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Le projet d’impôt plancher sur la fortune a été largement rejeté par les députés vendredi 31 octobre. Si la gauche a très majoritairement soutenu la proposition, le bloc central et l’extrême-droite ont dénoncé un risque constitutionnel et d’exil fiscal. Résumé des débats.

Échec pour l’impôt plancher sur la fortune. Les différents amendements créant une taxe Zucman ont été rejetés ce vendredi 31 octobre lors de la première lecture du projet de loi de finances pour 2026, après une heure et demie de débats dans l’hémicycle.
La taxe Zucman, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, vise à instaurer un impôt plancher sur la fortune afin que les ultra-riches paient au moins un taux minimal d’imposition de 2 % sur leur patrimoine net mondial, au-delà de 100 millions d’euros. Présentée comme un moyen de rétablir la justice fiscale sans créer un nouvel impôt, elle devait toucher environ 1 800 personnes en France. Des amendements de repli, abaissant le taux de taxation à 1 ou 0,5 %, ont également été rejetés.
La taxe était défendue par une grande majorité de la gauche, à commencer par La France Insoumise : « Si notre système de protection sociale est aujourd’hui en danger, ce n’est pas à cause des étrangers en situation irrégulière, ni à cause des classes moyennes et populaires, mais bien parce que les grosses fortunes de ce pays ne contribuent pas à hauteur de leurs moyens », a argué la députée Mathilde Feld D’après elle, si l’égalité devant l’impôt était respectée, 60 milliards d’euros supplémentaires abonderaient le budget de l’État chaque année.
Éva Sas (groupe écologiste), autrice de l’amendement principal (rejeté par 168 voix pour et 231 voix contre), a assuré que la taxe ne concernait que les auteurs d’« optimisation fiscale » : « Ceux qui n’en font pas paient déjà 2 % de leur patrimoine en impôt et ne sont pas concernés par ce dispositif. » La députée a estimé que la taxe Zucman « est la seule disposition qui permet d’éviter toute exonération et contournement de l’impôt. C’est la seule mesure efficace face aux armées d’avocats fiscalistes qu’utilisent les ultra-riches ». « Ce n’est pas un nouvel impôt, ni une surtaxe, mais un impôt garanti qui ne fait qu’une seule chose : que les 1 800 personnes les plus riches paient a minima la même chose que les autres », a abondé son collègue insoumis Aurélien Le Coq, tout en assurant que le taux d’effort moyen des milliardaires passerait ainsi de 25 à 56 %, contre 50 % pour l’ensemble des Français.
Sur le risque d’exil fiscal, citant une note du Conseil d’analyse économique de juillet, elle l’estime « marginal ». Sur l’inclusion des biens professionnels dans la taxe, « ne pas les indexer, c’est ne pas taxer les milliardaires », a-t-elle estimé, assurant que ces biens représentent jusqu’à 90 % du patrimoine des plus riches. Pour le paiement de la taxe par les licornes – le cas de la start-up Mistral AI avait fait beaucoup parler en septembre dernier –, l’amendement prévoyait une contribution par la vente d’actions à l’État. « La justice fiscale n’est pas un luxe, c’est la condition de notre cohésion démocratique », a asséné la députée Eva Sas, assurant que ce débat serait l’occasion de voir « qui est pour ou contre la justice fiscale » dans l’hémicycle.
La communiste Elsa Faucillon a rappelé « l’aspiration à de la justice fiscale », dénonçant la fiscalité actuelle comme étant « infidèle à l’idéal républicain ». Une telle taxe est pour son groupe « une exigence minimale ». Son collègue Nicolas Sansu a appelé à la création d’une taxe sur les très hauts patrimoines. « Une question de consentement à l’impôt », selon lui. « Un rapport sur l’impôt sur la fortune avait dénoncé une taxe pour les millionnaires à laquelle les milliardaires échappaient », a-t-il aussi rappelé.
Son de cloche bien différent au centre de l’hémicycle. Le député Renaissance Charles Sitzenstuhl, qui avait déposé un sous-amendement reportant de 50 ans l’entrée en vigueur de la taxe finalement rejetée, citait une tribune de sept économistes parue dans le journal Le Monde en septembre dernier pour assurer que des adaptations comportementales des plus riches limiteraient l’efficacité de cette contribution. Il a aussi expliqué être « persuadé de sa très grande fragilité », en raison des risques juridiques qu’elle poserait. « Cette contribution est contraire aux principes les plus élémentaires de notre bloc de constitutionnalité », a-t-il asséné.
« Le vrai risque est de maintenir un système où les plus riches paient moins que leurs compatriotes, lui a répondu le socialiste Mickaël Bouloux. L’équité fiscale est elle aussi dans notre Constitution ». « En 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que l’Assemblée était fondée à voter des mesures qui évitent le contournement de l’impôt, a poursuivi Éva Sas. Il y a donc toutes les chances pour que la taxe Zucman soit constitutionnelle, que vous le vouliez ou non. »
Un argument qui n’a pas convaincu la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin, qui a martelé que « jamais la France n’a taxé des biens professionnels ». Selon elle, trois facteurs décideront de la constitutionnalité de la taxe : le taux, le plafonnement et les biens professionnels. « Aujourd’hui, des députés veulent un taux élevé, pas de plafonnement et inclure les biens professionnels. Le Conseil constitutionnel ne validerait aucun de ces impôts. »
Le rapporteur Philippe Juvin a lui exprimé un avis clairement défavorable. Son argument principal : la France est le dernier des 35 pays dans le classement de la compétitivité fiscale des entreprises, selon l’indice de la Tax Foundation Europe en 2023. « L’inclusion des revenus non distribués peut conduire à faire peser une charge fiscale sur un revenu incertain », a également redouté le député, qui a mis en garde contre une fragilisation des entreprises concernées : « Je crains que votre loi consiste pour les entreprises à devoir s’endetter ou à céder une partie de leur capital pour payer la dette. »
Amélie de Montchalin a elle assuré que contrairement à ce que les promoteurs de la taxe assurent, un exil fiscal aurait bel et bien lieu : « Quand le premier contribuable de cet impôt paierait plus d’un milliard d’euros d’impôts, qui peut croire que cette personne ne prendrait pas le TGV, le Thalys, l’Eurostar ou un autre moyen de transport simplement pour s’installer de l’autre côté de la frontière ? »
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« Faire croire qu’il y a 15 milliards de poules aux œufs d’or dans les placards de Bercy est une absurdité », a pour sa part tranché Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national). Selon lui, « jamais une dizaine de milliardaires n’accepteront de payer à Bercy un petit chèque de 500 millions à 2 milliards d’euros sans partir. Ils partiront, et vous n’aurez rien ». L’élu de la Somme a cependant estimé que « nier la hausse des inégalités sociales est une folie ».
Alexandre Allegret-Pilot (UDR) a lui dénoncé une « collectivisation de l’économie française ou de sa prédation par des fonds étrangers ». Rappelant que les 10 % des Français les plus riches supportent 54 % des impôts et cotisations, il a décrit les chiffres de Gabriel Zucman comme « bidonnés, cela a été démontré ». « On devrait avoir la main qui tremble pour prélever chaque euro supplémentaire dans la poche de celui qui crée plutôt que de donner des leçons de décence », a-t-il lancé aux rangs de la gauche.
Peu de chances donc que cette taxe aboutisse pour 2026 : en cas de deuxième lecture du budget à l’Assemblée nationale, un amendement similaire pourrait être proposé, mais a toutes les chances d’être de nouveau rejeté.
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