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Les multinationales du numérique ne se plient pas sans résistance aux impôts, ni aux règles qui protègent les consommateurs.

L’Union européenne, fidèle à sa vocation de « puissance normative », suit sa voie : réguler directement les comportements des plateformes d’échelle mondiale.
Le RGPD adopté en 2016 et applicable depuis mai 2018, consacre des principes structurants et protecteurs des utilisateurs : consentement libre et explicite, droit à l’effacement, portabilité des données, obligation de sécurité, notification des violations. Toute entreprise traitant les données de résidents européens y est soumise, on parle dès lors de portée extraterritoriale. Les amendes administratives peuvent atteindre 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entité. Ce règlement a inspiré d’autres États (Brésil, Californie, Corée du Sud). Pourtant, son application révèle un paradoxe : les sanctions, même lorsqu’elles se chiffrent en milliards, restent absorbées comme un coût d’activité par les GAFAM, qui en ont intégré le risque dans leur modèle économique. Le RGPD a instauré une discipline, mais il n’a pas rééquilibré la souveraineté fiscale.
Le DSA, adopté en 2022 et entré en vigueur en 2023, modernise la directive de 2000 sur le commerce électronique. Il établit une responsabilité différenciée : les petits acteurs sont relativement épargnés, mais les « très grandes plateformes en ligne » (plus de 45 millions d’utilisateurs européens) supportent des obligations lourdes de veille. Elles doivent notamment retirer promptement les contenus illicites (terrorisme, haine, pédopornographie), assurer la transparence de leurs algorithmes, limiter certaines formes de publicité ciblée, et publier des rapports annuels d’évaluation des risques systémiques. Le DSA traduit l’idée que le numérique ne peut plus être un espace hors droit.
Le DMA complète le dispositif. Il cible les « contrôleurs d’accès » ou « gatekeepers », désignés selon leur chiffre d’affaires, leur nombre d’utilisateurs et leur rôle d’infrastructure incontournable. Le DMA interdit les pratiques d’autopréférence (comme Google mettant en avant ses propres services), impose l’interopérabilité des messageries, oblige à ouvrir certaines interfaces et empêche les verrouillages contractuels. Les sanctions prévues atteignent 10 % du chiffre d’affaires mondial, voire 20 % en cas de récidive. Ce texte vise à prévenir les abus de position dominante en amont, là où le droit de la concurrence n’intervenait qu’après coup. En mars 2025, la Commission européenne a adressé à Alphabet Inc., maison-mère de Google, des constats préliminaires l’accusant de favoriser ses propres services, tels que Google Shopping ou Google Maps, dans ses résultats de recherche, en violation de l’interdiction d’autopréférence prévue par le DMA, et de restreindre la liberté des développeurs sur Google Play, limitant ainsi l’accès des utilisateurs à des alternatives concurrentes. Pour répondre à ces critiques, Google a proposé plusieurs mesures correctives, notamment la mise en avant équitable des services concurrents dans ses résultats et la modification de certaines interfaces de son écosystème Android afin de garantir une plus grande neutralité. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre d’une procédure de non‑conformité qui pourrait aboutir à des amendes significatives, et témoignent de la volonté de l’Europe de prévenir les abus structurels de puissance numérique avant qu’ils ne se matérialisent pleinement.
Ces instruments témoignent d’une volonté politique : contraindre les géants du numérique sur leur terrain. Mais leur portée fiscale est indirecte. Ils ne créent pas de recettes nouvelles, ils encadrent des pratiques afin de préserver les droits des utilisateurs et d’éviter une concurrence déloyale. Et… ils suscitent l’hostilité de Washington, le DSA et le DMA constituent des « barrières non tarifaires » ciblant ses champions.
La taxe française sur les services numériques, dite « taxe GAFA », adoptée en juillet 2019 , constitue un cas paradigmatique de souveraineté fiscale nationale appliquée au capitalisme numérique. Cette taxe visait les entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires mondial dépassait 750 millions d’euros et dont les revenus générés en France excédaient 25 millions d’euros, afin que la contribution fiscale reflète la valeur effectivement créée localement, indépendamment de la localisation physique de l’entreprise. L’assiette incluait la publicité ciblée, la mise en relation d’utilisateurs et la monétisation des données personnelles, reflet direct de l’exploitation économique des utilisateurs français. La logique sous-jacente repose sur une approche économique et fiscale avancée : reconnaître que la valeur économique générée par les plateformes numériques ne peut être capturée par les États uniquement sur la base d’un établissement stable classique. La taxe s’inscrit donc dans une conception moderne de la territorialité économique, où l’impôt est aligné sur la valeur captée localement.
Immédiatement, l’administration Trump a considéré la mesure comme discriminatoire à l’égard des acteurs américains. Les mesures de représailles envisagées comprenaient l’imposition de droits de douane sur des produits français emblématiques (vin, fromage, produits de luxe), représentant plusieurs milliards d’euros d’exportations annuelles, accompagnée d’un recours devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour violation des obligations de non-discrimination et de traitement national. Sur le plan juridique et technique, cette double pression — commerciale et internationale — oblige les États à considérer la fiscalité numérique non seulement comme un instrument budgétaire, mais aussi comme un enjeu stratégique de diplomatie économique.
Les effets sur la planification fiscale et l’organisation des multinationales ne se sont pas fait attendre. Anticipant les risques de représailles, les GAFAM ont modifié leur architecture financière et opérationnelle : redirection des revenus vers des filiales établies dans des juridictions à fiscalité avantageuse, optimisation des transferts intra-groupes liés à la propriété intellectuelle, réorganisation des opérations commerciales afin de réduire l’assiette imposable. Ces ajustements entraînent une diminution du taux effectif global.
Parallèlement, le gouvernement français a introduit des mesures supplémentaires pour renforcer l’équité fiscale. Le projet de loi de finances pour 2025 a instauré une surtaxe temporaire sur les bénéfices des grandes entreprises, visant à réduire le déficit budgétaire. Cette initiative a suscité des réactions mitigées parmi les entreprises, certaines estimant qu’elle pourrait affecter leur compétitivité.
Ces évolutions témoignent d’une volonté de la France de renforcer sa souveraineté fiscale face aux pratiques d’optimisation des multinationales. Les GAFAM, confrontées à ces nouvelles régulations, sont incitées à repenser leurs structures fiscales et opérationnelles pour se conformer aux exigences françaises, tout en maintenant leur compétitivité sur le marché européen.
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