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Proposition de loi pour le droit à l’aide à mourir : des magistrats sortent de leur réserve

Entendus le 11 septembre à la Commission des lois du Sénat, les syndicats de magistrats alertent sur le manque de cadre juridique clair de la proposition de loi (PPL) relative au droit à l’aide à mourir. Et en premier lieu Unité Magistrats SNM FO, qui dit craindre « une rupture anthropologique et juridique majeure », sans toutefois être rejoint par les autres syndicats.


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RLECARBOULECjeudi 25 septembre6 min
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Après plusieurs professionnels de santé mentale alertant sur une « bombe à retardement pour la prévention du suicide », ce sont désormais les magistrats qui s’opposent à la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir ». Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 27 mai 2025, le texte est désormais entre les mains du Sénat, où le syndicat minoritaire Unité Magistrats SNM Force ouvrière (FO) était entendu le 11 septembre. Celui-ci alerte : « Cette proposition menace nos principes essentiels », prévient-il dans un communiqué.  

Un texte « indigent »

Seul syndicat de magistrats à avoir pour l’instant exprimé d’importantes critiques à l’égard ce texte, Unité Magistrats SNM FO dit craindre « l’impact considérable qu’il aurait sur les fondements mêmes de nos grands principes juridiques ». « On ne se prononce pas pour ou contre le droit à l’aide à mourir, mais on constate, compte-tenu de notre expérience, ses nombreuses lacunes. Le sujet pour nous n’est pas d’autoriser ou d’interdire, mais si on décide d’autoriser l’aide à mourir, la question est de quelle manière on le fait et comment on protège les plus faibles », explique au JSS sa déléguée générale Valérie-Odile Dervieux, qui dénonce un texte « indigent ».

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Évoquant une « rupture anthropologique et juridique majeure », le syndicat s’inquiète tout d’abord d’une remise en cause, via ce texte, du principe fondateur universel « Tu ne tueras pas », repris en termes juridiques dans le Code Pénal comme dans le Code de la Santé publique. « Le droit pénal est basé sur le principe du droit à la vie, sanctionné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’autorisation du suicide assisté et de l’euthanasie représente donc une rupture importante », soulève Valérie-Odile Dervieux.

Un risque pour les personnes vulnérables

Dans le détail, le syndicat s’émeut d’un certain nombre de lacunes et imprécisions de la proposition de loi, qui ouvrirait, selon lui, la porte à de nombreuses dérives. Ce « droit à l’aide à mourir » serait ainsi accessible aux personnes « atteintes d’une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ». Or, comment qualifier la « phase avancée » ? Une notion « trop floue et susceptible de générer des interprétations aléatoires et du contentieux », prévient le syndicat.

Faute de cadre plus précis, ce texte ferait en outre peser, selon Unité Magistrats SNM FO, un risque majeur sur les personnes particulièrement vulnérables, parmi lesquelles les majeurs protégés, soit toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles susceptible d’empêcher l’expression de sa volonté. Mais aussi sur les personnes en situation de handicap, les personnes dépressives ou isolées, ou encore les personnes privées de liberté, tandis qu’un rapport parlementaire alertait, en juillet dernier sur une « aggravation alarmante » de la santé mentale des personnes placées sous main de justice. « Qui pourra garantir alors avec la nouvelle PPL que ces personnes ne subissent ni pression, ni abandon pour en arriver à demander une aide à mourir ? », interroge le syndicat.

Une « procédure expéditive »

Entre autres griefs, l’Unité Magistrats SNM FO alerte également sur une « procédure expéditive ». D’abord d’un point de vue médical – le médecin devant se prononcer dans les 15 jours à compter de la demande d’aide à mourir, et la personne demandeuse devant confirmer son intention dans un délai d’au moins deux jours. Mais aussi d’un point de vue juridique : « En cas de recours par le médecin ou le mandataire judiciaire ayant un doute sur l’aptitude et le discernement d’un majeur protégé à demander sa propre mort, le mandataire n’aurait que deux jours pour saisir le juge des contentieux et de la protection, qui lui-même n’aurait que deux jours pour statuer », dénonce le syndicat.

Valérie-Odile Dervieux insiste : « Je n’aimerais pas être à la place du juge qui sera saisi, et qui aura seulement deux jours pour décider de la mort ou non d’une personne, sans avoir la possibilité de faire d’expertise ou d’entendre la personne ». Pour elle, la formulation actuelle du texte fait porter une bien trop lourde responsabilité sur les magistrats : « Nous n’allons pas servir de caution à l’absence totale de contrôle », ajoute-t-elle.

Sur ce point, l’Unité Magistrats SNM FO et l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la profession, semblent tomber d’accord. Tandis que le Syndicat de la magistrature, deuxième en nombre d’adhérents, répond au JSS ne pas avoir pu prendre part à l’audition au Sénat faute de disponibilité et n’a pas pu donner suite à nos demandes d’interviews, l’USM a été entendue le 11 septembre par la rapporteure de la commission des lois. Le syndicat, qui a recueilli 63% des voix aux dernières élections représentatives, s’est ensuite fendu d’un communiqué émettant quelques réserves sur le texte, tout en étant beaucoup plus nuancé que son concurrent de FO.

Un risque pénal qui inquiète

« Le recours de deux jours est beaucoup trop court. Le juge n’a pas un dossier à jour sur la situation du majeur protégé, donc cela nous paraît infaisable techniquement, au-delà de la question de notre positionnement », réagit Stéphanie Caprin, vice-présidente de l’USM. « Un tel recours reviendrait en réalité à faire supporter au juge des contentieux de la protection la décision de recourir au dispositif d’aide à mourir », met en avant le syndicat. Interrogé sur les contradictions entre cette proposition de loi, et les textes prohibant la provocation au suicide ou la non-assistance aux personnes en danger, celui-ci a en outre appelé à « bien articuler le tout », pour éviter les poursuites systématiques pour incitation au suicide, ou à l’inverse pour délit d’entrave au droit à l’aide à mourir.

Car, par cette proposition de loi serait en effet puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende le fait « d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen ». Soit « la création d’un délit d’entrave sans équivalent dans le monde », s’inquiète Unité Magistrats SNM FO. 

Tout comme son concurrent, l’USM appelle donc à une définition claire et précise des procédures, « pour qu’il y ait le moins de possibilités de contentieux ou de difficultés ». Un point sur lequel alerte aussi Didier Guérin, président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un article publié dans le dernier numéro de la revue Droit pénal. En l’état actuel du texte, « les intervenants auront intérêt à recueillir, par tout moyen, la preuve que la personne confirme son souhait de mettre fin à sa vie, afin de se prémunir des contestations ultérieures de la part de proches du défunt sur la réalité de cette volonté », prévient-il. Car, ajoute le magistrat, « il est en effet certain qu’un risque pénal existera pour ceux qui incitent au suicide assisté comme pour ceux qui prêtent assistance à sa réalisation ».

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