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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés marque la volonté du législateur
de promouvoir de façon très nette les sûretés réelles fondées sur la propriété.
Au titre de ces sûretés figurent en bonne place deux institutions déjà bien
connues de la pratique et très utilisées : la réserve de propriété et la
fiducie. Leur régime est déjà bien établi, aussi n’est-ce que de façon
marginale que le réformateur les a modifiées en apportant des précisions
cependant bien venues.
La propriété réservée à titre de garantie
Introduite dans le Code civil en 2006 (ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés), la clause de réserve de propriété n’est modifiée par la réforme que de façon marginale, les articles 2367 à 2371 du Code civil n’étant pas retouchés. En cas de revente ou de perte du bien grevé d’une clause de réserve de propriété, la propriété continue de se reporter sur la créance de prix (C. civ., art. 2372, al. 1, très légèrement retouché pour préciser l’hypothèse visée, à savoir l’alinéation). Le bénéficiaire de la clause peut donc revendiquer le prix, s’il n’a pas encore été payé, directement entre les mains du sous-acquéreur. De même, en cas de disparition du bien, la clause est reportée sur l’indemnité d’assurance (même texte, lui aussi retouché pour préciser qu’il s’applique en cas de perte du bien grevé). Ce mécanisme de report, notamment, rend la propriété réservée très appréciée et particulièrement efficace en cas de procédure collective (V. J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, JCP G supplément au n° 43-44, 25 octobre 2021, p. 53, sous la coordination de Ph. Simler et Ph. Delebecque ; C.-A. Michel, La réserve de propriété in Reforme du droit des sûretés, Saison 2 épisode 8, Dalloz Actualités, 24 sept. 2021).
Cependant, ledit mécanisme soulevait une difficulté.
La jurisprudence interdisait en effet nettement et d’aucuns diraient durement
au sous-acquéreur d’un bien acquis avec une clause de réserve de propriété
d’opposer au vendeur bénéficiaire de la clause les exceptions dont il aurait pu
se prévaloir contre l’acheteur/revendeur, et ce même si le sous-acquéreur était
de bonne foi (Com., 5?juin 2007, n° 05-21349. ;
Com., 3 janv.
1995 n° 93-11.093).
La même solution avait sans doute vocation à s’appliquer à l’assureur. La
réforme de 2021 brise cette jurisprudence en ajoutant
à l’article?2372 du Code civil un second alinéa.
Désormais, le sous-acquéreur d’un bien appelé à verser le prix de vente entre
les mains du bénéficiaire de la clause de réserve de propriété, tout comme
l’assureur appelé à verser l’indemnité d’assurance entre les mains du
bénéficiaire, pourront opposer à ce dernier les exceptions inhérentes à la
dette (ex. : exception d’inexécution) ainsi que les exceptions nées de
leurs rapports avec le débiteur (ex. : délai de paiement), ces dernières
exceptions, dites « personnelles », n’étant toutefois opposables que
si elles sont nées avant qu’ils aient eu connaissance du report.
Les règles applicables à la réserve de propriété
sont donc ainsi alignées mutatis mutandis sur celles de la cession de créance
et de la subrogation, comme le précise d’ailleurs le rapport au président de la
République accompagnant l’ordonnance. Toutefois, le point de savoir quelles
sont les exceptions personnelles qui pourront être soulevées, dans la mesure où
elles sont fonction du moment auquel le sous-acquéreur ou l’assureur aura eu
connaissance du report, risque de soulever un contentieux. En effet,
l’opposabilité de ces exceptions dépend de la démonstration de cette
connaissance. Alors que pour la cession de créance et la subrogation
personnelle, une notification ou une prise d’acte permet d’assurer cette
preuve, rien n’est prévu pour la réserve de propriété. Le réservataire aura
donc tout intérêt à adresser une notification au sous-acquéreur aussitôt qu’il
en aura connaissance (v. J.-D. Pellier, art. préc.). Si cette nouvelle
disposition renforce donc nettement la position du sous-acquéreur et de
l’assureur, elle sera nécessairement source de contentieux puisqu’elle leur
ouvre clairement une voie de contestation.
Enfin et de façon plus incidente, on observera que
l’assiette du privilège du bailleur d’immeuble est désormais explicitement
définie comme portant sur le mobilier « appartenant au débiteur »
(C. civ., art. 2232 nouveau). Cette précision, qui ne
figurait pas dans l’ancien texte, pourra être exploitée par le réservataire
dans le cas où le bailleur prétend exercer son privilège sur les biens objet de
la réserve de propriété entreposés dans les locaux loués par l’acquéreur (v.,
JSS n° 01 du 5/01/2022 sous la coordination d'Antoine Hontebeyrie, B. Evva et M. Loonis, L’évolution des
privilèges en matière immobilière).
La fiducie à titre de garantie
L’article 2011 du
Code civil, introduit en droit positif par la loi n° 2007-211 du
19 février 2007, définit la fiducie comme « l’opération par laquelle un
ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou
un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou
plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre,
agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».
La loi n° 2009-526 du 12 mai
2009 a complété le dispositif en précisant que « la propriété d’un bien
mobilier ou d’un droit peut être cédée à titre de garantie d’une obligation en
vertu d’un contrat de fiducie conclu en application des articles 2011?à 2030 »
(C. civ., art. 2372-1). Il en est de même pour les biens immobiliers (C.
civ., art. 2488-1).
En cas de non-exécution de l’obligation garantie, le bénéficiaire de la fiducie obtient la libre disposition des biens ou des droits cédés (C. civ., art. 2372-3 pour les meubles et 2488-3 pour les immeubles). En cas de défaillance du débiteur, le bénéficiaire de la fiducie se trouve ainsi titulaire d’un droit exclusif sur le bien ou le droit. L’efficacité est donc particulièrement réelle, ce qui explique le succès considérable du recours à cette forme de sûreté. La fiducie est perçue comme un véritable levier pour faciliter l’obtention de financements via un transfert provisoire de propriété d’un actif de l’entreprise à un fiduciaire afin de servir de garantie. Souvent qualifiée de reine des sûretés par les banques, elle est particulièrement utilisée dans le cadre des restructurations de dettes notamment conclues dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises sous l’empire des dispositions du livre VI du Code de commerce, et plus précisément de la conciliation (C. com., art. L. 611-4 et s.). La réforme ne modifie qu’à la marge le régime de la fiducie-sûreté. Elle permet, dans une première approche, de simplifier le recours à l’institution en allégeant son formalisme.
Contrat solennel, la convention de fiducie sûreté
doit être écrite et enregistrée à peine de nullité et comporter un certain
nombre de mentions obligatoires. Doivent ainsi être identifiés les biens ou
droits cédés, les constituants, fiduciaires et bénéficiaires, la mission du
fiduciaire et la durée du contrat. La convention doit également mentionner
l’évaluation de la dette garantie. Avant la réforme, le texte imposait
également l’obligation de mentionner l’évaluation des biens ou des droits cédés
(C. civ., art. 2372-3 pour les meubles et 2488-3 pour
les immeubles). Cette dernière obligation disparaît avec la réforme. L’intérêt de
cette exigence était critiqué et sa disparition conduit donc à plus de
souplesse (V. C. Hélaine, La fiducie utilisée à titre de garantie in
Reforme du droit des sûretés, Saison 2 épisode 8, Dalloz
Actualités, 24?sept. 2021), et sans doute à plus d’attractivité. Il
est vrai que cette exigence n’est imposée pour aucune autre sûreté. Attention
cependant, dans la mesure où l’article 2026 du
Code civil prévoit que « le fiduciaire est responsable, sur son
patrimoine propre, des fautes qu’il commet dans l’exercice de sa
mission ».
La responsabilité du fiduciaire s’accroît d’ailleurs
avec la réforme, à travers la consécration d’une nouvelle prérogative. Il est
désormais prévu que « si le fiduciaire ne trouve pas d’acquéreur au
prix fixé par expert, il peut vendre le bien ou le droit au prix qu’il estime,
sous sa responsabilité, correspondre à sa valeur » (C. civ., art.
2372-3 pour les meubles et 2488-3 pour les
immeubles). Cette possibilité pour le fiduciaire de s’affranchir de
l’évaluation de l’expert introduit, là encore, plus de souplesse et bien
entendu de réalisme. Ce n’est pas l’expert qui fixe la valeur, c’est
nécessairement le marché in fine. Cependant, compte tenu du risque de mise en
cause de sa responsabilité personnelle, le fiduciaire devra prendre un certain
nombre de précautions et ce, spécifiquement quant à la valeur des biens ou des
droits cédés. Ces précautions sont nécessaires pour tout débat sur la valeur en
question : qu’il s’agisse de l’allégation d’une éventuelle baisse de
valeur au cours de l’exécution de sa mission ou plus encore au moment d’une
réalisation.
Par prudence, le fiduciaire risquera bien de
continuer à exiger que la valeur du bien ou des droits continuent d’être
mentionnés dans le contrat initial pour que cette valeur fixée d’un commun
accord serve au moins de base de départ à ses obligations. Au-delà, ce sont les
modalités d’évaluation elles-mêmes qu’il conviendra de contractualiser, encore
que ces précisions ne seront pas nécessairement de nature à exclure toute
responsabilité du fiduciaire. Le fiduciaire sera également prudent en exigeant
l’accord préalable du constituant en cas de réalisation à une valeur différente
de celle retenue par l’expert (cf. en ce sens également Dictionnaire permanent
des difficultés des entreprises, bulletin n° 440-1 du
20 oct.
2021 n° 34,
p. 30, et S. Farhi, Les évolutions du régime de la fiducie sûreté dans le
projet de réforme du droit des sûretés RLDC n° 194 juil-août
2021, p. 18).
La simplification souhaitée pourrait dès lors bien
apparaître comme un trompe-l’œil.
Laurent Jourdan,
Avocat associé,
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