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Dans une lettre ouverte assortie d’une plainte, un collectif d’avocats dénonce les positions ambiguës du garde des Sceaux, dont le soutien à peine voilé à l’ancien président incarcéré interroge. Gérald Darmanin s’est rendu cette semaine à la Santé et s’est entretenu avec Nicolas Sarkozy, provoquant une levée de boucliers chez ceux qui y voient une atteinte à l’indépendance des magistrats et une interférence dans une affaire non encore définitivement jugée.

Lundi 20 octobre, la seule annonce de la visite avait déjà fait grand bruit. Invité de la matinale de France Inter, le garde des Sceaux avait évoqué « sa tristesse » de voir l’ancien président derrière les barreaux, et avait rendu publique sa volonté de se rendre en personne à la prison de la Santé pour une rencontre avec lui.
Un soutien à peine masqué qui n’a pas manqué de faire réagir les professionnels du droit. Plusieurs magistrats ont exprimé leur malaise par rapport à ce qu’ils qualifient de prise de position dans une décision de justice. Certains y voient aussi une atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, s’était inquiété dès le lendemain sur France Info d’un « risque d’obstacle à la sérénité et d’atteinte à l’indépendance des magistrats ».
Les avocats sont allés plus loin. Le 23 octobre, un collectif de 28 avocats issus de plusieurs barreaux de France a fait savoir qu’il portait plainte contre le ministre de la Justice pour « prise illégale d’intérêts » auprès de la Cour de justice de la République, via une jurisprudence considérant que « l’intérêt » peut « être moral et plus précisément amical ».
S’adressant par ailleurs directement à Gérald Darmanin dans une lettre ouverte, les avocats, emmenés par Maître Jérôme Karsenti, dénoncent « une atteinte grave », pointent le mélange des genres et une « pression implicite » sur le parquet. La plainte, que BFMTV a pu consulter, dénonce sans détour cette ambiguïté : « Gérald Darmanin, même s’il n’a pas de pouvoir de décision quant à la position du parquet dans l’affaire, a un pouvoir implicite du fait de son statut de supérieur hiérarchique. Il a donc sans nul doute un pouvoir de surveillance ou d’administration inhérent à sa qualité de ministre de la Justice. »
Jérôme Karsenti s’est indigné sur la chaîne d’info : pour lui, le ministre de la Justice « perd pied », « comme nul autre de ses prédécesseurs ». « Qu’un garde des Sceaux perde pied à ce point-là dans notre histoire constitutionnelle, au point de confondre ses amitiés, ses intérêts personnels avec ses missions régaliennes est extrêmement grave pour l’état de droit », a alerté l’avocat, qui a également tenu à souligner les liens étroits que Gérald Darmanin entretient avec Nicolas Sarkozy. Ce dernier est souvent qualifié de « mentor » politique envers celui qui a plusieurs fois parlé de son admiration pour l’ex-président.
Mercredi 29 octobre, la visite de Gérald Darmanin à Nicolas Sarkozy s’est donc tenue « en présence du chef d’établissement ». Elle a duré 45 minutes, et n’a – pour l’instant- fait l’objet d’aucune communication officielle de la part de la Chancellerie. Le garde des Sceaux s’est tout de même justifié auprès des députés qui l’interrogeaient sur ce déplacement, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi, répondant qu’il visitait « trois prisons par semaine ». Le garde des Sceaux a aussi précisé qu’il était « tout à fait normal et légitime de s’enquérir de sa sécurité (celle de Nicolas Sarkozy), comme pour tous les détenus de France » ; et que ce détenu en particulier [posait] « des questions plus complexes de sécurité, de sa sécurité ».
Sollicitée par BFMTV pour une réponse officielle, la Chancellerie a simplement rétorqué que « Gérald Darmanin, rendant visite à Nicolas Sarkozy à la Santé, (était) dans son rôle de chef de l’Administration pénitentiaire », redisant que « toutes les semaines, le garde des Sceaux visit(ait) des lieux de détention, et échange(ait) avec des détenus ».
À lire aussi : La Conférence des avocats du barreau de Paris dénonce la garde à vue de l’avocate Marie Dosé
Dans leur lettre, les avocats indiquent au garde des Sceaux « ne pas contester les prérogatives du ministre de la Justice », qui lui permettent de visiter une prison quand il le souhaite. Mais, interpellent-ils, « en annonçant publiquement (votre) intervention auprès d’un individu, condamné en première instance, dont l’appel est encore en cours, (vous) faites peser sur la justice le soupçon d’une immixtion politique », poursuit le document.
Les avocats invitent enfin le ministre de la Justice à « consacrer (son) énergie et (ses) moyens à la protection de l’institution judiciaire dans son ensemble et à l’amélioration des conditions de détention pour tous les justiciables »… plutôt que de prendre position dans une affaire en cours.
« La défense de l’Etat de droit implique des actes forts et courageux de la part de celles et ceux, qui dans la société, servent la justice au quotidien », salue dans une publication LinkedIn le magistrat Jérôme Pauzat, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal de Nancy. Réagissant à la plainte contre Gérald Darmanin, il souhaite qu’un « hommage » soit rendu « à ces robes noires » car, « grâce à elles, les propos du Garde des Sceaux sur France Inter concrétisés par sa visite de N. Sarkozy en prison, ne vont pas rester simplement à l’état de séquence médiatique. (…) La plainte de Jérôme Karsenti et ses pairs présente l’immense mérite de rappeler la gravité institutionnelle de cette séquence qui fragilise fortement notre Etat de droit en touchant à l’indépendance de la Justice. »
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