Article précédent

Jeudi 2 octobre 2025, la Haute Assemblée ouvrait ses portes aux étudiants pour un colloque intitulé « Le Sénat d’aujourd’hui », combinant célébration de ses 150 ans et Nuit du droit, l’occasion de revenir sur l’histoire de l’institution et son rôle auprès des citoyens.
« Je vous souhaite la bienvenue au Sénat ! » C’est avec chaleur que Gérard Larcher, président de l’institution, a accueilli les nombreux étudiants venus assister, dans le fastueux palais du Luxembourg, au colloque « Le Sénat d’aujourd’hui », organisé à l’occasion des 150 ans de la Haute assemblée et de la Nuit du droit. Une initiative du Conseil constitutionnel, sous l’impulsion de Laurent Fabius, visant à sensibiliser le public à l’importance du droit dans la société.
Dès l’ouverture, celui qui préside pour la deuxième fois le Sénat s’est fait pédagogue, promettant aux participants d’en « apprendre beaucoup sur le Sénat et les sénateurs ». Retracée depuis le Conseil des Anciens, ancêtre de l’institution en 1799, l’histoire du Sénat a été au cœur des échanges lors de cette conférence de près de six heures. Gérard Larcher en a également profité pour rappeler sa singularité face à l’Assemblée nationale : son rôle auprès des collectivités territoriales, son mode d’élection, marqué par le scrutin proportionnel dans les circonscriptions élisant trois sénateurs ou plus, ses débats moins spectaculaires et plus tempérés mais aussi son indépendance vis-à-vis du calendrier présidentiel et législatif.
Un « décalage », selon lui, essentiel pour « apprécier au mieux l’intérêt général de la nation par rapport aux pulsions de l’Assemblée ». Un rôle de stabilité et de recherche du compromis entre les différentes forces politiques, qu’il considère comme le fil conducteur du Sénat. Mais une question a traversé l’ensemble de la journée : quel est le rôle du Sénat vis-à-vis des citoyens ?
Un premier élément de réponse réside dans le lien que l’institution cherche à tisser avec eux, grâce à plusieurs outils destinés à « se connecter » à la population et à rendre plus lisible le travail parlementaire. « Le site du Sénat lui-même met à disposition de nombreuses informations ; il existe aussi des espaces participatifs permettant aux citoyens de déposer des avis ou des propositions sur des sujets variés », a notamment expliqué Perrine Tarneaud, directrice de l’information et des rédactions de la chaîne Public Sénat.
Cette dernière a également rappelé la possibilité de déposer ou signer une pétition : « Si elle dépasse les 100 000 signatures en moins de six mois, elle sera étudiée par l’institution, comme ce fut le cas pour la mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse. » Les réseaux sociaux constituent un autre vecteur de lien : « Près de 80 % des sénateurs y sont présents. Et chacun peut suivre les travaux parlementaires sur la chaîne Public Sénat ou sur son site web », a-t-elle ajouté.
Pour Mélanie Vogel, sénatrice écologiste représentant les Français établis hors de France, la clé d’un meilleur lien réside aussi dans la représentativité. « Quand j’ai été élue, beaucoup me demandaient si j’avais le droit de l’être, si je n’étais pas trop jeune, alors que j’avais 36 ans. Puis, des personnes m’ont écrit pour me dire que c’était la première fois qu’elles s’intéressaient au Sénat parce qu’elles se sentaient représentées par moi – jeune, et ouvertement lesbienne. C’est important, car le Sénat avait très peu parlé à cette catégorie de population jusqu’à présent ».
Dépoussiérer l’image du Sénat, tel est le défi que s’est fixé Frédérique Puissat, sénatrice de l’Isère (LR). À l’initiative de nombreuses visites de citoyens au palais du Luxembourg, elle défend l’idée d’un Sénat plus ouvert et plus accessible. « Nous devons permettre à tout le monde de pouvoir pénétrer dans ce bâtiment chargé d’histoire pour mieux comprendre le fonctionnement de nos institutions, et justement, une soirée comme celle-ci [Nuit du droit] contribue à cela », a-t-elle souligné devant le public.
Un constat partagé par Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne et membre du groupe Union centriste, pour qui les sénateurs ont aussi un rôle à jouer sur le terrain. « Nous avons plusieurs missions qui nous obligent à nous rendre dans les régions, en dehors de Paris », a-t-il rappelé, tout en se félicitant de voir aujourd’hui des événements d’ouverture comme celui-ci. « Il y a quinze ans, on n’en faisait pas. Pour les 150 ans, nous avions même invité des collégiens à venir travailler sur la fabrication de la loi avec des sénateurs. »
À lire aussi : Pour féminiser les sciences, le Sénat préconise les quotas et la non-mixité
Pour Salama Ramia, première femme mahoraise à siéger au Sénat, la légitimité passe aussi par l’action. « À peine un mois après mon arrivée, le cyclone Chido s’est abattu sur l’île. Ce jour-là, les habitants n’avaient pas besoin d’une sénatrice, mais d’une personne d’action. J’ai pris le premier avion pour être auprès d’eux. Je dois porter la voix des territoires ultra-marins. »
De son côté, la sénatrice de la Mayenne, Élisabeth Doineau (Union centriste), a rappelé que l’engagement politique ne se joue pas uniquement à Paris. Il doit aussi venir des citoyens eux-mêmes. L’élue interpelle les étudiants présents au palais du Luxembourg : « Quand je rencontre les jeunes, je leur dis que je veux passer le témoin. J’ai été élue à 22 ans dans un conseil municipal d’une commune de 340 habitants, sans jamais imaginer que cela m’amènerait ici. Mais je voulais agir pour mon territoire. L’engagement, il doit être citoyen, pour la relève. Je veux dire aux jeunes : on vous attend ! » Un message partagé par Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui a rappelé que devenir sénateur « ne se décrète pas ». « C’est un engagement de tous les jours. Nous ne sommes pas des experts : il faut se former sur le terrain », a-t-elle conclu.
Reste une question centrale : celle de la confiance des citoyens envers leurs institutions. Un défi particulièrement aigu en France, comme le souligne le politologue Pascal Perrineau, spécialiste de la sociologie électorale. « C’est un problème franco-français de défiance politique. Dans d’autres pays, comme l’Italie ou l’Allemagne, la confiance est plus haute », observe-t-il. Et les chiffres confirment ce diagnostic : selon une étude menée pour Sciences Po, seuls 32 % des Français disent faire confiance au Sénat. L’Assemblée nationale fait encore moins bien, avec 24 %, tandis que le gouvernement ferme la marche avec 23 %. À l’inverse, les institutions locales, perçues comme plus proches du quotidien, suscitent davantage d’adhésion – les conseils municipaux recueillant 58 % de confiance, loin devant toutes les autres instances.
Mais alors, comment retisser ce lien distendu entre citoyens et institutions ? D’après Pascal Perrineau, la confiance renaît souvent dans les périodes de crise. « Le renforcement de la confiance existe quand les choses vont mal. Par exemple, après les attentats du 13 novembre 2015, il y a eu un sursaut autour des institutions, et particulièrement du Sénat, vu comme protecteur. On a observé le même phénomène pendant la pandémie de Covid. Le Sénat peut attirer cette confiance. »
Et dans un contexte politique où s’installe, selon lui, une « destruction de la confiance démocratique », la Haute Assemblée tire néanmoins son épingle du jeu. Grâce à un triptyque « proximité, équilibre, compromis », indique le politologue. Des vertus qu’il estime plus rares dans d’autres sphères du pouvoir national. « Le Sénat tient parce qu’il est un point fixe, un pôle de stabilité et de mœurs démocratiques dans un paysage institutionnel de plus en plus atomisé, bloqué et ensauvagé », souligne-t-il.
Et de conclure, non sans malice : « Ce qui se passe au Palais Bourbon laisse des traces. Ce qui me fait dire que le Sénat n’est vraiment pas une anomalie politique, comme l’avait affirmé un ancien Premier ministre, habituellement plus sûr dans ses jugements [Lionel Jospin, en 1998, alors chef d’un gouvernement de cohabitation confronté à un Sénat à majorité de droite qu’il jugeait nécessaire de réformer]. Au contraire, il incarne aujourd’hui, pour beaucoup, une normalité démocratique et républicaine. »
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *