Contrats de construction : Wilful misconduct, faute dolosive et responsabilité contractuelle


jeudi 6 septembre 20189 min
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Le droit anglais dispose d’une influence non négligeable dans le domaine de la construction. Ainsi, très régulièrement, les contrats ayant pour objet de régir les relations entre maître d’ouvrage et entrepreneur sont soumis au droit anglais. Ce qui ne va pas sans créer de difficultés pour les parties de culture juridique civiliste, parfois non familières des spécificités du common law appliqué à la construction.


Parmi les clauses les plus importantes des contrats de construction figurent notamment les clauses relatives à la responsabilité des parties et à la répartition des risques. Deux situations sont souvent rencontrées. Parfois, les risques sont prévus pour être supportés en tout ou partie par le maître d’ouvrage. Dans d’autres, les parties prévoient que le droit à réparation du constructeur est circonscrit ou encore limité à une somme définie au contrat. Cependant, lors des négociations, les maîtres d’ouvrages insistent régulièrement pour qu’une (au moins) exception à cette limitation soit prévue : pour le cas où l’entrepreneur se rendrait coupable de wilful misconduct.

Cette exception est également prévue par plusieurs contrats-type auxquels les praticiens ont souvent recours. Ainsi, le modèle de contrat NEC 4 « Alliance », utilisé pour des projets où une collaboration particulière est requise, met tous les risques à la charge du client, sauf lorsque les dommages sont causés par un wilful default1.

Malgré une utilisation abondante par les acteurs économiques, il apparaît toutefois que le concept reste relativement peu connu, et ne connaît pas de réel équivalent en droit français. Il est donc intéressant à double titre de le définir en précision, pour mieux le comparer et en tirer des enseignements pratiques.



Un concept prétorien mouvant

L’approche du wilful misconduct nécessite avant toute chose la définition du terme wilful. Comme son nom l’indique, il renvoie à la volonté, au libre arbitre. L’action est spontanée, décidée et entreprise librement. C’est ainsi qu’une cour anglaise, en 1885, énonçait ce caractère propre à celui qui « sait ce qu’il fait […] a l’intention de faire ce qu’il fait, et […] le fait librement »2.

Le terme de wilful misconduct a été pour la première fois évoqué par une cour à la fin du XIXe siècle. Un fabricant de fromage avait contracté avec une compagnie ferroviaire, et les négociations avaient abouti à un prix de transport réduit en échange d’une exclusion de responsabilité, sauf en cas de comportement qualifiable de wilful misconduct. Le fromage, d’un type particulier, devait être transporté dans des conditions précises au risque de se décomposer. Atteignant Londres, le fromage était endommagé. Le fabricant n’eut d’autre choix que de plaider le wilful misconduct pour obtenir gain de cause. Cependant, les juges retinrent que les cheminots n’ayant pas connaissance du caractère fautif de la manière dont ils transportaient le fromage, le wilful misconduct ne pouvait être retenu.

En conséquence, pour engager la responsabilité pour wilful misconduct, il faut prouver la connaissance du caractère fautif du fait commis, sans pour autant que l’intention de nuire ne soit nécessaire, étant précisé que la négligence grave n’est pas suffisante.

En effet, la connaissance du caractère fautif du comportement est capitale pour exclure la responsabilité pour wilful  misconduct. Cette exigence a été illustrée à plusieurs reprises par la jurisprudence. Un contentieux emblématique de cette question était survenu d’un contrat de transport, où le transporteur avait reçu comme instruction spécifique de ne pas laisser son véhicule sans surveillance3. Pour gagner du temps, il l’avait abandonné un instant, laissant les clefs sur le compteur, suite à quoi le vol de la marchandise contenue avait eu lieu. L’action subséquemment engagée visait à exclure la limitation du droit à réparation contractuellement convenue. La cour, insistant sur le fait que le conducteur avait reçu des instructions claires, déclara alors qu’il ne pouvait ignorer qu’en laissant son véhicule sans surveillance, il ne respectait pas les règles lui étant imposées. Son choix volontaire de prendre un risque délibéré justifiait la caractérisation du wilful misconduct et l’engagement de la responsabilité contractuelle.

Notons toutefois que l’intention de causer un dommage n’est pas nécessaire pour que le wilful misconduct soit retenu. Les juridictions britanniques ont dans ce sens opéré la distinction entre wilful misconduct et deliberate default. Pour que le premier soit retenu, il suffit, selon un arrêt récent4, que le débiteur de l’obligation concernée s’écarte sciemment de ses obligations contractuelles, ou soit volontairement imprudent en ignorant les conséquences du risque pris. Le deliberate default, lui, nécessite l’intention claire de violer les obligations contractuelles.

Enfin, il est vrai que la négligence et le wilful misconduct entretiennent des relations ténues. La jurisprudence anglaise considère ainsi qu’en règle générale, la négligence, conçue comme la violation du devoir de diligence, n’est pas suffisante pour écarter une clause limitant le droit à réparation. C’est ainsi qu’avaient statué les juges dans une affaire du début du XXe siècle5 mettant en cause la responsabilité de dirigeants et commissaires aux comptes d’un casino suite aux agissements frauduleux du directeur général, reconnu coupable d’escroquerie. Leur honnêteté n’ayant jamais été mise en cause, la cour affirma que leur négligence, bien que caractérisée, ne pouvait suffire à retenir le wilful misconduct. Dans une autre affaire symbolique6, le conducteur d’un camion s’était endormi au volant en causant un dommage aux marchandises transportées. La société cliente avait tenté d’engager sa responsabilité en justifiant de la négligence du conducteur qui croyait tromper le sommeil. La cour avait logiquement affirmé que bien que la négligence soit grossière, les circonstances ne justifiaient pas de retenir le wilful misconduct.



Une assimilation possible au droit français ?

La notion de wilful misconduct est assez difficile à transposer en droit civiliste notamment du fait que les traductions sont divergentes dans les normes internationales. Ainsi, la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures utilise le terme de wilful misconduct dans sa version anglaise et de « faute intentionnelle » dans sa version française7. Pourtant, dans la Convention Relative au Contrat de Transport International de Marchandise par Route, le même terme est traduit par le dol, ou « une faute […] imputable et qui, d’après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalente au dol »8.

Par ailleurs, les contrats FIDIC (nouvelle édition) prévoient, pour la plupart9, que la clause limitative du droit à réparation n’est pas applicable « en cas de fraude, de faute intentionnelle, ou de conduite fortement négligente de la Partie en faute », traduits en anglais par « deliberate default » et « reckless misconduct ». Ces clauses-types sont d’origine civiliste, la FIDIC étant domiciliée à Genève. Cela illustre ainsi à quel point le wilful misconduct est d’autant plus difficile à comparer en ce qu’il est absent de la doctrine civiliste.

Le droit français semble pourtant connaître depuis longtemps des dérogations aux clauses de réduction du droit à réparation semblables au wilful misconduct. Trois fautes dites « qualifiées » pourraient potentiellement y être assimilées : faute inexcusable, faute dolosive et faute lourde.

La faute inexcusable revêt des traits assez proches du wilful misconduct. La loi du 2 mars 1957 relative aux transports aériens interne dispose ainsi qu’ « est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ». Elle reçoit des définitions similaires en droit du travail ainsi qu’en matière d’accident de la circulation. Cependant, elle est limitée à ces domaines et ne semble donc pas pouvoir faire l’objet d’une transposition au droit de la responsabilité contractuelle, qui plus est appliqué au droit de la construction.

L’article 1231-3 du Code civil tel qu’issu de la réforme de 201610 – bien que la même solution soit déjà présente sous l’empire des anciens textes – indique que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive ». Le droit français prévoit ainsi une dérogation légale aux clauses limitant le droit à réparation, lorsqu’une faute lourde ou dolosive peut être caractérisée.

Le régime de la faute dolosive est relativement similaire à celui du wilful misconduct. En effet, son origine était initialement considérée comme extérieure au contrat : elle était notamment retenue pour le cas de l’architecte qui, lors de la demande de permis de construire, dissimulait un aménagement dangereux pour la solidité de l’immeuble11. Puis elle changea, pour se rapprocher du concept anglo-saxon. Dans un arrêt marquant, la Haute juridiction retenait ainsi la faute dolosive du constructeur qui « de propos délibéré, même sans intention de nuire, […] viole, par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles »12. Comme en Common law, l’intention de nuire n’est donc pas nécessaire. Autre similitude, le fait de ne pouvoir ignorer une prise de risque de laquelle pourrait inéluctablement découler un dommage permet d’engager la responsabilité pour faute dolosive13.Cependant, la Cour a rappelé14 que contrairement à la doctrine anglo-saxonne, la faute dolosive nécessite une dissimulation frauduleuse ou une fraude pour être caractérisée. C’est ainsi qu’un constructeur dont le maître d’ouvrage cherchait à engager la responsabilité pour n’avoir pas pris les précautions nécessaires pour surveiller la totalité de l’exécution des travaux par son sous-traitant vit le filtre de la faute dolosive lui bénéficier, la fraude n’étant pas démontrée15. En cela, les deux régimes diffèrent.

La faute lourde pourrait finalement être la notion la plus proche du wilful misconduct. Elle se définit comme la faute qui « ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »16. Notons qu’alors que les juges exigent la caractérisation d’une fraude pour retenir la faute dolosive, celle-ci n’est pas nécessaire à la faute lourde17.

Elle a également vu son régime évoluer. En effet, classiquement, la faute lourde est considérée comme équipollente au dol18. En revanche, en matière de construction, les juges retenaient très difficilement l’application de la faute lourde pour déroger aux limitations du droit à réparation, pour éviter que toute faute d’un constructeur puisse être présentée comme une faute lourde19. Mais maintenant que la faute dolosive fait nécessairement intervenir une fraude, les deux fautes ne semblent plus équipollentes, la faute lourde semblant se situer un cran en dessous.

En résumé, il semble bien que le wilful misconduct se situe donc à mi-chemin entre la faute lourde et la faute dolosive.



Des précautions pour les acteurs économiques français

Constructeurs et maîtres d’ouvrages de culture civiliste se doivent ainsi d’être particulièrement rigoureux et attentifs aux clauses limitant le droit à réparation lors de la conclusion de leurs contrats de construction soumis au droit anglais.

En effet, bien qu’ils soient habitués de ces clauses, les constructeurs doivent garder à l’esprit que, contrairement au droit français, la doctrine du wilful misconduct pourrait permettre à leur maître d’ouvrage d’engager leur responsabilité même lorsqu’une faute est commise sans intention frauduleuse.

De même, les maîtres d’ouvrages doivent penser à inclure l’exception pour wilful misconduct au sein de leurs contrats régis par le droit anglais, sous peine, à défaut de protection d’ordre public, de se trouver démuni en cas de dommage.

Dans les deux cas, il semble utile de prévoir précisément quel comportement est couvert par le wilful misconduct, pour éviter toute confusion en matière contentieuse.

Peter Rosher, Partner

Avocat à la Cour/Solicitor

Energy & Natural Resources

Cabinet Reed Smith

 

1) «The Client carries liability for claims from Others. The risk of such claims would normally be included as a Client Cost and form part of the Budget. The cost of any claims made by the client would be included in the Total Price for Work Done to Date. All risks other than third party claims or wilful default by a Partner are shared by the Alliance. » Notons que pour cette analyse, wilful default et wilful misconduct sont considérés comme équivalents. (« Le Client est responsable des réclamations des « Autres » [tel que défini dans le Contrat] . Le risque de telles réclamations serait normalement inclus dans le Coût du Client et fait partie du Budget. Le coût de toute réclamation faite par le client serait inclus dans le Prix Total des travaux effectués à ce jour. Tous les risques autres que les réclamations de tiers ou le manquement délibéré par un Partenaire sont partagés par l’Alliance ».)

2) Re Young & Harston’s Contract (1885) 31 Ch D 168 (CA) Bowen LJ.

3) Circle Freight v. Meadeast Gulf Exports Ltd [1988] 2 Lloyd’s Rep 427 (CA).

4) De Beers UK Limited v Atos Origin IT Services [2010] EWHC (TCC).

5) Re : City Equitable Fire Insurance Company Ltd [1925] Ch 407 (CA).

6) TNT Global SpA v Denfleet International Ltd [2007] EWCA Civ 405.

7) Convention de 1992 sur la Responsabilité Civile pour les Dommages Dus à la Pollution par les Hydrocarbures Article VII-8 : « […] Le défendeur peut de sucroît se prévaloir du fait que les dommages par pollution résultent d’une faute intentionnelle du propriétaire lui-même […] ».

8) Convention Relative au Contrat de Transport International de Marchandise par Route,1978, Article 19.1 : « Le transporteur n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre qui excluent ou limitent sa responsabilité ou qui renversent le fardeau de la preuve, si le dommage provient de son dol ou d’une faute qui lui est imputable et qui, d’après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalente au dol ».

9) 2e édition des contrats FIDIC, Livres jaune, rouge et argent, article 1.15

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