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Et si la France adoptait enfin un Code de l’enfance ? Le 30 septembre dernier, une proposition de loi (PPL) en ce sens a été déposée à l’Assemblée nationale. En pleine crise structurelle des politiques publiques de l’enfance, l’objectif est d’améliorer la lisibilité du droit mais aussi de reconnaître politiquement l’enfant comme sujet de droits. Invités par la conférence Olivaint ce mercredi 29 octobre, deux avocats et la haut-commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, sont venus défendre leur vision de cette PPL, réclamée de longue date par tous les acteurs de la protection de l’enfance.

Elle figure tout en haut de la liste des recommandations du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance : la création d’un Code de l’enfance. Dévoilé en avril dernier, ce rapport en deux tomes et 92 recommandations pointait du doigt le manque chronique d’implication de l’Etat, « premier parent défaillant de France ». Il faisait état d’un système de la protection de l’enfance « aujourd’hui dans le gouffre » et mettant en danger les près de 400 000 enfants confiés à la République au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Le 30 septembre dernier, la députée PS Isabelle Santiago, rapporteure du texte, est revenue à la charge en déposant une proposition de loi « portant refonte et codification des dispositions relatives à l’enfance ».
Dans son article unique, la proposition de loi demande au gouvernement de remettre, dans un délai d’un an suivant sa promulgation, un rapport indiquant les modalités de création d’un tel code. Ce dernier devra rassembler l’ensemble des textes « visant à garantir les droits de l’enfant et de la minorité, et d’assurer la mise en cohérence de ces normes avec les engagements internationaux de la France ».
« Aujourd’hui, les dispositions législatives applicables à l’enfance sont éclatées dans une dizaine de codes, rendant difficile leur application cohérente. Le code civil, le code de l’action sociale et des familles, le code de la santé publique, le code de l’éducation, le code pénal, le code du travail, entre autres, contiennent chacun des pans entiers du droit de l’enfance, sans vision d’ensemble », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la loi.
Il en résulte une « perte d’effectivité des droits » : « Le droit de l’enfant n’est pas unifié, son accès est rendu difficile, les professionnels de terrain se heurtent à une complexité paralysante, et l’État lui-même est empêché de concevoir une politique publique cohérente et pilotée. »
Présente ce mercredi 29 octobre dans l’enceinte de l’université Paris-Assas, la haut-commissaire à l’Enfance, plébiscitée par le monde associatif mais toujours privée d’un ministère de plein exercice, ne peut que partager le constat dressé dans la proposition de loi : « Les dispositions relatives à l’enfance sont éparpillées. Elles sont partout et nulle part. Des incohérences s’installent entre les codes. Une folie en droit positif ! », relève-t-elle devant étudiants et professionnels réunis pour cette conférence Olivaint.
Historiquement, le droit de l’enfant s’est construit « par secteur et par petit bout », rappelle-t-elle. La création d’un Code de l’enfance doit donc mettre fin à l’écueil de la « dissémination », mais aussi constituer « un acte d’affirmation des droits de l’enfant comme sujet de droits », insiste également l’ex-ministre déléguée chargée de l’enfance du gouvernement Attal.
Sarah El Haïry entrevoit deux piliers pour ce nouveau code. D’une part, le droit des mineurs victimes, celui en quelque sorte de la protection de l’enfance. D’autre part, la création d’un Code de l’enfance doit être l’occasion d’ouvrir un nouveau champ de droits en lien avec les menaces numériques qui pèsent sur l’enfant : majorité numérique, cyberharcèlement, droit des données, …
« Une nécessité quand on sait qu’en moyenne, les enfants et adolescents âgés de 6 à 17 ans passent plus de 4 heures par jour devant les écrans (NDLR : selon les données de Santé publique France », estime la haut-commissaire.
Comment s’y prendre par ailleurs ? « C’est un défi à part entière », reconnaît-elle. Pour rappel, l’édification du Code de justice pénale des mineurs aura pris près de 10 ans. À ce titre, la politique fait savoir qu’elle ne privilégie pas la piste d’une réécriture complète « qui demanderait la saisie de la commission de codification et une ratification formelle » : « C’est long et lourd. Et l’attente n’est plus supportable », justifie-t-elle.
Les travaux sur le Code de l’enfance sont « une urgence », estime Sarah El Haïry, « non seulement parce qu’une nouvelle sphère de danger s’ouvre, mais aussi parce que la protection de l’enfance vit la crise la plus historique de son histoire. Nous sommes allées au bout de l’institutionnalisation et nous n’avons pas requestionné la protection juridique de l’enfant : le droit à l’avocat, le statut de l’administrateur ad hoc, la place du juge aux affaires familiales par rapport au juge des enfants ».
Pour Arnaud de Saint Rémy, avocat, élu du Conseil national des barreaux (CNB) et responsable du groupe de travail Droit des enfants, que le JSS a pu interroger en amont de la conférence, cette proposition de loi est destinée à corriger « un paradoxe saisissant ». En effet, si la France a été à l’avant-garde de la reconnaissance des Droits de l’enfant sur la scène internationale, « elle accuse étrangement aujourd’hui un retard dans la structuration de son arsenal juridique ».
« Ce silence interroge et l’absence d’un tel code pèse dans l’intérêt des enfants et dans celui des magistrats, des greffiers, des éducateurs, des parquets et bien évidemment des avocats qui interviennent aux côtés des enfants », pointe-t-il.
L’avocat relève également que sur le plan pénal, la France possède l’ordonnance de 1945, réformée en profondeur avec le code de justice pénale des mineurs, mais que tout le volet civil – celui sur l’assistance éducative – est encore « très épars » : « en matière de protection de l’enfance, on passe à côté d’un certain nombre de textes, et c’est tout à fait dommage ».
Devant l’audience de la conférence Olivaint, l’avocat a aussi soutenu que cette codification serait l’occasion de porter les combats de la profession. « Nous y défendrons bec et ongle les intérêts de l’enfant », fait-il savoir, en insistant sur une disposition-phare formulée par le CNB depuis 2021 : la présence systématique de l’avocat auprès de l’enfant en assistance éducative. « Il est fréquent aujourd’hui que le juge ne reçoive pas l’enfant. Et encore plus pour les audiences de renouvellement », dénonce-t-il.
Sur la manière de faire, Arnaud de Saint Rémy soutient l’idée de codifier les dispositifs législatifs à droit constant, sans modification des normes sur le fond, « sauf ici ou là, sur certaines dispositions complémentaires », notamment l’ordonnance de sûreté de l’enfant, annoncé par ailleurs par Gérald Darmanin en août dernier. « Elle pourrait être intégrée dans ce code de l’enfance ; ça me paraît être un véhicule législatif intéressant », note-t-il.
Cette proposition de loi s’inscrit « dans un contexte politique particulier », poursuit Sara Després, avocate engagée pour la cause des enfants : « Celui d’une médiatisation, voire d’une surmédiatisation, des défaillances structurelles de l’aide sociale à l’enfance en France ». Un contexte qu’il faut considérer pour ne pas faire du Code de l’enfance une simple « anthologie », illustre l’avocate férue de littérature.
Et de détailler : « Ce projet de code doit avoir une double visée unificatrice et créatrice. Il y a un droit, par exemple, qui paraît tout à fait superfétatoire, mais que je trouve essentiel. C’est le droit aux rêves. Il y a quelques années, le rapport annuel de la Défenseure des droits portait justement sur ce droit fondamental. Parce qu’un enfant qui rêve, sera un enfant inséré socialement, épanoui et un adulte structuré. Cette codification pourrait donc amener de nouvelles réflexions et être créatrice de nouveaux droits », estime-t-elle.
Cette codification recouvre aussi un enjeu politique fort en donnant une lecture du droit « orientée vers l’attention portée aux besoins fondamentaux de l’enfant », ajoute Sara Després. « C’est à mon sens l’une des missions essentielles de cette codification qui pourrait être à droit constant, mais également faire l’objet d’une démarche plus ambitieuse ».
Sur ce point, l’avocate rebondit elle aussi sur l’écoute de l’enfant lors des procédures d’assistance éducative. « J’ai été assez interloquée de la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui rappelait qu’il était essentiel, même durant l’appel, d’auditionner l’enfant lorsque celui-ci est doué de parole ».
A lire aussi : Gérald Darmanin veut renforcer les contrôles des lieux accueillant des mineurs placés
« Il y a des normes qui nous semblent incontestables et essentielles et qui sont quotidiennement violées, poursuit-elle, pas par volonté des juges des enfants, mais par manque de moyens et par souci d’efficacité. Parce que sans avocat et sans audition de l’enfant, vous gagnez facilement une demi-heure. C’est conséquent sur un planning d’audience et pour un cabinet déjà encombré de dossiers ».
Dernier intérêt à la création du Code de l’enfance : pouvoir instaurer un nouveau pacte social, « pas simplement fondé par et pour les adultes », défend l’avocate, mais visant « l’ensemble de notre population et la prise en charge des plus vulnérables ». « C’est toute notre société qui s’en portera pour le mieux », conclut-elle.
| Un Code de l’enfance « souvent demandé » L’idée d’un Code de l’enfance a été maintes fois évoquée dans les débats publics, sans jamais aboutir. Une proposition de loi « visant à créer le code de l’enfance » avait été déposé au Sénat le 23 juin 2021 par le sénateur Arnaud de Belenet. En novembre 2021, un collectif regroupant des figures engagées pour la protection de l’enfance — parmi lesquelles l’ancienne Défenseure des enfants Dominique Versini et le magistrat Jean-Pierre Rosenczveig — avait lancé un appel dans Le Monde pour demander « instamment l’élaboration d’un code de l’enfance, qui réunisse et rationalise tous les textes dont regorge notre droit ». Une nouvelle occasion de faire avancer ce projet se présentera lors de la prochaine niche parlementaire socialiste, prévue le 11 décembre. Contactée par le JSS, la députée Isabelle Santiago fait savoir qu’elle a présenté la PPL au groupe socialiste en vue d’une sélection pour cette niche parlementaire. |
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