Article précédent

Les associations socio-judiciaires n’ont pas attendu les débats sur l’autorité et le soutien à la parentalité qui resurgissent depuis la mort du jeune Nahel, ni les chiffres de la violence sur mineurs pour s’attaquer à la question de la responsabilité parentale. Certaines comme l’association Enquête et Médiation mettent en œuvre, à l’initiative des tribunaux, et depuis plusieurs années déjà, des stages courts à destination de parents maltraitants. Pour quelles visées et pour quels résultats ?

C’est une cheville ouvrière des tribunaux. Présente dans 16 départements, l’Association d’Enquête et Médiation (AEM) collabore avec les parquets depuis 2007 au moins et la loi relative à la prévention de la délinquance, en organisant des « stages de responsabilité parentale ». L’association intervient dans le cadre de résolution amiable de conflits ou dans des démarches de prévention, « l’objectif final étant d’éviter la récidive de faits de violence », explique Antony Peleman, son directeur général.
« Les parquets ont constaté que le traitement des défaillances parentales était relativement faible », indique-t-il. « L’idée était donc de réfléchir au suivi de ces parents, qui, même s’ils ne répondent pas de crimes, ont pourtant commis des actes pénalement répréhensibles ». Parmi ces actes, des faits tels que l’absentéisme scolaire, des preuves de violence physique ou psychologique ou encore des expositions à des situations à risque. En lançant ce programme, l’association tend à répondre à deux objectifs : « d’abord, évaluer la capacité du parent à modifier son comportement. Ensuite, travailler sur le plan de la prévention et de la sensibilisation sur la question parentale ».
Pendant ces deux jours de stage, des « populations variées », des « Monsieur et Madame tout le monde » se côtoient – tous convoqués pour avoir exercé une forme de violence sur leurs enfants – qu’ils aient été condamnés par la justice ou qu’ils aient bénéficié d’une mesure d’alternative aux poursuites. Sur place, l’équipe encadrante se compose de deux profils complémentaires : un intervenant socio-judiciaire (juriste), chargé entre autres de recontextualiser l’infraction pénale et ses conséquences juridiques, et un psychologue. « Il ne s’agit pas de stages professionnels. Il s’agit d’une décision de justice », rappelle Antony Peleman. « Ces personnes doivent être confrontées à la contrainte judiciaire. Elles doivent aussi intégrer les risques encourus dans le cas où leur dossier irait jusqu’en correctionnelle ».
Partie prenante à l’atelier, le psychologue essaie pour sa part de favoriser les échanges, en suivant une méthodologie développée par l’AEM. « Les parents qui participent au stage ne sont pas assis sur leur chaise, passifs, à écouter les informations qu’on leur diffuse. Pour atteindre la responsabilisation, il est en effet nécessaire qu’ils s’expriment sur les faits reprochés. C’est dans ce contexte que l’expertise du psychologue est sollicitée, pour distribuer la parole, aider à reformuler et tenter d’aller un peu plus en profondeur », relate le responsable.
Nina Jégou, psychologue de l’association, confirme à quel point l’accueil de la parole des participants occupe une place essentielle au sein du processus. « Pour certains, c’est la première fois qu’ils sont écoutés. C’est pourquoi il est important de ne pas nier ni le contexte qu’ils décrivent, ni leur histoire, ni leurs ressentis. Nous ne sommes pas là pour les juger ».
Au-delà de l’espace d’échange qu’instaure le stage de responsabilité parentale, la psychologue explique aussi que son organisation même entend repositionner la violence et « nommer les faits » avec les bons mots. « Quand quelqu’un nous dit, j’ai mis une petite fessée, nous lui rappelons qu’une simple petite fessée est un acte de violence. Dès lors que ces éléments sont posés, on peut éventuellement glisser vers une reconnaissance des faits. C’est tout l’enjeu : faire entendre qu’il y a des conséquences sur la personne en face, que l’on ne maîtrise pas ».
L’enfant, victime du comportement inapproprié du parent, est donc repositionné dans son rôle. En tant que personne vulnérable, « il attend beaucoup de ses parents, et notamment de la protection. Finalement, c’est moins le geste en tant que tel – évidemment répréhensible – que le message qui est envoyé derrière, qui compte ». Il est aussi question d’alerter quant à la normalisation de la violence et aux mécanismes qui peuvent y mener : limité dans son autorité, l’adulte n’arrive plus à se contenter de ses paroles et vient atteindre le corps de son enfant, dans le cadre, par exemple, de violences physiques.
Assez typique, la répétition d’un schéma familial violent s’immisce régulièrement dans les récits des participants. « On l’entend souvent : moi j’ai pris des fessées et cela ne m’a pas tué. Pourquoi pas. Pour autant, ils sont quand même là aujourd’hui, parfois pour des faits similaires ». Si l’idée peut faire son chemin chez certains, d’autres refusent de reconnaître, à l’instant T, qu’il puisse y avoir un lien entre leur parcours de vie et les raisons de leur présence. « C’est variable », explique la spécialiste. « Des personnes nous confient qu’elles ne voulaient surtout pas reproduire ces actes, mais qu’elles n’ont pas réussi à faire autrement, parce qu’elles ont manqué d’outils. D’autres auront tendance à penser qu’en ayant vécu pire, leur comportement n’est pas très grave ».
Le temps des sessions, la reconnaissance des faits se mêle ainsi au déni, tout comme les freins se lèvent, ou non, en se heurtant parfois au sentiment de culpabilité. « Dans certains cas, le meilleur intervenant, c’est le parent qui arrive et qui est déjà avancé dans son chemin de réflexion. Son témoignage et sa façon d’expliquer sa vision des choses vont avoir un impact sur les autres. Peut-être plus que nous, qui faisons la morale pendant six heures », constate Antony Peleman. Pour Nina Jégou, ces initiatives n’ont de toute façon pas vocation à faire évoluer les choses en peu de temps. Mais plutôt à « semer des graines et à faire comprendre aux parents qu’ils peuvent solliciter des interlocuteurs quand ils en ont besoin ». L’équipe accompagnante les encourageant également à échanger avec leur enfant, pour essayer de trouver des solutions en phase avec ses besoins.
Loin d’une « rééducation immédiate », ces décisions de justice misent ainsi sur un processus progressif, insistant notamment sur le fait que « l’éducation ne doit pas être assimilée à du dressage, mais à un accompagnement tout au long de l’enfance », comme le rappelle Nina Jegou. La spécialiste souligne par ailleurs l’importance de la considération apportée aux participants : « Nous ne sommes pas là pour les réduire à ce qui s’est passé. C’est de cette manière que s’ouvre ensuite la possibilité de travailler avec eux ».
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *