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Un rapport dédié à la politique de lutte contre les violences intra-familiales a été remis mardi dernier à Gérald Darmanin. A travers 10 propositions, les auteurs mettent en évidence le besoin urgent d’un code VIF, mais également celui de faire évoluer certaines pratiques de l’institution judiciaire, qui nuisent aujourd’hui surtout aux victimes.

Première page violette, titre équivoque : le rapport « À VIF » emprunte les codes de communication des combats féministes d’aujourd’hui. En résonnance avec une actualité sombre, quatre femmes ayant été tuées par leur conjoint jeudi 20 novembre, ce rapport a été commandée par Gérald Darmanin, afin de « valoriser les apports conceptuels et juridiques de la jurisprudence en matière de violences intrafamiliales (VIF) » et de proposer des améliorations de leur traitement judiciaire.
Particulièrement à même de répondre à la question, Gwenola Joly-Coz et Éric Corbaux ont été désignés pour cette mission. Ces deux anciens magistrats près la cour d’appel de Poitiers sont en effet extrêmement investis sur les questions de VIF, en ayant été, entre autres, à l’origine des premières audiences spécialisées et de la prise en compte du concept de « contrôle coercitif » comme moyen permettant d’établir l’existence de violences conjugales. Dans une cinquantaine de pages, les auteurs expriment une volonté claire : « faire entendre cette voix judiciaire », tout en affirmant que l’institution est « capable de faire preuve de courage et d’être à la hauteur de l’attente ».
Fondé sur un triptyque « Savoir, Agir, Humaniser », ce rapport préconise que la Justice identifie explicitement les violences faites aux femmes comme l’expression d’un « ordre de domination » fondé sur le genre, tel que documenté par l’ONU, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. La proposition s’inspire aussi du modèle de l’Espagne, dont la réflexion en matière de VIF fait souvent office de pionnière. Il est ajouté que la maîtrise de concepts essentiels tels que le contrôle coercitif ou le féminicide considéré comme un sur-meurtre, permettront tout autant de mettre des distances avec des préjugés sexistes, dans un objectif global « d’armer une justice spécialisée, comme la France a déjà su en concevoir plusieurs ».
Pour Gwénola Joly Coz et Éric Corbaux, cette évolution de paradigme passe logiquement par la formation des juges, membres ou partenaires de l’institution, auxquels on peut parfois reconnaître une position « d’inertie, de résistance, ou même de déni ».
A lire aussi : Rapport de Gwenola Joly-Coz et Eric Corbaux sur les VIF : « Des évolutions sont possibles, qui ne demandent ni budget ni loi »
Dans la même veine, les deux magistrats regrettent que la France, face au continuum de violences et à son caractère systémique, manque de « boussole stratégique ». Ils appellent ainsi le ministère de la Justice à concevoir dès 2026 un véritable code, « document-cadre, sous forme d’une circulaire inter-directionnelle » et fondé sur une compréhension structurelle des VIF. Ce document est décliné en plusieurs actions :
Le rapport souligne également la difficulté de la justice à expliquer ce qu’elle met en œuvre. Les auteurs rappellent à ce titre que le « classement sans suite » demeure un lieu d’incompréhension profonde entre parquet et victimes. Puisque cette formule juridique et son absence de personnalisation peuvent être vécus comme une fin de non-recevoir judiciaire, il est préconisé de renommer cette décision au profit de la terminologie « enregistrement sans poursuite (ESP) ».
Conscients de la masse de cas auxquels les magistrats font face, « submergés par la libération de la parole », Gwénola Joly-Coz et Éric Corbaux demandent en outre « d’accepter le temps de plainte », en prenant en compte les possibilités de « sidération, de honte ou d’amnésie traumatique » auxquelles peuvent être soumises les victimes. Sur cette question, les auteurs du rapport s’arrêtent aussi sur la posture que le magistrat se doit d’incarner, en garantissant à la victime un traitement digne pendant l’audience. Il s’agit également d’éviter toute « victimisation secondaire » par les acteurs du procès.
La juste qualification et la considération exacte des preuves sont appelées à être considérées en se calquant sur plusieurs pistes, telles que :
Sur la problématique de la preuve, le rapport incite à véritablement s’appuyer sur les connaissances établies sur l’emprise vécue et les « preuves nouvelles », en mentionnant que « les victimes conservent les preuves, grâce au dispositif Mémo de vie ou aux messages ».
En prenant en compte l’ensemble de ces paramètres, les magistrats rappellent cependant que « ce travail global ne peut se faire qu’en gardant à l’esprit la présomption d’innocence ».
« Mauvais mari, bon père » : un concept pointé du doigt par Gwénola Joly-Coz et Éric Corbaux. Selon eux, il se doit d’être abandonné, tout comme le « pseudo-syndrome d’aliénation parentale », présenté comme instrument de violences dans les procédures familiales. Le rapport dénonce ainsi des relations pères-enfants parfois forcées : « Droits de visite et d’hébergement, garde alternée, autorité parentale conjointe multipliant les contacts, parfois artificiels, sans créer de lien authentique entre le père violent et l’enfant. »
Soutenu par les études statistiques, il y a aussi ce constat d’une invisibilisation de l’enfant dans les procédures de violences faites aux femmes : 390 000 enfants par an seraient victimes de VIF, le nombre d’enfants tués demeurant lui, « un chiffre noir ».
Pour mieux protéger l’enfant en cas de danger grave et éminent, est donc émise l’idée de la création d’une ordonnance de placement provisoire parental (présentée sous le sigle O3P) décidée par le parquet. Elle pourrait « trouver son terme, soit par la décision judiciaire pénale ou dans la saisine du JAF ou du JE dans un délai de 8 jours, pour qu’un débat contradictoire s’organise à nouveau sur la situation de l’enfant ».
À la suite de la remise du rapport mardi dernier, le garde des Sceaux a immédiatement annoncé son intention d’appliquer plusieurs propositions du rapport dans un communiqué de presse, à savoir :
Ces annonces majoritairement structurelles constituent un signal positif, en affirmant la volonté du ministre de la Justice de s’engager réellement à transformer le traitement de ces violences par l’institution. Cette réponse reste pourtant partielle au regard des ambitions du rapport « À VIF », puisque les recommandations relatives à la culture judiciaire, la formation, la prévention et la transparence des tribunaux n’y sont pas évoquées. Cette remise en question fondamentale dépendra dans tous les cas d’actes concrets et de la teneur des financements débloqués en ce sens.
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