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Entre sous-effectifs, baisse des budgets et invisibilisation des métiers, les SPIP se font entendre, dans un contexte également marqué par la mobilisation grandissante du secteur associatif. En première ligne, les associations socio-judiciaires, qui se sentent particulièrement lésées dans leur mission de service public.

A l’appel des syndicats, les agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont manifesté début octobre, en dénonçant les moyens insuffisants délivrés à leur secteur. Quelques jours auparavant, la Fédération Nationale des associations socio-judiciaires tirait quant à elle la sonnette d’alarme au sujet des « conditions de survie » imposées à ses membres. Si l’étau se ressert progressivement autour des personnels socio-judiciaires, leurs prises de parole récurrentes n’ont pas encore reçu de réponses concrètes du garde des Sceaux.
Secrétaire nationale au Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Adélaïde Moncomble est conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Juriste de formation, elle a exercé à la maison d’arrêt de Fresnes, avant de rejoindre Bordeaux en 2013, où elle travaille en milieu ouvert. Son parcours illustre la variété d’une profession souvent aux prises avec les idées reçues. Réinsertion des personnes condamnées, bon suivi du respect de leurs obligations judiciaires… La mission des SPIP reste pourtant essentielle au fonctionnement de la justice et à la prévention de la récidive.
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Aujourd’hui, Adelaïde Moncomble s’inquiète de la fragilisation de ce travail de fond, déjà marqué par un épuisement généralisé : « Depuis 3 ans, il y a un gros ras-le-bol de la part de notre profession, à cause de la baisse drastique des recrutements.» Les chiffres sont là : la dernière promotion de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) compte une centaine d’élèves. « Il y a quelques années, on était encore à 350. Aujourd’hui, ce nombre de diplômés en chute cause une baisse importante des recrutements, pour un concours qui attire malgré tout énormément de monde », décrit l’agente. En entraînant un sous-effectif chronique et en empêchant les ouvertures de postes, ces restrictions nées de budgets en berne sont la cause majeure de la mobilisation. Pour la déléguée syndicale, « plus de 1200 agents manquent à l’appel », ce qui rend la situation « intenable ».
Eneko Etcheverry, secrétaire au bureau national de la CGT Insertion probation, partage cette colère. « La réalité des recrutements gelés se confronte à l’augmentation perpétuelle de la population carcérale ». Avec plus de 80 000 personnes incarcérées et plus de 170 000 individus en milieu ouvert, les 5 300 agents [1]SPIP (12 % des effectifs totaux de l’administration pénitentiaire) ne peuvent assurer un suivi qualitatif de chaque dossier. Dans le service d’Adelaïde Moncomble, les CPIP « gèrent 110 à 120 dossiers chacun, alors que les recommandations européennes fixent le seuil à 60 ».
La secrétaire nationale du SNEPAP-FSU souligne par ailleurs les effets délétères de la suppression de personnels contractuels : « Bien que nous soyons des défenseurs de la titularisation et du recrutement de fonctionnaires, ces contractuels permettaient à des services de souffler un minimum et d’avoir des charges de travail importantes, mais respirables. Ce n’est plus le cas. Sur le milieu ouvert de Bordeaux par exemple, quatre postes de contractuels à temps plein ont été supprimés fin juillet, en même temps. En seulement 15 jours, la charge de travail a explosé ».
Elle dénonce, en parallèle, les suppressions de postes administratifs : « Celles et ceux qui s’en vont ne sont pas remplacés. Ils sont pourtant chargés d’accueillir le public, de vérifier les pièces, de constituer et d’archiver les dossiers. En fait, c’est comme un tribunal sans greffier : ils sont invisibilisés mais sans eux, on ne fait rien ! » Ces manquements, notamment au niveau de l’accueil du public, peuvent en outre générer de nombreuses tensions et augmenter le risque de violences contre tous les personnels. « Un SPIP doit être ouvert 5 jours sur 5, dans le souci de continuité du service public. Faute d’effectifs, les CPIP se retrouvent à faire le secrétariat, l’accueil ou le standard, au détriment de leur cœur de métier ».
A cette crise structurelle s’ajoute un mécontentement symbolique. Le SNEPAP-FSU dénonce ainsi une « politique pénale à la dérive » ainsi qu’une « logique populiste d’enfermement ». Début 2025, le ministre de la Justice avait en effet critiqué certaines activités menées dans les SPIP, en les qualifiant de « trop ludiques » ou « provocantes » pour des personnes suivies par l’administration pénitentiaire. Si la déclaration ne visait pas toutes les actions collectives, elle avait néanmoins été perçue par la profession comme une mise en garde générale. « Il s’agit de mesures démagogues, de populisme pénal », commente Eneko Etcheverry pour la CFT.
Adelaïde Moncomble illustre pour sa part les conséquences concrètes de la circulaire de Gérald Darmanin. « Les coordonnateurs socioculturels ou les CPIP se retrouvent avec des projets qui capotent du jour au lendemain, juste parce que le ministre a fait une envolée dans les médias, c’est insupportable. Ces actions sont montées pendant un voire deux ans, elles sont validées en haut lieu et s’appuient sur l’étude de certains besoins criminogènes. Il faut bien comprendre qu’on ne fait pas du ludique dans la pénitentiaire ! On crée des actions qui, certes, peuvent surprendre quand on n’est pas un professionnel en la matière, mais qui visent toujours à intervenir dans des problématiques en lien avec la récidive ».
De manière générale, les récents discours gouvernementaux orientés vers un durcissement sécuritaire et prônant une vision punitive sont déplorés. « Des études scientifiques internationales ont démontré l’inefficacité de l’incarcération à tout va. Ce qui fonctionne, ce sont les alternatives à la détention et les aménagements de peine », insiste Adelaïde Moncomble. « Aujourd’hui, les arbitrages font le jeu de l’extrême-droite »,appuie à son tour Eneko Etcheverry.« A l’instar de l’axe politique emblématique de Gérald Darmanin : les quartiers de lutte contre la criminalité organisée ou les nouveaux QHS. Des moyens hallucinants sont déployés pour 0,1 % de la population pénale. Alors qu’en parallèle, des établissements pénitentiaires sont suroccupés à 160 % ».
Autre rouage essentiel du fonctionnement de la machine judiciaire et de l’accompagnement des justiciables, le secteur associatif a également fait part de son mécontentement en réaction aux États généraux lancés par le garde des Sceaux en juin dernier. Vincent Blanchon, porte-parole de Citoyens et Justice (la fédération nationale du secteur socio-judiciaire) s’explique à ce sujet : « Les États généraux se sont uniquement concentrés sur les SPIP en recommandant de les repositionner sur des missions de présentenciel. Or, c’est le secteur associatif qui met en place une bonne partie de ces mesures. En remettant en cause l’équilibre fragile des associations, on coupe leur lien avec les juridictions en les renvoyant à un rôle de prestataire. En sachant qu’elles sont parfois concurrencées par des organismes à but lucratif ».
Selon lui, secteur associatif et les SPIP peuvent être complémentaires. « Cette réorganisation doit être réfléchie pour ne surcharger ni le secteur associatif, ni les SPIP, qui font déjà face à un nombre de missions affolantes ».
Bien qu’ils aient un statut différent, les SPIP et associations portent des revendications convergentes, inquiètes, face à des baisses budgétaires et des décisions politiques qui sous-évaluent leurs expertises.
[1] Chiffres Ministère de la justice
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