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La contrôleuse des prisons demande la fermeture « au moins partielle » de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille

À la suite d’une visite inopinée, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a rendu en urgence des recommandations, demandant la fermeture « au moins partielle » de l’établissement. Dominique Simonnot souligne le « caractère extrêmement alarmant » de la situation des jeunes détenus avec des conditions de détention indignes et un travail éducatif qui n’est pas mené à bien par le personnel. Le ministre de la Justice a annoncé la fermeture à venir de certaines unités pour entamer une réfection des cellules ainsi qu’une inspection de l’établissement.


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Marion Durandlundi 8 septembre7 min
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Un mineur regarde par la fenêtre de sa cellule à l’EPM la Valentine, Marseille. ©CGLPL

C’était la cinquième visite inopinée réalisée par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans cet établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Marseille-La Valentine. Accompagnée d’une équipe de cinq contrôleurs, Dominique Simonnot s’est rendue dans l’EPM du 7 au 11 juillet dernier.

Le 29 août, face au « caractère extrêmement alarmant » de la situation des jeunes qui y sont enfermés, elle a publié en urgence des recommandations, publiées au Journal officiel, demandant la fermeture « au moins partielle » de l’établissement à cause de « conditions matérielles de prise en charge qui portent atteinte à la dignité des adolescents »mais aussi du fait des personnels pénitentiaire et éducatif qui « ne remplissent pas leurs missions auprès des adolescents ».  

En réponse à ces recommandations, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a annoncé la fermeture à venir de certaines unités pour réfectionner les cellules. Il a également notifié le lancement d’une inspection de l’établissement par l’Inspection générale de la justice (IGJ) pour analyser le plan mis en place par l’administration pénitentiaire et la PJJ « pour remédier aux constats réalisés ». Et ceux-ci sont particulièrement alarmants.

Des conditions matérielles indignes

Premier chef d’alerte pour la CGLPL, les conditions matérielles dans lesquelles sont détenus les jeunes mineurs, jugées « indignes » par Dominique Simonnot. Cour de promenade et espaces communs exigus, barreaux et grillage aux fenêtres… Sur les murs de certaines cellules, la « couleur et la texture évoquent parfois de la matière fécale ou du sang », rapporte la CGLPL. Les infestations de fourmis sont courantes, les salles de bain et sanitaires sont en mauvais état, tout comme les matelas. Et « sauf exception, les surveillants font preuve de négligence face à cette situation », informe la CGLPL.

Le rapport souligne également la non-distribution mensuelle de produits d’hygiène, le dysfonctionnement de certains postes téléphoniques ainsi que leurs « tarifs prohibitifs ». La visite ayant eu lieu entre deux épisodes caniculaires, Dominique Simonnot a relevé que tous les détenus n’ont pas eu le droit à un ventilateur gratuitement et qu’aucun d’entre eux n’a eu d’eau fraîche à disposition immédiate. Les normes d’hygiène ne sont pas respectées lors de la distribution des repas, le pain n’est pas systématiquement distribué au petit-déjeuner et « les quantités servies sont insuffisantes », relève Dominique Simonnot, à qui de nombreux jeunes ont fait part de leur faim constante.

« Il convient de prendre sans délai toute mesure utile pour remédier à l’indignité des conditions matérielles de prise en charge des mineurs détenus », urge la CGLPL.

« Ils appellent ça renforcé, mais c’est une punition »

Outre les conditions matérielles, les points du rapport indiquent également de « graves carences »dans la prise en charge des jeunes détenus. Les demandes écrites des adolescents formulées à l’attention de l’administration pénitentiaire restent souvent sans réponse et ceux-ci sont rarement reçus par l’encadrement. En revanche, il est fréquent que certaines demandes soient traitées à l’oral, en public, pratique qui « fait obstacle à toute confidentialité, est porteuse d’un fort risque d’arbitraire et, par voie de conséquence, de violences », relève la CGLPL.

Dominique Simonnot souligne également un traçage incorrect des actes d’usage de la force et de menottage, un traçage récent des fouilles à corps, un menottage systématique pour aller à l’hôpital ainsi que des « pratiques de fouille perçues comme attentatoire à l’intimité imputées à un officier particulièrement zélé ».

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Les analyses pointent également un cumul de pratiques qui aboutissent à une forme de « mise à l’écart sans droit ni titre », qui dure parfois dans le temps, alors même que l’isolement d’un détenu mineur est interdit. C’est notamment le cas pour les jeunes placés dans « l’unité de suivi renforcé »dans laquelle la CGLPL a constaté que l’emploi du temps était peu fourni, que les moments collectifs étaient peu nombreux et que les adolescents y étaient particulièrement exposés à des mesures infra disciplinaires.

« Ils appellent ça renforcé, mais c’est une punition, c’est considéré comme ça par tout le monde », arésumé un adolescent présent lors de la visite.En dehors de cette unité et « sous couvert d’individualisation de la prise en charge », le cumul de différentes mesures comme les « mesures de bon ordre » ou les « mesures conservatoires de cellule » aboutissent de fait à la privation de temps collectif, et donc à une forme d’isolement du jeune.

La « mise en grille », un traitement « attentatoire aux droits fondamentaux »

Une pratique particulièrement alarmante a également été mise en lumière dans les recommandations de la contrôleuse générale : celle dite de la « mise en grille », décrite par les jeunes détenus comme étant « couramment appliquée ». Elle consiste à enfermer un jeune dans un local sans assise, ni point d’eau, ni WC : lors de la visite de l’équipe de contrôleurs, deux adolescents s’y trouvaient. L’un d’eux avait uriné sur le sol.

Pour la CGLPL, qui appelle à la cessation immédiate de cette pratique, la mise en grilleest« gravement attentatoire aux droits fondamentaux » des jeunes détenus et est susceptible de constituer « un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales ». Elle demande également aujourd’hui la fin de « toute pratique consistant en un isolement de fait ».

Jeunes détenus aux fenêtres de l’EPM La Valentine. ©CGLPL

Enfin, concernant la mission de l’administration envers les jeunes détenus, Dominique Simonnot dresse, là aussi, un constat préoccupant. Son analyse fait état des très nombreuses difficultés rencontrées par le personnel, notamment du fait d’un manque d’effectifs ; le texte conclut que la portée éducative de l’enfermement des détenus « est compromise par l’incapacité des éducateurs et des surveillants à exercer leur mission conjointe, de même que toute action de réinsertion et de prévention de la récidive ».

Comme dans les cinq autres établissements de ce type qui existent en France et qui accueillent exclusivement des mineurs de 13 à 18 ans, prévenus ou condamnés, l’EPM de Marseille est censé associer la contrainte de l’enfermement à une mission éducative et pédagogique, afin de favoriser la réinsertion sociale et professionnelle des adolescents. Pour cela, les équipes des EPM réunissent notamment des surveillants pénitentiaires, des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Un « surenfermement » aux conséquences dramatiques

Le manque d’effectifs de surveillants donne lieu à des conditions de travail très dégradées et rend difficile l’acheminement des jeunes vers l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP), dévoile encore le rapport. Il en va de même pour l’acheminement vers l’école : 8 à 14 % des jeunes ont un temps d’activité inférieur à 10h par semaine, chiffre pour lequel « l’Education nationale ne saurait être tenue pour seule responsable », estime la CGLPL.

Pour Dominique Simonnot, une partie du problème réside aussi dans la façon dont les surveillants pénitentiaires et les éducateurs de la PJJ travaillent ensemble : « Le binôme surveillant-éducateur, censé constituer le pivot de la prise en charge des enfants détenus et le pilier du fonctionnement des EPM, n’existe plus », constate-t-elle, en relevant une méconnaissance mutuelle de leurs missions, des difficultés de communication et un manque d’outils pour transmettre les informations. « Les mineurs détenus dans cet établissement sont victimes d’une forme de ‘surenfermement’, dont les conséquences sont d’autant plus dramatiques qu’il ne s’accompagne plus du travail éducatif censé être le pendant de leur privation de liberté », conclut la CGLPL dans ses recommandations.

Face à cette situation, qui persiste malgré les alertes de syndicats de surveillants et  d’éducateurs, d’élus et de signalements internes, et compte tenu du « caractère gravissime de ces constats », « seule la fermeture, au moins partielle, de l’établissement, apparaît de nature à permettre son rétablissement, au prix d’une refondation intégrale de son fonctionnement », préconise la CGLPL, soulignant que des mesures urgentes s’imposent pour mettre fin à l’indignité des conditions de détention des mineurs et aux effets de l’absence du personnel pénitentiaire et éducatif.

Réfection des cellules et inspection

Le garde des Sceaux a fait part, dans la foulée, de ses observations, par un courrier lui aussi publié au Journal officiel. Il a ainsi annoncé qu’aurait lieu dès septembre « la fermeture d’une à deux unités pour la réfection progressive des cellules », en plus de plusieurs mesures pour améliorer leur aménagement.

Sur la question du personnel, le ministre a fait mention de « renforts » : « Pour faire face à la vacance d’un poste d’encadrant intermédiaire, un responsable d’unité (RUE) a été missionné pour trois mois, de mai à août 2025. Un troisième RUE titulaire de poste viendra compléter l’équipe de direction à compter du 1er septembre 2025. » Le garde des Sceaux a également annoncé l’arrêt immédiat de la pratique de la mise en grille et a confié à l’Inspection générale de la justice une visite de l’établissement.

Dans ses conclusions, la CGLPL en appelle à la responsabilité de l’Etat, à qui il revient de garantir au personnel « des conditions normales d’exercice de sa mission »et aux jeunes, outre le respect de leur dignité et de leurs droits fondamentaux, « un certain espoir en l’avenir ».

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