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Le mercredi 24 septembre 2025, l’audience solennelle de rentrée de la Cour administrative d’appel et du tribunal administratif de Paris a mis en lumière un constat partagé : l’explosion du contentieux et un climat de plus en plus tendu alourdissent considérablement la charge des magistrats.
La demande de justice explose à la Cour administrative d’appel de Paris comme au tribunal administratif. Mercredi 24 septembre, lors de l’audience solennelle de rentrée des deux juridictions franciliennes, marquée par la visite surprise du garde des Sceaux Gérald Darmanin, leurs présidents respectifs, Pascale Fombeur et Jean-Pierre Dussuet, ont tiré la sonnette d’alarme face à la hausse continue du contentieux. Ils ont alerté sur la charge de travail qui pèse sur les magistrats.
Devant le tribunal administratif, le nombre d’affaires a bondi de 84 % en dix ans, dont 21 % sur la seule année écoulée. À la Cour, l’augmentation atteint 15 %, soit 6 200 requêtes supplémentaires. « La situation budgétaire de notre pays n’a pas permis d’augmenter le nombre de postes consacrés à la justice administrative en 2025 et nous savons qu’elle ne s’annonce pas plus facile pour 2026. La charge de travail des magistrats et agents de greffe ne peut être alourdie sans limite », a averti Pascale Fombeur.
Un constat partagé par Jean-Pierre Dussuet : « Qu’ils soient qualifiés d’artificiels ou de périphériques, ces contentieux n’en sont pas moins extrêmement consommateurs de temps et de moyens, en termes de greffe et en termes de magistrats, à un moment où les moyens sont particulièrement contraints ». Et d’insister sur le rôle du tribunal, l’un des plus sollicités de France, où chaque magistrat et greffier traite un volume considérable de dossiers : « la juridiction avait ainsi enregistré sur les 12 derniers mois un total de 36 000 requêtes, c’est-à-dire le double de ce qu’elle était amenée à traiter il y a encore une dizaine d’années ».
Concernant les délais de jugement, Jean-Pierre Dussuet a toutefois souligné que ceux du tribunal « se révèlent inférieurs à ceux constatés au niveau national pour les tribunaux de grande taille. Un effort particulier a été fait pour assurer le respect des délais de jugement des référés urgents, bien que le tribunal en enregistre maintenant près de 6 600 par an. Les référés-libertés, nous en enregistrons 4 à 5 par jour, sont jugés en 48 heures, les référés-suspension le sont en 15 jours ».
Certaines affaires accentuent encore la pression sur les magistrats, en particulier le contentieux du séjour et de l’éloignement des étrangers, désormais prépondérant. « La multiplication des recours de tous types sur ces questions conduit au paradoxe que le tribunal est amené à se prononcer, parfois à cinq ou six reprises, avant même que l’administration ne commence à étudier le dossier et ne prenne enfin une décision expresse sur le fond, décision qui pourra se révéler, dans bien des cas, favorable au demandeur », a notamment détaillé le président du tribunal administratif qui a déploré qu’un « glissement est en cours » : « du rôle de juge vers un rôle d’administrateur venant pallier les déficiences ou les insuffisances de l’administration, voire même parfois vers un rôle d’animateur d’une politique ».
La présidente de la Cour a, de son côté, pointé une faille structurelle : « Une décision implicite de rejet de la demande naît au terme d’un délai de quatre mois. Les préfectures ne parviennent généralement pas à se prononcer dans ce délai et les juridictions sont saisies de recours contre des décisions de rejet entièrement théoriques, puisque la demande de l’étranger n’a pas encore été examinée ». Avant de s’interroger : « Ne serait-il pas préférable de modifier les textes, en recherchant un juste équilibre entre la protection des droits des étrangers qui présentent une demande et les moyens dont disposent les préfectures ? ».
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Un sujet qui ne doit pas être sous-estimé, insiste Jean-Pierre Dussuet : « Ces contentieux ne sauraient pour autant être qualifiés d’inutiles, car ils sont souvent pour les intéressés le seul moyen de faire reconnaître un droit qui devrait être évident pour tous : le droit d’accéder à l’administration. Il est d’ailleurs très symptomatique que dans nos audiences, en matière de contentieux sociaux notamment, nous ayons à statuer sur les droits des plus démunis ».
Au-delà de ces affaires récurrentes, le juge administratif est aussi saisi de dossiers complexes et sensibles : refus de rapatriements de ressortissants français détenus en Syrie, accès aux archives relatives au génocide rwandais ou encore contentieux environnementaux liés à l’évaluation des pesticides. « Par son activité, le tribunal administratif de Paris est le premier des 42 tribunaux administratifs de France. C’est aussi le tribunal du contentieux de grandes directions de contrôle fiscal. Enfin, c’est le lieu où se jugent de nombreux dossiers médiatiques ayant un écho national », a rappelé son président, qui dirigeait encore en 2022 le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Pour Pascale Fombeur, un aménagement pourrait pourtant aider les magistrats dans le traitement des contentieux : la spécialisation. « Je suis également convaincue qu’il faut désormais valoriser une certaine spécialisation des magistrats dans leur parcours de carrière : le temps n’est plus où l’on pouvait maîtriser toutes les matières du contentieux administratif – en tout cas, pas face aux dossiers extrêmement lourds que nous traitons notamment à Paris, si l’on souhaite travailler efficacement ».
Enfin, un temps a été consacré à la question de la confiance envers le juge administratif, que la présidente de la Cour a qualifiée de « véritable défi dans une société qui fait de moins en moins confiance à ses institutions » et où « le développement des réseaux sociaux permet désormais à chacun de donner son avis sans prendre le temps de la réflexion et en s’autorisant des propos qu’on ne tiendrait pas en face-à-face ».
Pascale Fombeur a notamment rappelé qu’« en février 2025, à la suite du jugement annulant l’obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre de l’influenceur Doualemn pour un motif lié à la procédure choisie, des messages ont été diffusés sur X appelant à décapiter les juges, avec les photos et les noms de la présidente et d’autres magistrats du tribunal administratif de Melun ». Dans ce climat, a-t-elle accusé, « nous avons besoin, en premier lieu, d’une parole politique qui montre l’exemple à nos concitoyens. Il est possible d’être en désaccord avec une décision de justice ; les juges du fond que nous sommes peuvent se tromper. Mais la réaction normale, c’est d’annoncer la contestation de la décision par la voie de l’appel ou du pourvoi en cassation, le cas échéant en demandant qu’il soit sursis à son exécution ».
La présidente de la Cour administrative d’appel a également plaidé pour « éviter la personnalisation », rappelant que « la justice est rendue au nom du peuple français ». Elle s’est directement adressée à Gérald Darmanin pour rappeler la décision du ministre de relancer le débat sur l’anonymisation des magistrats dans l’open data. « De notre côté, nous devons rester irréprochables, en mettant de côté nos opinions personnelles ».
Celle qui est membre du Conseil d’État depuis 1994 a également ouvert une parenthèse sur l’intelligence artificielle : « Un robot-juge n’accroîtrait pas la confiance dans la justice, et le règlement européen de 2024 l’interdit d’ailleurs ». Si elle reconnaît que « l’utilisation de l’IA par certains avocats accroît aujourd’hui un peu plus le travail du magistrat », elle espère que la juridiction pourra bientôt en tirer bénéfice. D’autant que des expérimentations et une « charte du bon usage » sont en cours, mais « les contraintes budgétaires et la confidentialité des données limitent les perspectives de déploiement rapide ».
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