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CHRONIQUE. La 6e chambre correctionnelle versaillaise se penche sur des violences intra-familiales (VIF) un peu particulières, puisque commises par un père sur son fils, tandis que tous deux sortaient tout juste de détention.

Le jour des faits, Gabriel D., 43 ans, raconte qu’il était « au travail ». Puis se ravise : « En fait, non. J’allais au travail, mais je me suis arrêté pour m’alcooliser ». Après avoir descendu un nombre indéterminé mais visiblement considérable de verres, il s’était mis à envoyer des textos d’une violence inouïe à Evan L., son fils de 19 ans, qu’il hébergeait alors depuis quelque temps : « Petite salope, tu pars de chez moi maintenant », puis « Tu vas devoir partir, petite salope, moi je vais venir te tuer, tout simplement », et enfin « Pars de chez moi, j’ai pas à t’héberger, j’ai pas à te nourrir, fils de putain que tu es ».
Dans la foulée, il était rentré chez lui, où il habitait avec une nouvelle compagne et un plus jeune enfant, et avait forcé la porte en criant une fois de plus « Je vais te tuer ». Aux enquêteurs, le fils a raconté qu’il était alors parti se réfugier dans la salle de bains, mais que le père, « complètement bourré », avait forcé cette seconde porte, puis saisi un couteau dans la cuisine et tenté de le blesser. Mais qu’il s’était en fait entaillé le poignet tout seul, avant de renoncer et de prendre la fuite. De fait, lorsque les gendarmes sont arrivés, Gabriel D. était dans la rue, à proximité de son camion. Lui explique que c’était seulement pour recharger son portable et appeler les secours : « Je n’ai pas pris la fuite. J’étais à proximité, et même très proche de chez moi ». Au sujet des outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique (PDAP) qui ont suivi, il précise qu’il s’était « uriné dessus », des suites d’une ablation de prostate cancéreuse et que les gendarmes s’étaient moqués de lui.
Toujours est-il que, si le père, qui a 31 mentions au casier et venait justement de sortir de détention, cohabitait avec son premier fils, lui-même fraîchement sorti de maison d’arrêt, c’était pour que ce dernier vienne purger chez lui un reliquat de sept mois de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). « C’est moi qui ai sollicité sa délocalisation, explique Gabriel D., parce que je ne voulais pas qu’il s’habitue à la prison. […] J’habite un petit village médiéval, dans la campagne, et j’avais du travail à lui donner sur des chantiers ». Sauf que rien ne s’était passé comme prévu : « Il est au téléphone avec ses copains toutes les nuits jusqu’à des 5 ou 6 heures du matin, et donc il est pas en état de venir travailler le matin », et puis, « il est menaçant, il va jusqu’à mettre des coups de tête, des coups de poing ». « Pourquoi vous ne le mettez pas dehors ? », rebondit la présidente. « Je me dis que c’est à ce moment-là qu’il faut que j’intervienne », rétorque Gabriel D., en larmes.
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Sa version à lui, c’est qu’à son arrivée au domicile, ce jour-là, la porte – qu’il avait lui-même cassée quelques jours plus tôt – était bloquée par des cartons. Et que c’est justement en tentant de pousser lesdits cartons en passant le bras dans ce qu’il restait de l’embrasure qu’il aurait reçu de son fils le fameux coup de couteau au poignet, ce qui aurait achevé de lui faire totalement voir rouge. Cette histoire de couteau n’est pas claire, comme le pointe l’avocat de la défense, puisqu’à en croire le récit de son fils, Gabriel D., droitier, se serait malencontreusement entaillé lui-même… le poignet droit.
Alors la présidente essaie de creuser : « Est-ce qu’il est possible, vu votre état d’alcoolisation, et vu les coups dans la porte, [qui permettent] d’imaginer votre état de fureur, que vous ayez attrapé n’importe quoi et que vous ne vous en souveniez pas ? ». « Pas du tout », répond Gabriel D., du tac au tac. « Je l’ai sorti de prison, j’ai fait en sorte de l’aider au maximum, mais il n’écoute pas ma voix ». La magistrate rebondit : « Peut-être parce qu’elle n’est plus du tout crédible. Parce que, vous savez, quand on a un papa qui a un casier long comme le bras, qui s’alcoolise au point d’envoyer ce genre de messages… ». Pour le prévenu, ça n’a rien à voir, puisqu’il n’était « pas là pendant toute son enfance ». « Justement, c’est peut-être une partie du problème… », rétorque la présidente.
« Pour le ministère public, il n’y a pas de débat », entame la procureure : « Le couteau est dans la main de monsieur D. ». Elle concède « qu’effectivement, avec Evan, les relations ne sont pas au beau fixe, et ça n’a pas l’air d’être le fils parfait. […] Personne ne conteste que c’est difficile d’être parent ». Mais pour elle, rien ne justifie un tel « déchaînement de violence », d’autant que, « quand on est soi-même assez peu irréprochable, qu’on a 31 mentions au casier, qu’on s’alcoolise, qu’on envoie des menaces de mort, pour finalement défoncer, non pas une, mais deux portes, ce n’est pas forcément la meilleure manière de remédier à la situation ». Elle réclame 12 mois, dont 6 de sursis probatoire, et la révocation totale… de 6 mois d’un sursis probatoire antérieur.
Pour l’avocat de Gabriel D., « la situation n’est pas simple, et il s’alcoolise pour supporter tout ça. Certes, il y a de la violence, certes, on se dit des choses horribles, mais ni Evan L. ni Gabriel D. n’ont porté plainte l’un contre l’autre ». Il ajoute que « c’est quand même son domicile, et qu’accessoirement, c’est lui qui paie le loyer. Il veut rentrer, il n’y arrive pas, il constate qu’il y a des cartons qui bloquent la porte. Il demande gentiment à pouvoir rentrer, il pousse la porte et il se fait entailler la main ». Sur ce point, il intercale que, d’après les premières constatations des gendarmes, il y avait bien du sang sur une plinthe à proximité de la porte d’entrée, « mais on n’en tire aucune espèce de conséquence. […] On n’exploite pas le sang, on n’exploite pas le couteau [détruit dans l’intervalle, NDLR] ».
« Dans ce dossier », poursuit le même, « on a voulu aller vite, et on a eu un parti-pris. Les violences, si vous voulez, pas de difficulté, mais les violences avec arme… ». Il enchaîne sur la personnalité : « Oui, il a un casier épouvantable, ça c’est vrai, mais il a entamé un suivi. L’intérêt de tous, me semble-t-il, est qu’il continue à aller voir un addictologue. Et puis, c’est le seul à contribuer à l’entretien de sa famille ». Son client ajoute un dernier mot : « Je regrette simplement d’être ici, je regrette les faits qui me sont reprochés. Moi, j’ai dit toute la vérité, c’est tout ce que je peux vous dire ».
Finalement, le tribunal disqualifie les violences avec arme en violences volontaires sans ITT – autrement dit contraventionnelles – et prononce 1 000 € d’amende. Pour les menaces de mort et les outrages, la peine est cependant conforme aux réquisitions, ce qui donne donc un total de 12 mois ferme, aménagés ab initio sous forme de DDSE.
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