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En mars dernier, une étude de santé menée par le barreau de Paris a mis en lumière l’épuisement physique et mental des avocats. Pour y répondre, une permanence infirmière a été ouverte à la Maison des Avocats en juin. Alors que seule la moitié d’entre eux consultent régulièrement un médecin en cas de problème de santé, plus d’une trentaine d’avocats ont déjà profité de ce dispositif pour contrôler leur tension, réaliser un bilan sanguin ou encore évoquer le stress, les insomnies et l’épuisement émotionnel auxquels ils sont nombreux à faire face.
Dans une salle au sol parqueté, remplie de fauteuils rouges, Ophélie Sainvry patiente. En ce début d’après-midi de la mi-septembre, l’infirmière de 29 ans vient tout juste de débuter sa première permanence depuis la rentrée. Un grand homme d’une cinquantaine d’années entre et s’installe dans le fauteuil en face de l’infirmière. « Est-ce que vous avez un médecin traitant ? » demande Ophélie. L’avocat répond par l’affirmative. « Vous y êtes allé quand pour la dernière fois ? ». « Je n’y vais pas souvent, parce que je me sens en forme. Mais avec la profession… c’est quand même beaucoup de stress ».
L’étude réalisée à l’initiative du barreau de Paris en mars 2025 auprès de plus de 2 700 avocats a mis en lumière une réalité préoccupante bien que peu surprenante : l’avocature est éprouvante aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychique. Les avocats connaissent des niveaux plus élevés de troubles de santé mentale et d’épuisement émotionnel que les chefs d’entreprise, les autres professions libérales ou les cadres dirigeants et ils consultent moins leur médecin généraliste en cas de problème de santé.
Face à ce constat, le barreau de Paris a mis en place un espace et un temps spécifiquement consacrés à la santé des avocats. Cette permanence, organisée à la Maison des Avocats un mardi après-midi et un jeudi matin par mois, est gratuite, anonyme et accessible non seulement à l’ensemble des avocats du barreau, mais aussi aux personnels des services de l’Ordre. Cet été, une trentaine de personnes de 24 à 65 ans sont venues se faire examiner par Ophélie qui prend les constantes de chaque patient avant de proposer un temps d’écoute et de conseils.
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En avril dernier, la journée dédiée à la santé des avocats organisée par le barreau affichait complet. « Il y avait une telle demande que j’avais presque honte quand les gens m’écrivaient en me disant qu’ils n’avaient pas pu s’inscrire, » explique Pierre Hoffman, bâtonnier de Paris. « C’est compliqué d’organiser de grands évènements comme ça au quotidien et c’est pour ça que nous avons décidé de mettre en place cette permanence. Pour l’instant, le rythme est de deux fois par mois, mais si besoin, ça peut être une fois par semaine. Et si on se rend compte à un moment qu’il faut un cardiologue ou un généraliste parce qu’il y a de la demande, on peut aussi aller dans cette direction-là », tient à souligner le bâtonnier de Paris. En plus de la permanence, une seconde journée aura lieu le 29 septembre prochain et proposera notamment un dépistage cardio-vasculaire. Elle affiche déjà complet…
Retour dans les fauteuils rouges de la permanence. L’avocat a une tension à 8, « plutôt bonne » selon l’infirmière qui lui prescrit un bilan sanguin complet. Avant de repartir, il se penche vers elle : « J’ai du mal à dormir, je fais souvent des insomnies. Je prends parfois des somnifères, mais après je suis fatigué la journée ». L’infirmière répond : « Il faut chercher à savoir pourquoi est-ce que vous ne dormez pas la nuit. Est-ce que vous êtes stressé ? Angoissé ? ». La réponse de l’homme tient en une phrase : « Oui, je suis stressé par la profession ». Selon Ophélie Sainvry, ces questions de santé mentale sont centrales : les insomnies, le stress, l’anxiété et l’épuisement émotionnel sont des problèmes récurrents chez les avocats qu’elle croise, allant parfois jusqu’au burn-out.
Selon l’étude du barreau, plus d’un avocat sur deux souffre de troubles affectant sa santé. Ophélie Sainvry note que les problématiques de santé mentale sont bien plus courantes que les soucis strictement physiques. De fait, dans l’étude diligentée par le barreau, il ressort que seulement 43% des avocats sont satisfaits de leur santé mentale contre 66% de l’échantillon témoin. L’infirmière encourage celles et ceux qui pourraient en avoir besoin à consulter un psychologue. « Parfois ils me disent qu’ils vont y aller mais je ne suis pas sûre qu’ils le fassent toujours. Mais ça fait du bien de parler, » estime la professionnelle de santé. Outre le travail qui est systématiquement évoqué, le stress et l’anxiété peuvent aussi être nourris par « la vie familiale » ou la charge mentale « notamment chez les femmes : j’en ai vu deux ou trois qui avaient beaucoup de charge mentale, avec beaucoup de trucs dans la tête », souligne l’infirmière.
En janvier 2024, la profession avait été bouleversée par le décès, en pleine plaidoirie, de Me Gérald Genest, 69 ans, victime d’une crise cardiaque. Déjà en novembre 2021, la mort d’Arnaud Bouriant, avocat de 45 ans, au Palais de justice d’Aix-en-Provence, également mort d’un arrêt cardiaque, avait ému l’avocature. Car si la santé mentale ressort comme étant la problématique la plus prégnante, la santé physique n’est pas épargnée. Les médecins qui ont participé à la journée dédiée à la santé des avocats en avril dernier avaient d’ailleurs confié leur surprise à Pierre Hoffman. « Ils trouvaient que l’état de santé des avocats qu’ils avaient examiné une semaine plus tôt à Argenteuil était vraiment très très mauvais, y compris par rapport à celle d’une population « un peu plus défavorisée » »,rapporte le bâtonnier. L’hygiène de vie de nombreux avocats, notamment l’alimentation et le sport est souvent sacrifiée au profit du travail souligne également l’étude.
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Seulement la moitié des avocats vont consulter un médecin généraliste lorsqu’ils ont un problème de santé, contre les trois quarts pour l’échantillon témoin. « Ici, sur 10 patients, il y en a peut-être 6 qui ont des problèmes, ils savent qu’il y a quelque chose, mais ils ne veulent pas voir le médecin », estime l’infirmière qui essaie de les inciter à consulter davantage leur médecin traitant. Selon la professionnelle de santé, la difficulté à obtenir un rendez-vous, le manque de temps et la « peur de savoir » pourraient expliquer pourquoi les avocats se tiennent loin des cabinets médicaux qui riment souvent avec « mauvaise nouvelle ». Cet éloignement est encore plus prégnant chez les moins de 30 ans, qui ne sont que 35% à consulter régulièrement leur médecin en cas de problème.
La majorité des jeunes avocats travaillent entre 46 et 60 heures par semaine dès le début de leur carrière, et presque 90% passent fréquemment d’un sujet à un autre. Particulièrement exposés au stress, plus de la moitié d’entre eux estiment avoir un mauvais sommeil. « Les jeunes ont plus à prouver, il y a ce sentiment chez eux qu’il faut qu’ils s’imposent et trouvent leur place, en travaillant deux fois plus pour arriver au même niveau que les anciens », jauge Ophélie Sainvry. Et ça génère du stress ».
Une femme d’une soixantaine d’années, sac à dos et yeux bleus passe la tête dans l’encadrure de la porte. L’avocate généraliste vient pour la première fois, vérifier que tout va bien, tout en s’évitant de payer « une consultation chez le médecin ». A priori, sa tension est bonne. Mais à sept ans de la retraite, l’avocate semble usée par les difficultés. « On a une forte pression financière, des clients qui nous envoient trois mails par jour même lorsqu’on a prévenu qu’on était en vacances et qui exigent une réponse de suite pour une audience qui se tiendra dans 3 ans », souffle l’avocate. Cette pression constante engendre chez elle du stress et des insomnies, auxquels s’ajoutent des difficultés financières du fait des habituels retards de paiement. Le statut d’avocat libéral n’arrange rien : « Le fait de ne pas avoir de protection sociale et d’être une profession à risque au niveau de la maladie, c’est complètement anachronique », estime celle qui paie 300 euros de mutuelle par mois pour pouvoir bénéficier d’arrêts-maladies correctement indemnisés.
Pour l’avocate, mère d’une fille, les difficultés se cumulent chez les femmes. Les problématiques liées à la maternité sont courantes : « Pourquoi les collaboratrices quittent la profession à leur première grossesse ? », demande l’avocate. Parce qu’elles se reçoivent un croche-pied de la part de leur patron, qui ne rêve que d’une chose, c’est qu’elles fassent une fausse couche », cingle-t-elle. Après l’accouchement, les indemnités légales des congés parentaux sont plus modestes pour une avocate en libéral. « On est enceinte de la même manière. Pourquoi les salariés ont plus de droits que nous ? », demande-t-elle encore.
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Selon l’étude du barreau, 17% des avocats qui sont mères déclarent ne jamais avoir pris de congé maternité et 40% d’entre elles disent avoir subi des discriminations en lien avec la maternité. Les problématiques liées à l’endométriose, ou au syndrome des ovaires polykystiques qui touchent une avocate sur cinq sont rarement abordées au travail pour les femmes concernées. « L’endométriose est souvent évoquée et peut être très handicapante pour certaines femmes. Certaines ont le droit à du télétravail, mais malheureusement c’est parfois difficile à concilier avec la vie de famille », explique Ophélie Sainvry.
Plusieurs éléments contribuent à fragiliser la santé des avocats. A commencer par la charge de travail et les plages horaires : une majorité des avocats dépasse les 45 heures de travail par semaine, 43% travaillent souvent le weekend et 44% travaillent régulièrement après 21h. Avec un tel rythme, les temps pour souffler se font rares. D’ailleurs, alors même que la permanence est installée dans la salle de repos de la Maison des Avocats, l’infirmière n’y a jamais croisé personne. « Ça m’a étonnée », confie-t-elle. Outre la quantité de travail, la pression, qu’elle vienne de la hiérarchie, des clients ou de la crainte de ne pas boucler le mois, joue également un rôle. « Certains en ont marre, ils aimeraient changer de vie, changer de carrière. Parfois aussi à cause de la répétition des tâches, de disputes entre collègues. Malheureusement, certains se rendent compte qu’ils apprécient de moins en moins le travail qu’ils font », rapporte Ophélie Sainvry.
Le statut libéral de la profession constitue également un facteur aggravant. En plus d’une protection sociale plus faible que les salariés, les avocats doivent à eux seuls trouver des clients, gérer l’administratif, s’installer… « Il faut garder en tête que l’avocat est sujet à un stress permanent lorsqu’il se demande s’il va facturer, s’il va faire son chiffre d’affaires… C’est une boule au ventre continue, d’autant plus qu’on est dans une période de paupérisation, de déjudiciarisation… Les conditions d’exercice sont plus difficiles qu’avant », rappelle Pierre Hoffman.
Le 9 septembre dernier, le Conseil de l’Ordre a voté l’expérimentation d’une ligne d’écoute, de soutien et de conseil dédiée aux avocats. Elle sera mise en place à partir du 1er octobre et jusqu’au 31 mars 2026. Avec à l’issue, un bilan pour décider de la reconduction éventuelle de ce service.
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