génétique généalogie n’est toujours pas encadré en France, alors qu’il a permis des avancées dans plusieurs cold cases français ?
D. S. : On a un souci permanent : éviter le fichage, protéger un certain nombre de choses, d’où l’interdiction en France de faire des tests ADN récréatifs, qui sont d’ailleurs punis d’une amende.
Mais à côté, on envoie de l’ADN dans d’autres pays, alors qu’on ne sait pas ce qui en est fait ! Plus d’un million de Français ont envoyé leur ADN aux Etats-Unis ou à Londres, notamment pour connaître d’éventuels cousins, leurs origines géographiques, etc. Ces fiches sont stockées quelque part aux Etats-Unis. On protège plus mal à force de fixer des principes. Je pense que c’est cette peur polémique de l’utilisation de ces éléments qui fait qu’on est si en retard aujourd’hui.
Et ce n’est pas qu’en matière de justice. En France, on est très en retard aussi en matière de repérage des maladies génétiques dès l’enfance car on pratique très peu de tests. En Grande-Bretagne, c’est beaucoup plus développé.
JSS : Vous disiez, au moment du recours à la généalogie génétique pour l’affaire Sabine Dumont, qu’« il faut changer la loi pour que cette technique puisse être utilisée en France. » Peut-on espérer un encadrement rapide ?
Je pense que ça pourrait être assez rapide, on a même un amendement prêt. Attendons déjà le dépôt du projet de loi qui sera débattu en janvier prochain.
JSS : Y a-t-il eu des avancées dans cette affaire, justement ?
D. S. : L’affaire Sabine Dumont n’est pas encore finalisée. L’ADN a été envoyé en juillet dernier, il est toujours en cours d’analyse, car il faut extraire ces 600 000 marqueurs, puis il faut les envoyer au FBI pour qu’il puisse faire cette comparution dans les bases de données étrangères.
Encore une fois, on dépend de la disponibilité et de la bonne volonté d’un service de police étranger et éventuellement d’aspects diplomatiques. Mais on espère vivement que cela permettra des avancées dans l’enquête, de même pour les quatre autres dossiers confiés aux Etats-Unis à la suite de ma conférence de presse.
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