Article précédent

CHRONIQUE. La 20e chambre jugeait récemment plusieurs dossiers de violences sexuelles, dont le cas de Shahzad, 45 ans, filmé par la vidéosurveillance en train de tenter d’embrasser de force sa collègue serveuse dans le restaurant où il est cuisinier. Il admet les faits et conteste l’intention.

La femme au bébé est priée de l’emporter hors de la salle d’audience ; elle l’enroule dans son sari et le promène désormais d’un banc en fer déglingué à un fauteuil bancal, sous l’œil bienveillant de l’agent de sécurité. Le bébé est calme. La porte de la salle d’audience s’est refermée.
Il faut attendre plusieurs heures avant que Shahzad, un Bangladais de 45 ans, soit appelé à la barre de la 20e chambre correctionnelle de Nanterre, une interprète à ses côtés. Shahzad est cuisinier dans un restaurant à La Défense, et la jeune femme assise à quelques mètres, qui patientait depuis des heures dans le public, est serveuse dans ce même restaurant. Elle a 19 ans aujourd’hui, et l’accuse d’agression sexuelle.
À lire aussi : Tribunal de Nanterre : « Je l’ai vu taper, et j’ai tapé »
Le 26 octobre 2024, elle va faire une pause cigarette pendant son service, à proximité du restaurant. Shahzad la rejoint. Il est au téléphone, puis raccroche. Soudain (il est 20h21, d’après la vidéo surveillance), il place son bras gauche sur l’épaule de la jeune femme, qui tente de le repousser. Il lui tient le bras, elle tente de se libérer. Il se rapproche en l’enlaçant. Il avance son visage pour l’embrasser et y parvient même légèrement. Elle finit par le repousser en le frappant au visage. Elle s’échappe, choquée et énervée. Il la suit en direction du restaurant. La collègue de la jeune femme remarque son état de choc. Elle la questionne et avise le responsable. Par la suite, la jeune femme a tout dénoncé. Shahzad a été interpellé. Il a avoué aux policiers avoir embrassé de force la jeune serveuse.
La présidente l’entreprend vivement : « Comment en arrive-t-on, alors qu’on est dans un rapport professionnel, à la suivre comme ça et à lui imposer un baiser ?
– Je suis sorti du restaurant pour sortir les poubelles, j’étais au téléphone avec ma femme hospitalisée (enceinte, souffrant d’un diabète gestationnel) qui m’a annoncé qu’elle allait bien, et ça m’a rendu heureux. J’étais dans un état d’euphorie, je l’ai prise dans mes bras, je ne me suis pas rendu compte de ce que je faisais.
– Donc, si j’ai bien compris, alors que vous allez être papa, puisque votre femme était enceinte de huit mois, vous saisissez l’occasion pour embrasser de force une autre femme.
– Sur le moment, je ne me suis pas rendu compte que ça pouvait être mal interprété.
– Vous avez maintenu cette jeune femme en mettant les deux bras autour de son corps alors qu’elle essayait de partir », lui rappelle la présidente.
Le prévenu dit qu’il n’a fait qu’essayer de l’embrasser sur la bouche ; la juge dit qu’il raconte n’importe quoi, et que si c’est nécessaire, on va suspendre l’audience, appeler un technicien et tenter de diffuser la vidéo.
Elle lui lance : « Si vous étiez joyeux à ce point à ce moment-là, vous avez fait quoi le jour de la naissance de votre enfant ? » De l’autre côté du hall, près du de la machine à café, la mère berce son bébé.
La juge demande à la plaignante de se lever. « Madame, est-ce que vous avez eu le sentiment de partager un sentiment d’allégresse ?
– Non, je fumais une cigarette, j’étais au téléphone avec mon copain. Pile au moment où je finis, dans ce grand espace, il vient se poser devant moi. Au moment où je me lève, il commence à me suivre. »
Le technicien est arrivé. « On va s’interrompre, on va mettre la vidéo. »
Impossible de la projeter sur le grand écran, donc on tourne l’écran de la greffière et tout le monde se rapproche, à l’exception de la jeune femme, qui reste assise, les yeux baissés. Sur la vidéo, on la voit distinctement le repousser.
« Monsieur, vous soutenez encore que vous n’aviez compris qu’elle n’était pas d’accord ?
– Je ne me suis rendu compte qu’après. Je suis désolé pour ça.»
La procureure demande comment il qualifierait un comportement identique avec son épouse, « par un individu qui aurait 26 ans de plus qu’elle, par exemple ?
– Si un homme faisait ça en pleine conscience, je ne serais pas d’accord, mais il faut comprendre que j’étais euphorique et que je me suis excusé.
– Qu’est-ce qui se serait passé après ce baiser si Madame n’avait pas eu le courage de vous repousser et de partir ?»
De nouveau interrogée, la victime raconte, encore, ce qui lui est arrivé. Elle ne le connaissait pas plus que ça, ne le fréquentait pas. Il avait tout de même parfois un comportement un peu spécial, comme des compliments sur la tenue, où quand il lui cuisinait des petits plats. La procureure demande : « Vous parliez en quelle langue ?
– En français.
– Il le parle ?
– Il comprenait ce que je racontais, mais on n’avait pas de discussions.»
L’avocate de la partie civile remercie la présidente pour sa bienveillance : « Vous siégez depuis un moment, vous avez de la bouteille, vous imaginez à quel point c’est consolant pour Madame de vous entendre dire cela. » Elle rappelle qu’appelé à une première audience en février, le dossier avait été renvoyé – comme tant d’autres – pour surcharge du rôle. « Elle n’a pas pu retourner travailler depuis la première audience, et depuis février elle ne sort plus de sa chambre. »
La procureure demande : « Si elle n’avait pas eu le courage, qu’est-ce qui se serait passé ? Ce comportement, c’est ce qui crée la peur dans la rue, c’est ça le trouble à l’ordre social. » Pour sanctionner ce trouble, elle demande 18 mois de prison, dont 10 avec sursis. Aménagement ab initio sous la forme d’une détention à domicile. Une inscription au Fichier des auteurs d’infraction sexuelle, et une interdiction de contact d’une durée de trois ans.
L’avocate du prévenu s’excuse presque à sa place : « Les faits sont reconnus ; alors j’entends, pas bien reconnus, mais il ne s’exprime pas facilement. » Elle trouve la peine demandée « démentielle », « disproportionnée », et propose un sursis probatoire avec une obligation de soins. La décision est rendue : six mois de prison avec aménagement ab initio sous la forme d’une DDSE. Interdictions de contact et de paraître au domicile, et inscription au FIJAIS.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *