Justice

« Une ère nouvelle » pour la Cour d’appel de Colmar avec l’installation de son nouveau procureur général

Le 26 septembre, la juridiction alsacienne accueillait officiellement Christophe Rode, succédant à Éric Lallement. Déjà en fonction depuis mars, le magistrat a profité de cette audience solennelle pour présenter les grandes orientations de son action.


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Romain Tardinovendredi 3 octobre7 min
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Le 26 septembre 2025, la juridiction alsacienne accueillait officiellement Christophe Rode, nouveau procureur général ©DR

« Sans vouloir me draper dans une robe ourlée de vanité qui ne sied nullement à un magistrat, il serait inexact et malhonnête de nier ma fierté d’avoir été proposé par monsieur le garde des Sceaux pour exercer les fonctions de procureur général près la cour d’appel de Colmar. » C’est avec une gravité presque hiératique que Christophe Rode a exprimé ses remerciements lors de l’audience solennelle de rentrée du 26 septembre 2025, marquant officiellement son installation à la tête du parquet général.

Arrivé dès mars pour succéder à Éric Lallement, nommé inspecteur général de la justice, l’ancien magistrat lyonnais de 64 ans n’avait pas encore eu l’occasion d’être présenté dans les formes. « Monsieur le procureur général, vous me voyez un peu embarrassé », a reconnu en préambule l’avocat général Philippe Vannier. « Il me revient de vous présenter alors que la plupart de nos invités vous connaissent déjà… Mais aujourd’hui, nous réparons ce manque ! »

Aux côtés d’une vingtaine de magistrats – dont Nicolas Heitz, nouveau procureur de Mulhouse et frère de l’actuel procureur général près la Cour de cassation, Rémi Heitz – et de plusieurs fonctionnaires, l’audience fut aussi l’occasion pour la première présidente, Danièle Churlet-Caillet, de dresser le portrait d’une région « prospère, avec un chômage et une pauvreté inférieurs à la moyenne nationale », mais confrontée aux mêmes « maux » que le reste du pays : radicalisation, terrorisme, violences intrafamiliales, antisémitisme, racisme et atteintes à l’environnement. « Cette région nous oblige, il faut être à la hauteur de ces attentes et attentif à ces spécificités », a-t-elle insisté, tout en soulignant la bonne entente déjà nouée avec le nouveau chef du parquet général.

Et de conclure en s’adressant à lui : « Une ère nouvelle s’ouvre nécessairement avec l’arrivée d’un chef de cour : vous voilà avec moi à la tête d’une communauté de 280 magistrats, 721 fonctionnaires et 144 contractuels, répartis entre la cour d’appel de Colmar, quatre tribunaux judiciaires et 21 autres juridictions sur le ressort alsacien. »

Pour une « réforme pragmatique » de la procédure

Au moment de s’adresser à l’auditoire, Christophe Rode a choisi de ne pas trop se projeter concédant qu’il « serait présomptueux d’égrener des promesses sur ce que sera mon action à la tête du parquet général ». Il a toutefois évoqué certaines des priorités qui guideront son mandat. En tête de celles-ci : garantir « une justice d’appel de qualité, respectueuse des droits de chacun et rendue dans des délais raisonnables », citant la Cour d’appel de Colmar comme un exemple « vertueux » en la matière.

Le procureur général a cependant alerté sur « l’augmentation considérable » du nombre de crimes jugés par les cours d’assises et les cours criminelles départementales, provoquant un « engorgement inquiétant » des juridictions. En 2024, malgré la création de sessions supplémentaires – près de 200 jours d’audience pour 73 affaires -, toutes n’ont pu être jugées, entraînant une hausse constante du stock en attente.

Cette saturation entraîne des conséquences directes : les accusés détenus risquent de voir leurs délais de jugement dépassés, obligeant parfois à prolonger leur détention provisoire, voire à les remettre en liberté. Quant aux accusés libres, ils attendent désormais jusqu’à deux ans pour être jugés. « Les victimes subissent ainsi un traumatisme supplémentaire, non plus lié aux faits, mais à une forme de maltraitance institutionnelle », a-t-il regretté.

Selon lui, seule une refonte des procédures permettra de résorber ce blocage. La réforme ayant transféré une partie des compétences des cours d’assises vers les cours criminelles départementales, sans adaptation procédurale suffisante, a selon lui aggravé les difficultés. Plutôt que de réclamer davantage de moyens, Christophe Rode plaide pour une « réforme pragmatique », permettant aux juridictions criminelles de statuer selon une procédure allégée. Objectif : rendre une justice plus rapide, tout en respectant les droits des parties.

Surpopulation carcérale : des directives pour différer l’exécution de certaines peines

Autre enjeu soulevé par le procureur général : celui de la surpopulation carcérale. Christophe Rode a d’emblée pointé « des centres pénitentiaires bien au-delà de leurs capacités d’hébergement ». Cette situation « démontre que l’institution judiciaire ne se caractérise pas par un laxisme coupable, contrairement à ce que certains soutiennent de manière simpliste », a-t-il estimé. D’après lui, elle serait plutôt le fruit « d’une politique pénale erratique, marquée par des injonctions souvent contradictoires ».

« On demande à la justice d’être ferme à l’égard des auteurs de violences graves, des trafiquants ou de ceux qui s’en prennent aux élus, tout en l’exhortant ensuite à aménager les peines par des bracelets électroniques ou d’autres sanctions », a-t-il dénoncé. Résultat : « Face à une délinquance plus radicale, les juridictions prononcent des peines d’emprisonnement dont le quantum est souvent incompatible avec un aménagement ab initio », ce qui génère mécaniquement une « surpopulation dans les établissements pénitentiaires ».

Par ailleurs, le magistrat a rappelé que cette tension était autrefois atténuée par les lois d’amnistie ou les décrets de grâce collective, « dont les effets permettaient la libération anticipée des personnes détenues ». Désormais supprimés, ces dispositifs n’ont été remplacés « par aucun autre mécanisme de régulation, hormis des réformes d’aménagement généralisé des peines », a-t-il constaté.

Ainsi, « ce qui relevait autrefois du pouvoir exécutif démocratiquement élu a été transféré à la justice », désormais contrainte de répondre à « des impératifs antinomiques », au point que « les magistrats s’interrogent profondément sur le sens donné à leurs missions ». Une situation « grave », selon lui, au regard « des principes de dignité et de respect de la personne humaine ». Et, ce pour les surveillants pénitentiaires « contraints de travailler dans l’insécurité » comme pour les détenus « vivant dans une promiscuité peu compatible avec les exigences de réinsertion ».

Face à cet enjeu, Christophe Rode a assuré avoir pris sa part de responsabilité, en adressant avant l’été « des directives écrites à tous les procureurs du ressort, les incitant à différer l’exécution de certaines peines de prison ».

« Comment la justice pourrait-elle résoudre à elle seule tous les problèmes sociétaux ? »

Enfin, un autre défi majeur attend le procureur général : la lutte contre « toutes les formes de criminalité organisée, et notamment celle liée au trafic de stupéfiants qui gangrène notre société », a-t-il déclaré lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour d’appel de Colmar. Christophe Rode a surtout insisté sur la nécessité de « priver les trafiquants de leurs gains mal acquis » et de poursuivre, pointant l’importance de la lutte à l’encontre des « auteurs de violences, dont les victimes sont encore trop souvent des femmes, des mineurs ou des personnes vulnérables ».

Le magistrat a également souligné l’importance de réagir face à « ceux qui portent atteinte à la nation, aux institutions de l’État ou au devoir de probité », rappelant que la diffusion « de propos haineux, discriminatoires ou racistes sur les réseaux sociaux » favorise souvent des passages à l’acte « que l’on pensait révolus ». Dans le même esprit, il a appelé à sanctionner plus fermement « ceux qui, par appât du gain, portent des atteintes irrémédiables à l’environnement et à la santé publique ».

Pour autant, Christophe Rode a mis en garde contre une illusion : « Comment la justice pourrait-elle résoudre à elle seule tous les problèmes sociétaux par la seule sanction pénale ? ». Selon lui, la lutte contre le trafic de drogue ou les violences ne peut être efficace que si elle s’inscrit dans une démarche globale, mobilisant « les domaines diplomatique, économique, éducatif, social et médical, avec des politiques publiques clairement établies ».

« Laisser croire que la justice viendra seule à bout du fléau de la drogue, des violences intrafamiliales, du racisme ou des atteintes à l’environnement est vain », a-t-il ainsi martelé. Pour l’ancien procureur de la République du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, la réponse doit être « collective et coordonnée », impliquant toutes les institutions publiques comme les acteurs de la société civile.

Enfin, le magistrat a tenu à rappeler que « la confiance des citoyens envers leur justice repose avant tout sur l’humanité de ceux qui la rendent ». Une humanité faite de rigueur, mais aussi de compréhension et d’ouverture : « L’esprit sera toujours préférable à la plus sophistiquée des intelligences artificielles. Le juge, même face au pire des criminels, ne doit jamais se départir de sa part d’humanité : c’est là l’honneur de notre justice. » Et de conclure sur une note d’espoir : « Certes, le défi est immense, mais la volonté de bâtir un monde plus juste et profondément humain doit demeurer un objectif aussi précieux qu’inaliénable. »

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