« Le pacte d’associés vous économise du temps, de l’argent, et il vous permet quand même d’anticiper une situation sereine »

Alexandre Coratella, avocat en droit des sociétés et en droit des affaires, et Alexandra Laroche-Chaïb, cheffe d’entreprise, ont décortiqué le pacte d’associés pour les entrepreneurs des quartiers, lors de « Quartier général », le 4 décembre. Pour tout projet naissant, le CNB recommande ce document, une procédure souvent méconnue mais qui permet de cadrer « des aspects déterminants de la vie d’une entreprise ».


lundi 8 décembre8 min
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Pour la deuxième édition de Quartier Général, il a été question de l’importance de rédiger un pacte d’associés lors de création d’une entreprise. @ JSS

Faut-il impérativement rédiger un pacte d’associés – cette convention qui complète les statuts et encadre les relations entre fondateurs – dès la création d’une entreprise à plusieurs dirigeants ? Pour Alexandre Coratella, avocat en droit des sociétés et en droit des affaires, et pour Alexandra Laroche-Chaïb, fondatrice de l’entreprise Docteur Sirop, la question n’a même pas à se poser. Tous deux ont apporté leurs réponses lors de la deuxième édition de Quartier Général, un évènement destiné aux « entrepreneurs des quartiers » et organisé par Bpifrance jeudi 4 décembre 2025 à Saint-Ouen. Avec ce partenariat, le Conseil National des Barreaux (CNB) a en effet souhaité expliquer pourquoi la rédaction d’un pacte d’associés constitue, pour toute entreprise naissante, un outil qu’il vaut mieux mettre en place rapidement.

Devant plusieurs jeunes chefs d’entreprises et curieux, l’entrepreneuse a résumé simplement : « Il vaut mieux le faire dès le départ, pour éviter des dépenses beaucoup plus importantes par la suite. »

Selon l’avocat, le pacte d’associés est « quelque chose qui vous garantit que ça vous coûtera moins cher à l’avenir », rappelant que, dans l’idéal, « le pacte d’associés n’est jamais activé sur les clauses des plus dures et ça se passe très bien avec votre associé ». Dans ce cas, a-t-il ajouté, « vous revendez, ce sont des coûts d’exploitation ». Mais dans une configuration « un peu plus réaliste », si le pacte est activé et qu’il a été correctement rédigé, « il vous économise du temps, de l’argent et il vous permet quand même d’anticiper une situation sereine ».

Alexandre Coratella a également insisté sur la vocation protectrice du document : « Le pacte d’associé vous protège indirectement en tant qu’associé, mais il protège surtout l’intérêt de la société. Et ça, c’est très important, parce que c’est l’exploitation de la société qui fait qu’on va pouvoir trouver des solutions. » Enfin, pour l’intervenant, il faut prendre en compte une réalité souvent méconnue : « La vérité, c’est que quand on sort un associé d’une société, il faut de l’argent. Soit dans la société, soit dans celle qui reste, mais il en faut quelque part. Il faut donc d’abord protéger l’exploitation pour qu’ensuite on puisse réfléchir sereinement au devenir des associés. »

Près de 3 000 euros pour rédiger un pacte d’associés

Pour Alexandre Coratella, un pacte d’associés constitue un véritable investissement. Même si son coût peut décourager au premier abord, cette dépense doit être envisagée comme une protection à long terme. « Effectivement, un pacte associé, ça coûte cher quand on démarre, dans les 3 000 euros approximativement. À ce prix, on est sur quelque chose de cohérent, un peu moins s’il est vraiment entre deux associés fondateurs au tout début de la société, un peu plus, voire beaucoup plus s’il arrive très mature avec beaucoup de droits différenciés, mais c’est un investissement que vous faites. La dépense juridique, c’est toujours un investissement. »

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L’avocat a aussi expliqué que cet investissement porte avant tout sur l’anticipation. « Vous investissez dans deux choses. Un, il y a quelqu’un qui a anticipé l’avenir et qui vous a proposé des alternatives. Deux, ce qu’on vend, ce n’est pas de la sécurité juridique, c’est du sommeil. C’est la garantie que nous, on s’est posé les questions que vous n’étiez pas en mesure de vous poser, que vous n’aviez pas le temps de vous poser. On vous les a soumises, on a obtenu les réponses et on vous garantit que ce qu’on met en place va vous permettre d’avancer sereinement et d’avancer balisé. » Ces interrogations, souvent évitées, l’avocat en a plusieurs exemples : « Les questions qu’on ne voulait pas se poser… Tout ce qui a trait à l’argent, comment on conçoit l’argent, à quoi ça sert, quelle vision on en a ? Comment on conçoit son investissement dans la société ? La question des enfants : qu’est-ce qui va se passer quand je vais être parent, vais-je avoir envie de m’investir autant ? Etc… »

Selon lui, un pacte doit également permettre de cadrer d’autres aspects déterminants de la vie d’une entreprise : la sortie du capital, les situations de conflit entre associés, les rémunérations, les dividendes, les évolutions personnelles susceptibles d’entraîner une montée ou une descente au capital, ou encore la manière de récompenser la performance. Le membre du CNB a souligné aussi l’importance d’intégrer des mécanismes adaptés à chaque cas : droits différenciés, dette ou actions, acquisition immédiate ou différée des titres… autant de paramètres qui conditionnent l’équilibre de la société.

« Discutons et trouvons une sortie négociée »

Dans tous les cas, l’objectif reste d’anticiper toutes les failles potentielles. « Ce sont toutes ces questions-là qu’on vous force à vous poser pour vous fournir un certain nombre de leviers avant d’arriver devant un juge, pour vous permettre de vous mettre autour d’une table, de dire : voilà ce qu’on a signé à l’époque où ça allait bien. Aujourd’hui tu le contestes, tu ne le contestes pas : sur le terrain de la valorisation, sur le terrain des clauses qui sont OK… Asseyons-nous autour d’une table, discutons et trouvons une sortie négociée », a résumé l’avocat.

Aucun professionnel «sain d’esprit » – entrepreneur comme avocat – ne recommanderait de s’engager immédiatement dans un contentieux : « Tant qu’on n’aura pas épuisé la voie transactionnelle et la question de l’accord, on ne vous offre pas la sortie la plus rapide. Il n’y a pas d’associé qui vient nous permettre d’avoir les armes pour le faire si ce n’est ce que ne font pas les statuts et ce que fait le pacte d’associés en étant confidentiel. »

Et de finalement rappeler que tout l’enjeu consiste à bâtir un document qui corresponde réellement aux besoins de l’entreprise : « On questionne le financement, on questionne le business, on questionne vos relations entre vous pour essayer d’avoir un document juridique qui ne soit pas un document que vous peinez à appliquer, mais un document que vous avez compris et qui correspond exactement à ce que vous voulez faire dans votre entreprise. »

« J’ai été associé avec une très bonne amie, aujourd’hui, on ne se parle plus »

Sur la question même de l’association, Alexandra Laroche-Chaïb a précisé que le pacte d’associés pouvait jouer un rôle déterminant dès le départ, notamment lorsque les futurs associés ne se connaissent pas encore très bien. « Je trouve qu’il a tendance à mettre en lumière le fait d’être aligné sur la vision des choses, sur la valeur, sur la manière dont on a envie de faire évoluer l’entreprise. » Elle a insisté sur la nécessité de choisir des profils complémentaires : « Il y a une chose qui est vraiment primordiale, c’est de vous associer avec des personnes qui ont des compétences tout autres que les vôtres. C’est important, ça permet également de ne pas se marcher dessus. Et ce qui est important, c’est de vraiment se rejoindre sur la partie valeurs. Le pacte d’associé permet aussi une ouverture de dialogue sur ces sujets-là. »

Le Conseil National des Barreaux (CNB) - partenaire du salon - était représenté par Alexandre Coratella, avocat en droit des sociétés et en droit des affaires
Selon l’avocat, Alexandre Coratella, mieux vaut recourir à un pacte d’associés plutôt que de payer plus par la suite @ JSS

L’avocat a abondé dans ce sens, évoquant les situations parfois inattendues auxquelles il est confronté. « Moi, je fais des pactes d’associés entre mari et femme. Parce que justement, je sais qu’au moment du divorce, ça va être dans le sang et les larmes, et donc on veut une surcouche qui protège la société, on veut des règles claires et on ne veut pas attendre la question du traitement du divorce pour se débarrasser de l’associé qui veut arrêter le projet ou reprendre. » Selon lui, tout l’enjeu réside dans la mesure : « L’idée, effectivement, ce n’est pas de prévoir quelque chose qui va complètement ostraciser votre associé, qui va complètement le mettre à terre. C’est de prévoir quelque chose d’équilibré qui permette que le projet survive, que les intérêts soient ménagés et qu’au quotidien ça fonctionne correctement. »

Interpellé par un entrepreneur participant à cette deuxième édition de Quartier Général, sur les associations fondées uniquement sur l’amitié, Alexandre Coratella a tenu à nuancer avec ironie : « Alors, il y a plusieurs exemples d’associations de ce type qui ont été réussies. Dans mon cas, moi, j’ai été associé avec une très bonne amie, aujourd’hui, on ne se parle plus. Il faut comprendre que lorsque vous allez vous associer, évidemment, vous dites : on saura faire la part des choses. La vérité est qu’à un moment ça vous prend tellement aux tripes que, des fois, – et ce n’est pas de la caricature, ce sont des vrais montants – on doit travailler des associés trois semaines parce qu’il y a une différence de 500 euros sur ce qu’ils veulent et ce qu’on leur a proposé. Et on doit aller travailler au corps trois semaines en leur disant : là, c’est le moment de lâcher les rênes, de me faire confiance. Et quand je vous dis qu’il faut signer ça, il faut le faire et à la fin les gens vous rappellent en vous disant « vous aviez raison maître ». Vous pouvez vous associer avec des amis, mais il faut avoir conscience que cela peut aussi vous déchirer. »

Enfin, Alexandra Laroche-Chaïb a alerté sur la tentation de contourner l’expertise juridique au profit de l’intelligence artificielle : « Cela ne suffit pas pour rédiger un pacte d’associés, ça je le dis aussi. Un ChatGPT ne suffit pas si vous ne voulez pas vous enliser dans un contentieux qui va vous coûter 10 ou 12 fois le prix du pacte. »

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