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INTERVIEW. Attirés par la promesse de procédures rapides et peu coûteuses, de plus en plus de couples optent pour le divorce en ligne. Mais ces solutions, en apparence avantageuses, peuvent faire courir des risques juridiques réels à leurs utilisateurs.
Marie Tastet est avocate en droit de la famille à Bordeaux. Habituée à recevoir des ex-couples en proie à des mésaventures liées à ces plateformes en ligne, elle reconnait pourtant que ces dernières peuvent venir à bout de leur mission dans le cas de divorces simples, soutenus par l’expertise de véritables avocats. Rencontre.
Journal spécial des sociétés : On parle actuellement de divorce low cost via des plateformes en ligne. Comment définir ce concept ?
Marie Tastet : Des personnes en cours de séparation sont décidées à divorcer par consentement mutuel, de manière rapide et économique. L’objectif pour eux, c’est vraiment de payer le moins cher possible. C’est dans ce contexte qu’après avoir réalisé des recherches sur internet pour trouver un avocat, ils tombent sur des sites tels que Alexia, Amiable-Divorce ou encore We Divorce. Ces derniers proposent des forfaits avec des prix d’appel pour un divorce rapide et moins cher, en mettant les clients en contact avec des avocats et des notaires référencés sur leur plateforme. Mais l’on se rend compte, malheureusement, que sur certaines d’entre elles, il n’y a pas vraiment d’avocats qui suivent.
C’est l’un des risques principaux de cette démarche : l’ex-couple entend parler à un avocat, alors qu’il peut avoir à faire à un juriste, ou à une personne à peine dotée d’une formation juridique. Le cadre du divorce par consentement mutuel demeure pourtant strict, puis qu’il dépend de conditions précises de validité de la convention qui imposent notamment une signature à quatre en présentiel (deux époux, deux avocats). Il arrive que cette étape ne soit pas respectée par l’intermédiaire de ces sites.
JSS : Quelles différences existent entre un divorce initié par l’intermédiaire d’un avocat traditionnel et celui proposé par ces plateformes numériques ?
M. T. : Les plateformes numériques envoient immédiatement une facture d’appel dès le début du dossier. Au fur et à mesure de l’affaire, ils transmettent des factures supplémentaires. C’est donc progressivement que le professionnel derrière son ordinateur se rend compte des diligences à accomplir et de la complexité du dossier. Car la plupart du temps, il n’y a pas de rencontre physique avec l’avocat, simplement un échange téléphonique ou un échange par mail.
Pour leur part, les couples qui choisissent de passer par un avocat fonctionnent souvent sur recommandations. L’avocat les reçoit pendant un entretien d’une heure, parfois plus lorsque cela le nécessite. Il prend soin de répondre à des questions ciblées. Le client est libre de dire ce dont il a envie, ce qui n’est pas forcément possible en visio-conférence, voire pire, dans un échange par mail.
« Le divorce est une matière pleine d’affects : au-delà des conséquences patrimoniales à trancher, il est aussi question d’émotions et de psychologie. »
Marie Tastet, avocate en droit de la famille
Il ne faut pas oublier que l’écoute, le conseil et le lien de confiance, qui ont besoin de temps pour s’instaurer, sont essentiels dans ce processus. Le divorce est une matière pleine d’affects : au-delà des conséquences patrimoniales à trancher, il est aussi question d’émotions et de psychologie. Je pense en outre aux violences conjugales ou économiques : elles sont rarement révélées lors d’un premier entretien, par pudeur. La libération de la parole se met en place lorsque la personne se sent en confiance, au fur et à mesure, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes. Ces derniers ont parfois besoin d’encore plus de temps, les violences commises sur les hommes étant encore taboues.
JSS : Ces plateformes mettent en avant la rapidité des démarches et leur faible coût. Dans quelle mesure ces arguments sont-ils réellement valables ?
M. T. : Pour parler chiffres : les plateformes affichent initialement un prix d’appel relativement bas, 289 euros. Les factures suivantes s’accumulant, on arrive en fait à un tarif assez similaire à celui d’un avocat.
J’identifie néanmoins un risque à cette pratique : au-delà du défaut de conseil et d’audit que nous avons pu observer, il arrive que le client n’ait tout simplement plus de nouvelles de l’avocat avec lequel il a été mis en lien au début de sa démarche. Les factures et frais de divorce sont réglés, mais l’interlocuteur derrière la plateforme se rend compte que le dossier est trop complexe.
Je prends l’exemple d’un client qui serait dirigeant d’entreprise sous un régime de communauté, avec des parts sociales à liquider. Pour la plateforme, il y a un risque que le dossier prenne trop de temps et ne soit pas assez rentable. Le client demeure ainsi sans nouvelles. A ce titre, nous avons récupéré plusieurs dossiers semblables, au sein desquels les couples avaient payé ces plateformes, sans pouvoir aller au bout de leur divorce par consentement mutuel.
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Je tiens à préciser que certaines plateformes peuvent cependant prendre correctement en charge des cas de divorces « faciles ». J’ai en tête un cas récent où deux époux mariés, qui n’avaient pas acheté de biens immobiliers, sans enfants, et avec très peu d’actifs à liquider, y ont trouvé une solution qui leur convenait. Leur divorce a été validé en un mois.
Cela n’empêche qu’il reste des diligences minimales à effectuer : premier entretien, rédaction de la convention, envoi de la convention en recommandé électronique, délai de réflexion, réunion à quatre pour signer la convention, ce qui prend minimum une heure. Partant de ce constat, je pense que les 290 euros d’appel sont une chimère. La démarche coûtera forcément plus.
JSS : Quels sont les principaux risques juridiques liés au recours à ces plateformes ?
M. T. : Très concrètement, l’annulation de la convention de divorce. La jurisprudence du 30 avril 2024 au tribunal judiciaire de Versailles prononce ainsi l’annulation d’un divorce par consentement mutuel signé six ans auparavant ! Six ans plus tard, les ex-époux se retrouvent donc remariés, alors qu’entre temps, ils ont pu se marier de nouveau, se pacser ou avoir d’autres enfants… C’est une insécurité juridique terrible. Ce risque existe notamment si jamais l’un des époux, lésé, était conseillé plus tard par un autre avocat, qui insisterait sur la nécessité de revenir sur la convention de divorce signée.
Dans la même veine, nous nous confrontons aujourd’hui à ce que nous appelons le « SAV » du divorce. Le cabinet récupère des époux qui, après un divorce par consentement mutuel bâclé, se rendent compte de difficultés d’application de leur convention de divorce et espèrent pouvoir rectifier le tir avec l’aide d’un nouvel avocat. La plupart du temps, il s’agit de problématiques relatives aux enfants ou aux pensions alimentaires fixées. Mais il faut savoir que dans ce type de cas, on peut difficilement revenir en arrière. Si les conditions de validité de la convention sont réunies, on peut difficilement avancer l’argument d’un manque de discernement, car le client a bien été assisté d’un avocat à l’époque.
JSS : Quid, justement, de la place de la protection des enfants dans ces procédures facilitées ?
M. T. : La réforme de 2016, entrée en application en 2017, souhaitait placer l’enfant au cœur du divorce pour le faire intervenir en tant que partie prenante. Cette initiative a été largement critiquée par les avocats d’enfants, dont je fais partie. Pourquoi ? Parce qu’il existe bel et bien un formulaire à remplir sur le fondement de l’article 388-1 du Code civil. Il sera utilisé uniquement dans le cas où les parents estiment l’enfant suffisamment discernant.
Mot pour mot, ce formulaire dit : « Je sais que je peux être entendu par un juge dans le cadre du divorce de mes parents, notamment sur les modalités de garde ». L’enfant peut alors cocher : « Oui, je veux être entendu » ou « Non, je ne veux pas être entendu ». On pose avant la question aux parents : « Estimez-vous que votre enfant soit muni de discernement ? ». Mais aujourd’hui, en droit français, qu’est-ce que le discernement ? Les juges l’estiment à 13 ans, les parents peuvent l’évaluer à 10 ans… Cette signature et ce choix dépendent en fait de l’appréciation, subjective, des parents.
C’est l’ensemble de ces problématiques délicates qui sont concernées dans le divorce. L’idéal restant de se poser autour d’une table, ensemble, avec l’enfant, et d’en discuter avec lui directement. C’est ce temps de discussion supplémentaire, inexistant sur les plateformes, qui permet de cerner le désir véritable de l’enfant.
JSS : Les offres low-cost peuvent-elles dévaloriser la profession d’avocat ?
M. T. : Oui. Notamment si les gens commencent à penser qu’un divorce ne coûte que 300 euros. Je prends l’exemple de mon cabinet, dont le tarif horaire est à 250 euros. En vérité, il s’agit de bien plus qu’une heure de travail, pour des raisons qui tiennent à la validité de la convention, aux entretiens, à la signature et à la rédaction de la convention. Le travail d’accompagnement, d’audit et de conseil est également sous-estimé.
Il n’est jamais simple de se séparer : il y en a toujours un qui part plus que l’autre. Les questions ou les complications soulevées sont toujours plus nombreuses que ce que les gens veulent faire croire à leur avocat. De plus, il faut garder en tête que les conséquences d’un divorce durent toute la vie. Elles ont un impact sur les enfants, le patrimoine, sans oublier l’aspect fiscal, avec la déductibilité de la pension alimentaire ou l’imposition. Il est essentiel, dans cette démarche, de se poser les bonnes questions ou de procéder à des simulations. D’où l’importance d’être parfaitement conseillé.
JSS : Pensez-vous que le législateur doive encadrer plus strictement le recours à ces sites ?
M. T. : Incontestablement. Il faut encadrer ces plateformes et arrêter de croire qu’un divorce doit être traité à la légère et au rabais. La priorité est de s’assurer par ailleurs que ces structures collaborent bien avec de vrais avocats et de vrais notaires.
En parallèle, je crois qu’il est tout aussi important de sensibiliser les avocats partenaires de ces plateformes, entre autres parce qu’ils prennent le risque d’en tomber économiquement dépendants. En acceptant de revoir leurs tarifs à la baisse, ils espèrent une augmentation du nombre de dossiers. En réalité, ils ne s’y retrouvent pas financièrement. Sur les 290euros facturés, plus de la moitié part en charge, à l’URSSAF, aux impôts, aux différentes cotisations – Ordre des Avocats, CNBF, CNB… Le tout en supposant qu’ils n’aient pas contracté de crédit immobilier, qu’ils n’aient pas de secrétaire ou autres collaborateurs.
JSS : Comment la profession d’avocat peut-elle répondre à cette nouvelle concurrence ?
M. T. : Je ne crois pas que la solution réside en une baisse des tarifs. En Province, ces derniers se situent entre 1500 et 3000 euros, en fonction de la complexité du dossier. J’estime que ces honoraires sont suffisamment transparents en la matière. Dans les faits, je pense qu’il vaut mieux communiquer et promouvoir le rôle de l’avocat, expliquer sa plus-value et valoriser son expertise.
C’est aussi de cette manière que l’on arrivera à démocratiser le divorce, en plus de la loi de 2016 qui permet d’y accéder sans recours au juge. Des campagnes de publicités ont été lancées, tant par le CNB qu’à l’échelle locale, pour faire passer un message clair : oui, on peut divorcer facilement et de manière sécurisée.
Propos recueillis par Laurène Secondé
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