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INTERVIEW. Le Congrès des notaires se tient à Montpellier du 24 au 26 septembre 2025. Consacré au droit de la famille, il entend souligner – selon son président, Maître Jean Gasté – la singularité de la profession : entre représentant de l’autorité publique et interlocuteur de proximité des familles.
Journal spécial des sociétés : Pourquoi avez-vous retenu le thème du droit de la famille ?
Jean Gasté : Nous nous apercevons qu’aujourd’hui, pour avoir une société apaisée, il faut que les familles elles-mêmes le soient. La première façon d’apprendre à vivre ensemble, avant d’avoir une confrontation avec les tiers et donc la société, c’est au sein de son entourage familial. Les études indiquent que 95 % des Français sont attachés à leur famille. C’est considérable ! La période du confinement leur a fait prendre conscience que la famille était une valeur et non une contrainte.
À l’inverse de ce que disait André Gide – « Famille, je vous hais ! » – on peut justement indiquer qu’elle est un lieu d’épanouissement et non de carcan. Malgré tout, les Français sont parfois déboussolés sur les questions de droit de la famille, et c’est pourquoi notre rôle d’accompagnement est primordial.
JSS : Dans vos prises de parole, en amont du congrès, vous décrivez une notion de famille qui reste universelle mais dont les configurations ont changé avec le temps. Comment le notaire s’adapte-t-il à ces changements ?
J. G. : Il est vrai qu’il y a 30 ans, lorsque j’ai commencé dans la profession, il n’y avait qu’une seule façon de créer une famille : c’était d’être marié. Aujourd’hui, en France, 60 % des naissances ont lieu hors mariage, de parents qui sont parfois pacsés ou simplement concubins. Forcément, nous devons nous adapter. Le droit de la famille est passionnant car il suit l’évolution des sociétés et c’est peut-être ce qui le rend plus difficile pour nous, notaires.
Chacun est libre d’organiser sa façon de vivre comme il l’entend, mais à côté de ça, il y a des règles obligatoires de vie commune. Même si les fondamentaux de la famille changent, comme le mariage qui n’est plus nécessairement pour la vie, les Français veulent connaître les règles de fonctionnement pour éviter des tensions. Notre rôle est de leur expliquer leurs droits et leurs obligations qui ne sont pas inscrites partout. On les présume souvent, mais lorsque l’on expose la réalité des textes à nos clients, parfois, ils découvrent des choses.
JSS : Diriez-vous que les évolutions de la société ont complexifié votre profession ?
J. G. : Oui, car nous n’allons pas donner les mêmes conseils à un jeune couple pacsé qu’à un couple remarié, par exemple. Dans cette deuxième situation, il faut parfois éviter d’alimenter les tensions entre beaux-enfants et beaux-parents, donc on va préconiser une union ou un testament spécifique. S’ils constituent une société entre eux, par exemple, on va essayer de relever les points qui pourraient créer des tensions à l’avenir. Nous avions moins ce travail d’anticipation auparavant.
JSS : Le thème exact du congrès est « Famille et créativité notariale ». Qu’entendez-vous par la notion de « créativité » ?
J. G. : C’est la capacité à aller chercher dans nos droits les outils adéquats pour accompagner et répondre aux besoins des familles, qui sont les tribus d’aujourd’hui. Pour être créatif, il faut avoir l’ouverture d’esprit suffisante pour écouter.
Le créateur ne part pas de rien : il s’imprègne du monde qui l’entoure et s’adapte aux situations. Prenons l’exemple d’un couple remarié qui n’a pas d’enfants et qui n’a pas voulu unir ses patrimoines. On peut très bien vouloir favoriser d’autres personnes que ses beaux-enfants avec qui l’on ne s’entend peut-être pas. Il y a évidemment un cadre légal autour de tout cela, on ne peut pas faire n’importe quoi. Le notaire doit être capable de s’adapter à toutes ces situations… donc, d’être créatif.
« Étonnamment, il n’existe pas de définition juridique de la famille »
Jean Gasté, président du 121e Congrès des notaires ©Association Congrès des Notaires
JSS : Vous qualifiez régulièrement les familles de « tribu », ce qui peut paraître surprenant d’un point de vue extérieur. Pourquoi ce terme ?
J. G. : Le terme de tribu prend justement en compte ces liens complètement différents les uns des autres. La famille est une notion informelle qui englobe des personnes ayant des liens de sang ou non. Il n’existe d’ailleurs pas de définition juridique de la famille, étonnamment. Quand j’utilise volontairement le terme de tribu familiale ou de tribu d’aujourd’hui, c’est justement pour reconnaître qu’il y a plusieurs types de liens qui existent entre les membres. Ils peuvent d’ailleurs être plus ou moins forts.
La notion de tribu est d’abord apparue dans la presse. Elle perturbe, parce qu’elle ramène à son sens primaire, anthropologique. Évidemment, nous n’allons pas faire d’anthropologie au congrès des notaires, mais disons que c’est un terme qui nous permet de poser des questions de sociologie, de philosophie et d’organisation de la société. C’est une façon de poser un regard nouveau sur la famille.
JSS : Vous avez segmenté le congrès en trois parties thématiques, pouvez-vous nous éclairer sur ce choix ?
J. G. : Pour évoquer les tribus familiales, il fallait réfléchir à une coordination intellectuelle du sujet. Après plusieurs semaines de réflexion, je me suis dit qu’il fallait faire simple et se calquer sur le cours de la vie : d’abord la naissance de famille, quand on est jeunes concubins ; puis sa vie, comment elle évolue, se transmet… Peut-être connaîtra-t-elle une séparation ? Bien que nous n’ayons pas de statistiques précises du nombre de divorces par consentement mutuel, qui passent donc par un notaire, nous avons coutume de dire qu’ils représentent de 50 à 60 % du total.
Et, hélas, le troisième thème : comment la famille va réagir quand elle est confrontée au décès ? Quand la mort arrive, c’est très violent. Notre rôle est évidemment de préparer les familles à cela.
JSS : Que viennent chercher les notaires dans ce congrès ?
J. G. : Je dirais qu’il y a plusieurs choses. Durant les trois jours du congrès, il y a une partie formation, notamment pour connaître le panel des outils que l’on peut proposer aux nouvelles tribus. Il y a aussi la possibilité de découvrir notre exposition, avec tous nos partenaires et fournisseurs. C’est un endroit où l’on se tient à jour sur les innovations, notamment autour de l’intelligence artificielle. Comment l’utiliser dans nos métiers ? Et puis, venir au congrès, c’est aussi l’occasion de discuter du droit futur. Quelles propositions va-t-on mettre en avant dans les années à venir ?
On essaie d’être un réservoir d’idées, mais aussi de ressources pour informer les notaires des évolutions du droit. Quand on rédige un testament, cela peut-être pour quelqu’un qui va décéder dans dix ou vingt ans. Il faut donc avoir une idée de ce que sera la philosophie dans les années à venir, et c’est là que le congrès peut être utile. Certaines propositions, comme celles de la réforme des droits du conjoint survivant et des enfants, par exemple, ont mis vingt ans à entrer en vigueur.
JSS : Tout cela est consigné dans un rapport…
J. G. : Ce rapport est le fruit de deux années de travail des équipes de l’association et des 14 bénévoles qui ont planché sur le sujet. C’est un ouvrage qui permet de faire la synthèse de toute la législation actuelle et des jurisprudences du point de vue des notaires. Nous ne sommes ni des magistrats ni des avocats, nous traitons le thème sous notre prisme qui est intéressant car, à l’inverse des autres professions que j’ai citées, nous sommes en contact permanent avec nos clients. Nous représentons l’autorité d’État, mais en même temps, nous les accompagnons tout au long de leur vie. C’est ce qui rend, à mon sens, le point de vue du notaire unique.
JSS : Avez-vous déjà une idée de ce que sera le thème de l’année prochaine ?
J. G. : Il sera révélé à la fin du congrès par mon confrère et ami qui va prendre la suite. Les thèmes qui se suivent d’une année à l’autre ont toujours une cohérence entre eux. L’année dernière, par exemple, nous nous sommes interrogés sur la manière d’aménager le territoire de façon durable. Intuitivement, vous allez me dire qu’on ne voit pas forcément le lien avec les nouvelles tribus. Mais en y réfléchissant un peu, pour qui adaptons nous la ville ? Autrefois, dans les années 1960, on se mariait pour la vie, on avait deux ou trois enfants, et notre logement comprenait deux ou trois chambres.
Aujourd’hui, entre 10 et 12 % de familles sont recomposées, avec parfois plusieurs enfants de chaque côté. Cela signifie que nous avons besoin de logements d’une taille complètement différente. C’est donc une donnée à prendre en compte si l’on se penche sur la question de l’urbanisme durable. Donc, bien que je ne puisse pas vous révéler le thème de 2026, je peux vous assurer qu’il y aura une continuité avec celui de cette année !
Propos recueillis par Elliott Bureau
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