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En 2021, l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a fixé l’objectif de 50% de détenus exerçant une activité rémunérée à l’horizon 2027. Malgré des places toujours limitées, certains détenus parviennent à devenir aide bibliothécaire en prison. Une formation qualifiante qui offre des perspectives de réinsertion et valorise les détenus.

« Ce travail en bibliothèque me permet de n’être pas uniquement détenue et de sortir un peu de l’infantilisation qu’engendre mon incarcération ». Sur l’écran de l’auditorium de La Méca à Bordeaux, le témoignage d’une détenue résume en quelques mots l’impact de sa fonction d’auxi-bibliothécaire sur son quotidien. Il est projeté dans le cadre d’une journée professionnelle organisée par l’ALCA (Agence culturelle de la Région Nouvelle-Aquitaine) ce 9 décembre, et dédiée à la thématique « Faire vivre des bibliothèques de prison ».
Sur place, plusieurs intervenants en lien direct avec ce dispositif sont invités à partager leur expérience, ponctuée d’embûches, et motivée par une foi inébranlable en la lecture et ses bienfaits.
Si l’administration pénitentiaire répond à une mission de surveillance, elle a aussi à sa charge l’insertion et la prévention de la récidive. « La notion d’insertion professionnelle permet aux détenus en milieu fermé de profiter de programmes d’orientation pour préparer leur retour à l’emploi en milieu libre », rappelle Lewis Huguet de la direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) de Bordeaux. « L’idée, c’est de faire de la peine un temps utile, de réduire l’inactivité, de responsabiliser mais aussi d’indemniser les parties civiles ».
Deux types d’activités rémunérées sont accessibles aux détenus : le travail pénitentiaire, encadré par un contrat, aménagé au profit de l’établissement pénitentiaire et rémunéré de 35 % à 45 % du SMIC, ainsi que la formation, financée et organisée par la Région, donnant lieu à une rémunération variable.
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En 2021, l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait fixé l’objectif de 50% de détenus exerçant une activité rémunérée à l’horizon 2027. « Aujourd’hui, nous avons bien progressé, puisque les chiffres atteignent environ 44 %. Ce taux doit cependant être relativisé, puisque le nombre de personnes incarcérées a aussi augmenté depuis 2021 », fait remarquer Lewis Huguet.
Le travail pénitentiaire donne lieu à des postes d’auxiliaires (ou « auxi »), dont le déploiement dépend exclusivement des moyens humains et financiers mis à disposition des maisons d’arrêt en lien avec les associations.
À Lire c’est vivre par exemple, le personnel s’investit auprès du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis depuis 1987. 4765 détenus (hommes, femmes et mineurs), 10 bibliothèques, 2 « auxi » par bibliothèque « sauf au quartier d’isolement », 4 salariés, 15 bénévoles, 40 000 documents, 2 500 CD, 32 abonnements, 40 % de fiction et 60 % de documentaire.
Les chiffres distillés par Alia Kouki, directrice de l’association, illustrent l’investissement humain et logistique nécessaires à la tenue d’une telle entreprise. « Nous organisons des comités d’acquisition tous les trois mois. Les auxiliaires se chargent de la sélection de l’un d’entre eux. Ils s’appuient sur l’offre importante des librairies du territoire avec lesquels nous travaillons », témoigne-t-elle.
Ces détenus bibliothécaires ont répondu à la proposition de certification mise en place par l’établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis, dont les conditions relèvent d’un programme strict : 240 heures réparties de septembre à juin, 4 modules à valider, 16 places par session, cours tous les jeudis, « périodes de vacances scolaires comprises ». Aujourd’hui, l’initiative affiche un taux de réussite de 100 % et offre la possibilité de poursuivre la formation à l’extérieur, en cas de libération.
En ce qui concerne le choix de la « promotion », Alia Kouki précise que le recrutement se fait en équipe avec les officiers pénitentiaires. « Il est demandé de savoir lire et écrire, de maîtriser l’utilisation d’un ordinateur, d’avoir une appétence pour la culture et la médiation, ainsi qu’une bonne posture relationnelle ».
La responsable explique recevoir quelques retours sur l’évolution d’anciens détenus formés, mais pas toujours. « Cela fait partie de nos axes d’amélioration. Mais on reçoit cependant quelques nouvelles de leur part, qu’ils nous donnent par mail ou téléphone ».
Autour de la table-ronde de l’auditorium de la Méca, Clara Guinaudeau, coordinatrice régionale des activités culturelles et sportives de la Disp de Bordeaux, révèle pour sa part le manque d’homogénéité qu’elle peut constater au sein des établissements. « Aujourd’hui, sur le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, il y a 9 bibliothèques. Dans la maison d’arrêt de Niort, il y en a une seule qui fait 8m². C’est sûr que la vétusté des locaux ou des équipements a un impact sur leur attractivité, de même que leur localisation au sein de la prison. Sachant que, de manière générale, l’orientation des politiques territoriales et les conventions signées avec les collectivités facilitent, ou non, la réussite de ces projets. »
« Le manque de personnel est criant et l’accès à la bibliothèque ardu pour les lecteurs, en fonction de leur quartier ».
Éric Martinet, membre du réseau biblio.gironde qui forme des détenus au Centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan
Sur les questions de programmation, Valérie Briley, médiathécaire détachée au centre de détention de Poitiers, souligne quant à elle les difficultés qu’elle rencontre à faire entrer le numérique dans ses locaux, lequel doit pourtant avoir « toute sa place ». De fait, les établissements travaillent sur des logiciels sous réseau local n’exigeant pas de connexion internet.
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Elle raconte également la ténacité « de tous les jours » dont elle doit faire preuve pour mettre en place des événements. « On arrive quand même à planifier des venues d’auteurs et des présentations de livres avec l’aide d’une petite librairie indépendante. Mais tout cela devient si compliqué – notamment dans le cadre de la mixité – qu’on en vient à tout organiser au quartier femme, où tout est plus facile : la bibliothèque est ouverte quasiment tous les jours, il y a toujours une surveillante… ». Le bon fonctionnement de la bibliothèque carcérale dépend aussi des aléas et de « l’actualité » judiciaires des détenus. « L’un de mes bibliothécaires a été déplacé pour être jugé le mois dernier. Aujourd’hui, j’attends toujours qu’il revienne. En attendant, la bibliothèque est fermée. »
Celle qui intervient depuis 2004 en milieu carcéral pour défendre le livre et qui reconnait avoir livré « de sacrées batailles » est complétée par Éric Martinet, membre du réseau départemental biblio.gironde qui forme des détenus au Centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. « Le manque de personnel est criant et l’accès à la bibliothèque ardu pour les lecteurs, en fonction de leur quartier. »
Il rapporte par ailleurs la sensibilité que requiert son métier. « Au départ, quand on accueille les auxiliaires de bibliothèque, ils sont très mal dans leur peau, du fait de ce qu’ils ont commis ou de leur procès qui approche. Leur humeur fluctue beaucoup. On dit souvent que bibliothécaire, c’est à la fois être conseiller et psy, mais dans notre métier, on le ressent puissance 1 000 ».
Ce rôle « multi-casquette » est également imputable aux auxi-bibliothécaires eux-mêmes. Pour Éric Martinet, « c’est un poste central, de conseiller mais aussi d’éclaireur ». Cette haute responsabilité est confirmée par le témoignage de David* (son prénom a été modifié). Incarcéré depuis plusieurs années, son parcours pénitentiaire coïncide avec son poste d’auxi-bibliothécaire. « Quand je suis rentré en détention, je fréquentais la bibliothèque autant que je pouvais. Je suis un grand lecteur. Elle était sous le contrôle d’un surveillant, qui a dû me voir assez fréquemment. L’ancien bibliothécaire ayant été libéré, il m’a convoqué pour savoir si j’étais intéressé ». Malgré les transferts récurrents d’un établissement à un autre, il réussit à maintenir sa fonction. « Pour l’auxi-bibliothécaire, il ne s’agit pas seulement de distribution de livres ou de CD, de leur contrôle. Il conseille et reçoit les revendications sur la prison. Il est le confesseur aussi ». Et il ajoute : « Ce qui ressort beaucoup, c’est que c’est un poste qui sauve les détentions. »
Un récit qui résonne particulièrement avec une actualité pénitentiaire tendue. Et bien que le Conseil d’État ait annulé en mai dernier l’interdiction annoncée par Gérald Darmanin des « activités ludiques », l’un des intervenants présents dans l’auditorium de la Méca à Bordeaux déplore une « période compliquée », qui empêche parfois les détenus de profiter de leurs droits. « Le manque de surveillants est énorme. Quand l’un d’entre eux doit gérer une coursive de 60 portes, qu’il doit courir pour les autres besoins tels que le rendez-vous avec l’avocat, l’école ou le sport… le passage par la bibliothèque demeure une option ».
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