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Contrats de construction : Wilful misconduct, faute dolosive et responsabilité contractuelle


jeudi 6 septembre 201810 min
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06/09/2018 12:07:17 1 1 1389 14 0 15059 1329 1376 Association des juristes franco-britanniques : Brexit et terrorisme, les nouveaux défis maritimes européens

Au cours d’une journée de conférences organisée par l’AJFB le 25 juin dernier, les autorités se sont exprimées dans la matinée sur la sûreté dans la Manche et sur les pouvoirs de police en haute mer. Plus tard, les débats présidés par Dominique Hascher, conseiller à la Cour de cassation et l’honorable sir Richard Aikens, se sont concentrés sur le Brexit. Simon Horsington, vice-président d’honneur et fondateur de l’association, a conclu la rencontre. Dans ce compte-rendu, nous relatons plus particulièrement les interrogations relatives au départ de l’Angleterre de l’Union européenne.


Il y a 800 ans, un Brexit a déjà eu lieu, rappelle Emmanuel Araguas, avocat au barreau de Saintes. L’Angleterre et la France ont alors séparé leurs destins, non sans heurt. Cette première rupture a fixé les caractères originaux du droit maritime. Les règles historiquement admises dans l’espace allant de l’Atlantique à la mer du Nord émanent de sources communes.


Les marins du Moyen Âge ne connaissaient pas de frontière et appliquaient des pratiques bien établies. Le peuple libre des marins, des marchands de la mer, s’est forgé ses propres règles en l’absence de texte encadrant le fait maritime avant la conquête normande. Les affréteurs, les propriétaires, les équipages, et les clients avaient besoin de sécurité. Les risques étaient importants. En cas de naufrage, notamment, les fiefs côtiers pratiquaient le droit coutumier dit de varech ou encore de bris : ce que la mer rejetait sur la terre (homme et cargaison) était considéré comme chose sans maître et donc sous la coupe du seigneur détenteur du lieu. Il se l’appropriait.


Cette brutalité des us sera corrigée au fil du temps. En 1152, Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie, épouse Aliénor d’Aquitaine, répudiée par le roi de France, Louis VII. Les Plantagenêts possèdent le Maine, l’Anjou, la Normandie, l’Aquitaine, l’Angleterre, la Bretagne, une zone terrestre et maritime inouïe, plus vaste que le domaine des Capétiens. Les équilibres géopolitiques et les dynamiques commerciales sont redistribués. Henri II légifère et écrase le droit coutumier. Il souhaite, dans son intérêt, favoriser le négoce par voie maritime et donc améliorer sa sécurité.


Il instaure des taxes pour les navires qu’il croise au large de la Bretagne. Ceux qui s’en acquitte bénéficient de la protection d’Henri II et échappent, le cas échéant, au droit de varech. Les marins mettent en place un corps de règles appelé jugements de la mer, ou encore rôles d’Oléron, pour les nécessités de la navigation. Ses dispositions modernes au XIIIe siècle sont rédigées en gascon (par Aliénor d’Aquitaine ?) et non pas en latin. Elles font preuve d’humanité et sont très concrètes. Elles sont adoptées lors de la guerre de cent ans. Les rôles donnent des solutions d’arbitrage aux problèmes rencontrés en mer.


Plus tard, droits français, anglais, ou espagnol en reprennent les principes. Ce choix fédérateur engendre la création d’institutions maritimes et de juridictions spécialisées. Des deux côtés de la Manche, on partage des règles similaires pour les armateurs, les navigateurs et les marchands. En Angleterre, l’activité contentieuse du domaine maritime est traitée par l’amirauté, à la différence de la France où l’amirauté est une institution militaire dévolue à la défense du territoire. Somme toute, l’Histoire n’a pas fourni de Lex Mercatoria. Confronté au Brexit, le droit maritime aurait intérêt à respecter son passé pour s’orienter vers un universalisme renouvelé.



Quelles options pour les professionnels ?


 Cécile Bellard est directrice d’assurance et juridique de Louis Dreyfus armateur. Ce groupe familial existe depuis plus de cent soixante ans, avec une activité internationale de transport et de service maritime. Évidemment, le flou régnant sur les conséquences du Brexit l’interroge, notamment en termes de compétitivité. Jusqu’à présent, tous les États membres de l’Union européenne bénéficiaient d’aides et d’outils communautaires. Ainsi, la taxe au tonnage est un forfait qui permet aux sociétés maritimes assujetties à l’IS de ne plus le payer en fonction du chiffre d’affaires et des bénéfices, mais selon le tonnage de navires. L’armateur choisit cette option pour une dizaine d’années. Ce procédé évite à l’entreprise de payer trop d’impôt les années fastes et permet à l’État de collecter une recette même après un mauvais exercice. Il donne de la visibilité à long termes et favorise l’investissement dans de nouveaux bâtiments.


ette pratique se retrouve tant au niveau communautaire qu’au niveau international. Si demain l’Angleterre ne fait plus partie de l’Europe et n’a plus l’obligation de se conformer aux lignes directrices concernant la taxe au tonnage, alors elle pourra appliquer une politique agressive concurrentielle contre les membres de l’Union. De plus, les navires d’armateurs qui battent pavillon anglais pour profiter de ce régime, en perdront le privilège. On le voit bien, fiscalement, le Brexit pose problème. Accord bilatéral ou dérogation au niveau national, il faudra imaginer une solution pour maintenir le bénéfice de cette taxe, et contenir l’éventuel appétit expansif des Anglais dans le marché. Par ailleurs, concernant la douane, tout trafic faisant escale en Angleterre fera-t-il l’objet d’un contrôle, sera-t-il assujetti à des droits ? Pour améliorer sa compétitivité, l’Angleterre pourrait également être tentée de s’exonérer des règles relatives à la sécurité maritime. À la base, issues de la réglementation internationale, elles sont renforcées au sein de la communauté européenne. Revenir en arrière diminuerait ses coûts.


Autre sujet, à l’origine, les armateurs se sont mutualisés pour partager le risque de l’aventure maritime. Ils ont donné naissance aux assureurs et au droit des assurances. Londres est la place centrale de ce secteur économique en Europe. Aujourd’hui, les Lloyd’s concentrent une bonne partie du monde de l’assurance. Tout armateur est lié à ce marché. Comment va-t-il se réorganiser, restera-t-il la référence pour le shipping ? Actuellement, on note simplement que les Lloyd’s ont créé une entité à Bruxelles pour anticiper, mais vers quoi ? Le BIMCO (Baltic and international maritime concil) propose des contrats type qui prévoient des clauses d’arbitrage et désignent majoritairement les juridictions en Angleterre. Tous les acteurs du milieu les utilisent pour l’instant, mais demain, après le Brexit, la compétence anglaise sera-t-elle toujours valable et impartiale ? Face à ces interrogations, les cosignataires d’un partenariat donnent désormais assez régulièrement la préférence à Singapour. La même incertitude plane pour la sollicitation des avocats et donne lieu aux mêmes réflexes de précaution. Au niveau de l’organisation maritime internationale, l’Angleterre se pliait à une coordination communautaire avant d’aller à l’OMI (international maritime organization) pour les votes. Elle pourra à l’avenir concevoir d’autres alliances avec différents États et définir un rapport de forces inédit au sein de l’organisation.



La situation juridique des armateurs face au Brexit


La notion d’armateur est dûment reconnue par le droit français, quand les Anglais ne connaissent que le ship owner (propriétaire du bateau). L’armateur exploite le navire, qu’il en soit propriétaire ou pas. En général, il a pour habitude prudente de recourir à la single ship company, c’est-à-dire de constituer une société dédiée à un seul navire et profiter ainsi du flou de sa personnalité morale. Quasiment tous sont affiliés à des clubs (protection & indemnisation club) qui ont pour rôle d’assumer les risques que les assureurs ne prennent pas en charge. Le professeur Philippe Delbecque, président de la chambre arbitrale maritime de Paris, dresse un état du cadre existant. S’agissant du transport et des activités autres que l’agriculture, la Cour des communautés européennes a admis que tous les principes (liberté de circulation, de concurrence, de prestation de service) sont applicables, selon un arrêt de 1974.


Les autorités communautaires ont affirmé une politique de la mer à travers plusieurs règlements fondateurs du droit maritime européen : le règlement 40- 56-86 sur les conférences maritimes (abrogé en 2006) ; le règlement prestation de service 45-86, toujours de droit positif ; le règlement cabotage ; ou encore celui sur les consortiums maritimes de 1999. Elles ont également mis en œuvre des dispositions intégrées qui tiennent compte de données environnementales ou sociales. Il en ressort des textes précis sur la sûreté, la sécurité, l’environnement, et des directives techniques.


Dans l’élaboration européenne de ce droit, il faut aussi tenir compte des règlements de droits privés et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cela est vrai pour le règlement Rome I, applicable aux obligations contractuelles avec des règles de conflit spécifiques en matière de contrat de travail ou de transport de marchandise et de passager. C’est encore vrai pour le règlement Rome II, sous les obligations extracontractuelles sur la détermination des règles de conflits (en principe la loi compétente est celle de survenance du dommage).


Parmi les règlements de droit privé, il faut prendre en compte ceux de Bruxelles (I et I bis) qui organisent dans l’espace communautaire la compétence des tribunaux et l’exécution des décisions de justice. Notons que la plupart du temps, les clauses attributives de compétence, ne désignent pas une cour française. Depuis l’arrêt Coreck de novembre 2000, la Cour de cassation a suivi cette jurisprudence, et à son tour, a valorisé les clauses attributives de compétence. En conséquence, les tribunaux français voient peu de contentieux maritimes.


Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné les Anti-suit injunctions (ordre donné par les juridictions anglaises qui interdisent aux plaideurs de contester leur compétence). Ces derniers sont contraires à la confiance que les tribunaux dans l’espace communautaire se doivent réciproquement. Cette jurisprudence a été reprise par la Cour suprême à Londres en juin 2018. Enfin, le règlement insolvabilité sur les faillites, 1346, modernisé en 2015, le règlement passager, ou les directives sur les agents commerciaux sont importants pour les agents maritimes, les armateurs et leurs fournisseurs. Alors, le Brexit remet-il en cause l’édifice actuel ou les droits antérieurement acquis ?


Le droit maritime s’est construit à partir de conventions internationales. Les règles communautaires vont juste un peu plus loin. Les enjeux juridiques des discussions anglo-européennes en cours auront des conséquences en matière de concurrence, de contrat, d’emploi, de contentieux, d’assurance, de sanction, de commerce. Le périmètre est immense, que craindre, qu’espérer ? La concurrence, sans conteste, sera plus vive. Les textes imposent des contraintes techniques pour les navires et les sociétés de classification (directive 2009). En quittant l’UE, les Anglais ne seront plus soumis à ces obligations.


Par ailleurs, les aides d’État sont interdites pour les Européens lorsqu’elles entraînent des distorsions communautaires. Ils s’affranchiront également de ce principe, idem pour l’environnement, les assurances des armateurs, la composition de l’équipage, etc. A priori, un cadre beaucoup plus souple et donc moins cher. Cependant, à côté de cela, l’accès au marché européen sera plus difficile pour les Anglais qui vont perdre certains droits. Par exemple, le règlement 40-55, sur la liberté de prestation de service dans l’espace européen, ne devrait plus être applicable pour l’Angleterre qui abandonne simultanément le droit au cabotage reconnu par le règlement 35-77-92, dans la mesure où les pays membres maintiennent des restrictions de pavillon.


L’Angleterre va-t-elle prendre des mesures équivalentes pour restreindre les entrées sur son propre marché aux armateurs européens ? La concurrence risque de se durcir. La question de la taxe au tonnage préoccupe également les armateurs. Pour en bénéficier, il fallait des navires sous pavillon européen, parfois anglais. Les compagnies vont-elles devoir repavillonner ces bâtiments ? Les Anglais profiteront-ils toujours de la directive prise en 2004 pour favoriser le changement de pavillon ?


Quoi qu’il en soit, les décisions adoptées engendreront à coup sûr des effets. Ainsi, la Grèce, largement tournée vers le domaine maritime s’intéresse de près au Brexit. Si la pression fiscale demeure en Europe et diminue en Angleterre, les Grecs appliqueront une politique d’opportunité anglophile. La concurrence plus vive envisagée entre armateurs anglais et européens, suggère une coopération plus franche entre les professionnels tant pour la sécurité que pour la sûreté. Concernant la sécurité, une politique exigeante s’est développée à partir de la catastrophe de l’Erika. Elle s’est concrétisée par des textes et des directives imposant à l’État du pavillon et du port des contrôles du bateau.


Le Brexit libèrera certes les Anglais de ces obligations, mais les accords antérieurs, tel le mémorandum of understanding de Paris, subsisteront. Pour la formation des gens de mer, la convention STCW (Standards of Training, Certification and Watchkeeping) reconnait une équivalence des diplômes étendue à l’Europe qui restera sans doute, attendu la dimension internationale des métiers du secteur. De même, le règlement pour le transport de passagers dans sa forme actuelle sera, a priori, conservé. La convention d’Athènes sera toujours de droit positif. En matière de sûreté, c’est-à-dire de prévention des actes illicites et de la piraterie, le statut particulier de commissionnaire d’OEA (opérateur économique agréé) a vu le jour ainsi qu’un code international. Et l’opération militaire Atalante a été mise sur pieds. La coopération sur ces sujets semble évidente, elle devrait logiquement perdurer.


Droits de douane, règlement des activités portuaires en vigueur à compter de mars 2019, etc., beaucoup d’autres questions se posent. Le droit maritime a une essence internationale ancienne par-delà les règlements européens. Comme la mer, on peut souhaiter qu’il continue à montrer un esprit ouvert sur le Monde et la société.


 

C2M


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