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La loi Badinter célèbre ses 40 ans et s’offre de nouveaux défis, entre IA et nouvelles mobilités

Le 5 juillet 1985, la loi Badinter bouleversait les codes de la responsabilité civile concernant l’indemnisation des victimes d’accidents de la route en France. Quarante ans après, la loi est toujours appliquée sans aucune modification depuis sa promulgation. Dans quelle mesure les nouvelles mobilités nécessitent de faire évoluer cette loi ? L’intelligence artificielle peut-elle optimiser et fluidifier son application ? Autant de questions qui ont été posées lors du Colloque « 40 ans de la loi Badinter », organisé par le Barreau de Lyon et l’Université Lyon III, le 7 octobre.


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Tania Messaoudijeudi 9 octobre6 min
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La loi Badinter : un régime spécial et autonome d’indemnisation des victimes d’accidents de la route. ©iStock

Avant 1985, les victimes d’accidents de la route étaient trop souvent confrontées à une difficulté majeure : prouver la responsabilité de la faute ou l’imputabilité du dommage, afin d’obtenir réparation. Portée par Robert Badinter, alors garde des Sceaux et ministre de la Justice, la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation a permis de créer un régime spécial et autonome d’indemnisation. Son but : se concentrer sur la réparation des dommages et l’accélération des procédures, en s’appuyant sur l’idée que l’implication d’un véhicule terrestre à moteur suffit à ouvrir le droit à l’indemnisation pour la victime.

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Une loi toujours essentielle, alors que les accidents de la route faisaient 3432 victimes en 2024 (France métropolitaine et Outre-mer), et 235 600 blessés* en France métropolitaine. Mais le texte de loi est-il toujours adapté aux risques actuels et aux véhicules en circulation ? Comment l’appliquer face aux évolutions sociétales et technologiques ?

Alors que son auteur faisait son entrée au Panthéon ce jeudi 9 octobre[1] , le Barreau de Lyon et l’Université Lyon III ont tenu un colloque sobrement intitulé « 40 ans de la loi Badinter », visant à évoquer les apports de la loi, la révolution qu’elle a enclenchée et ses perspectives d’évolution.

EDPM et véhicules autonomes : la loi Badinter à l’épreuve des nouvelles mobilités

Depuis 1985 et la promulgation de la loi Badinter, les usagers de la route ont en effet bien évolué. Les voitures, motos et camions « traditionnels » doivent désormais partager la chaussée avec des véhicules autonomes et des EDPM, Engins de Déplacement Personnels à Moteur. La conférence « Loi Badinter : entre nouvelles mobilités et nouvelles technologies » proposée par Philippe Pierre, professeur à l’Université de Rennes, a permis de balayer les subtilités liées à ces mobilités nouvelles.

Car le texte de la loi Badinter s’applique « (…) aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». Pas un mot en 1985, évidemment, au sujet des trottinettes électriques, gyropodes et autres voitures à pilotage automatique.

Et c’est précisément le débat qui anime aujourd’hui les avocats, mais aussi les assureurs. Dans le cas d’un accident causé par un « défaut d’appréciation » d’une voiture autonome, qui est considéré comme responsable ? Philippe Pierre cite à ce propos un accident ayant impliqué une voiture autonome Tesla en 2016 et ayant fait une victime. L’automobiliste circulait sur une voie rapide aux États-Unis avec l’assistance de l’autopilote, quand son véhicule s’est encastré dans un semi-remorque. Du fait de la couleur blanche du camion et de la luminosité très forte, les capteurs de la voiture ont été incapables de déceler l’obstacle, et les freins n’ont pas été déclenchés. « Le premier accident mortel en 209 millions de kilomètres parcourus avec le pilote automatique activé, contre un mort tous les 150 millions de kilomètres pour les véhicules classiques aux États-Unis », se défendait Tesla à l’époque.

Quand bien même : l’accident pose ici la question de la responsabilité, comme le souligne Philippe Pierre. « Le conducteur avait un écran vidéo à côté de lui : peut-on dire qu’il a fait preuve d’un défaut d’attention ou s’agit-il d’un défaut du produit embarqué ? » Autre cas de figure, dans le cas d’une explosion de batterie de trottinette électrique mise en charge dans un appartement. La batterie est un élément indispensable à la motricité de la trottinette : en cas d’incendie, est-ce la loi Badinter qui s’applique ? Les nouvelles technologies ravivent de nombreuses interrogations, notamment celle de l’application de la directive sur les produits défectueux ou de la loi Badinter.

« Tout change technologiquement, mais rien ne doit changer juridiquement »

Plusieurs dispositions traitent des nouvelles technologies et mobilités, comme l’article R.311-1 du Code de la route (décret n°2019-1082 du 23 octobre 2019) qui définit notamment ce que sont les EDPM et les véhicules autonomes. L’article L.123-1 du Code de la route (ordonnance du 14 avril 2023) complète ces informations en indiquant le régime pénal du véhicule à délégation de conduite, en fonction de l’existence d’un « contrôle dynamique » du véhicule ou non. On peut également citer l’article 34 bis (convention de Vienne) sur la circulation internationale (amendement du 14 janvier 2022) qui indique un point fondamental : un système de conduite automatisé peut valoir conducteur.

Pour autant, la loi Badinter n’a toujours pas connu d’évolution. « Faut-il panthéoniser la loi Badinter, comme son auteur ? Ou la faire évoluer ? La réponse est : tout change technologiquement, mais rien ne doit changer juridiquement », sourit Philippe Pierre. Et d’expliquer : en morcelant la loi Badinter et en créant des sous-régimes spéciaux pour les nouvelles technologies, le risque serait de complexifier une loi déjà très dense. D’autant que l’article L-121-1 C du Code de la route peut être utilisé pour qualifier les fautes civiles en incluant les problématiques pénales et civiles des nouveaux modes de circulation : un régime spécial peut exister sans besoin de légiférer, selon le professeur de l’Université de Rennes.

L’avenir de la loi Badinter est donc encore incertain : va-t-on vers une mutation des règles d’indemnisation ? Comment traiter le cas des conducteurs victimes de véhicules autonomes ? Faut-il revoir la catégorisation actuelle des conducteurs ? Le sujet, passionnant, n’a pas fini d’animer les magistrats comme les assureurs.

L’intelligence artificielle au service de l’application de la loi Badinter

Sur les routes comme dans nos bureaux, la technologie gagne du terrain, et les métiers du droit n’échappent pas à ces bouleversements. L’intelligence artificielle pourrait faire gagner un temps précieux aux avocats et devenir un précieux allié, sous certaines conditions.

Les IA juridiques doivent en effet permettre d’aider les professionnels dans leurs recherches, leurs analyses et leurs prises de décision grâce à une technologie éprouvée, garantissant la fiabilité des informations. Pour ce faire, la transparence des ressources qui alimentent le fonds documentaire est capitale. L’IA peut par exemple être nourrie exclusivement par des sources contrôlées, sans accès à des sources externes disponibles sur Internet. Objectif : éviter les réponses erronées ou incomplètes pour prévenir les « hallucinations » de l’outil.

L’autre élément essentiel est la sécurité des informations confidentielles renseignées dans l’outil. « Dossier d’une victime, informations liées à un cas précis : les données doivent être cryptées de bout en bout », explique Bérengère Vasseur, qui présente la solution « GenIA-L » développée par Lefebvre-Dalloz à l’occasion du colloque.

L’outil doit permettre de répondre à de simples questions opérationnelles, comme aux questions plus complexes. Il doit aussi être capable de proposer le résumé d’un dossier, rechercher une information spécifique dans un document, réécrire un support, rédiger une clause. Objectif pour les professionnels : mieux gérer les tâches chronophages pour se concentrer sur l’expertise métier. Et appréhender plus facilement une loi confrontée à de multiples évolutions comme la loi Badinter, en accédant facilement à toutes les ressources et jurisprudences récentes.

*Source : https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-linsecurite-routiere/bilans-annuels-de-la-securite-routiere/bilan-2024-de-la-securite-routiere

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