Article précédent

À l’aube d’un projet de loi qui promet de refonder le modèle de protection de l’enfance, l’association des magistrats de la jeunesse et la famille (AMJF) plaide pour accueillir davantage d’enfants placés au sein de la famille élargie. Actuellement, seuls 8% des mineurs de l’aide sociale à l’enfance sont placés chez un proche, malgré des avancées législatives. Une exception française.

« Le placement d’un enfant chez un tiers de confiance (TDC), dans ma pratique, je ne l’ai jamais vu », assure une avocate expérimentée lors du colloque annuel de l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF). Consacrée cette année à la crise de la protection de l’enfance, l’événement s’est tenu les 27 et 28 novembre dernier au tribunal judiciaire de Paris.
Face à un diagnostic alarmant – l’épuisement des professionnels du secteur et la hausse massive du nombre de prise en charge, dont ont fait état de nombreux rapports -, l’association a souhaité mettre en lumière une « solution » qui peine à s’établir en France : l’accueil d’un enfant en danger chez un tiers digne de confiance (TDC).
Le jour même, Stéphanie Rist, ministre de la santé et des familles, a dévoilé dans Le Monde son intention de recourir, davantage qu’aujourd’hui, à l’entourage en cas de décision de placement. Cette proposition figure dans le projet de loi pour « une refonte du modèle de la protection de l’enfance » annoncé pour le premier trimestre 2026, et porté conjointement avec le garde des Sceaux.
À lire aussi : Gérald Darmanin veut renforcer les contrôles des lieux accueillant des mineurs placés
« Le juge devra systématiquement rechercher si un tiers digne de confiance peut être sollicité pour accueillir un enfant, afin de favoriser un lien d’attachement stable », a détaillé Stéphanie Rist. Cette idée n’est pas nouvelle : la loi Taquet du 7 février 2022 a renforcé cette obligation avant tout placement institutionnel, mais le nombre d’enfants concernés par cette mesure ne décolle pas.
En France, selon les chiffres de la DREES au 31 décembre 2023, 14 763 enfants étaient placés chez un tiers digne de confiance, ce qui représente 8 % des mineurs protégés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Cette solution reste minoritaire par rapport aux autres modes d’accueil que sont les assistants familiaux ou les foyers. Une véritable « exception hexagonale » liée à la très forte institutionnalisation de la politique de protection de l’enfance. « Cette question du placement dans la famille élargie a été très longtemps invisibilisée », souligne Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), présente pour échanger avec les magistrats.
« Avec l’institutionnalisation, nous avons mis les enfants sous cloche. La DDASS (ancienne ASE) est une histoire de l’isolement. Nous devons désormais travailler à soutenir le réseau social de l’enfant », plaide l’experte, ancienne directrice générale de l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse.
Elle l’assure : le placement des enfants chez un tiers de confiance permet de lutter contre « l’instabilité des parcours », la « sortie douloureuse » des dispositifs et le « désert affectif », « dénoncés unanimement par les anciens de l’ASE ». Cette solution répond aussi au besoin de « gratuité du lien » qu’expriment les enfants, à l’opposé du salariat des assistants familiaux.
D’un point de vue pratique également, le placement chez un tiers de confiance s’impose dans le débat public comme la solution pour régler les problèmes de l’ASE : arrêts maladie à répétition des acteurs du secteur, tendance démissionnaire et difficultés de recrutement des familles d’accueil.
L’idée, cependant, ne convainc toujours pas les professionnels de l’enfance. Leurs craintes portent sur la qualité des conditions d’accueil des mineurs et la position d’arbitre « inconfortable » à tenir pour les travailleurs sociaux. « Le risque est plus grand à priver ces enfants de leurs liens familiaux que celui qu’on prend à la faveur de ces rencontres qui ne sont jamais absolument certaines », croit, pour sa part, Anne Devreese.
Autre critique adressée à cette solution de placement : un désengagement des pouvoirs publics. « Les professionnels de l’enfance suspectent un effet d’aubaine pour l’Etat, qui peine à recruter des familles d’accueil et qui doit aussi faire des économies », contextualise Laurent Gebler, juge des enfants et ancien président de l’AFMJF.
À cet endroit, la présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) plaide pour s’inspirer du travail « complexe et subtil » mené dans d’autres pays : « Une forme d’aide aux aidants, avec des professionnels très qualifiés, qui veillent au développement de l’enfant et soutiennent les tiers de confiance, explique Anne Devreese. On pourrait appeler ça de la désinstitutionalisation, mais pour moi, c’est précisément le contraire ».
Si des progrès ont été faits ces dernières années, dans la pratique, les choses évoluent à petits pas, à la faveur d’initiatives socio-judiciaires locales. « Du bricolage », reconnaît Alice Grunenwald, présidente de l’AMJF. Cette juge des enfants au tribunal judiciaire de Saint-Etienne s’est tout particulièrement investie dans la question du placement auprès de la famille élargie : elle prononce actuellement au moins 30 % de placements auprès d’un tiers de confiance plutôt qu’à l’ASE.
À lire aussi : « La création d’un Code de l’enfance doit être l’occasion d’ouvrir un nouveau champ de droits »
À l’origine de cet engagement, un premier choc : « celui de la très forte institutionnalisation et de la très faible place des familles ». « Dans les dossiers, on ne savait pas qui elles étaient, et quand bien même, elle se manifestaient, on ne leur répondait pas. J’ai toujours trouvé cela très étonnant ». D’autres « phrases perturbantes », des souhaits d’enfants comme un « j’aimerais bien revoir ma grand-mère », mais aussi un intérêt porté aux pratiques internationales, ont contribué au déclic chez la juge stéphanoise.
Dans sa juridiction, elle a commencé à placer des enfants auprès de membres de la famille « au bout de 15 jours ». « Placer des bébés en pouponnière pendant six mois, comme cela se fait en France, parce qu’il faut des mesures d’investigation alors que la grand-mère s’est proposée, c’est très particulier. Au Québec, l’investigation dure entre trois semaines et un mois », explique-t-elle.
La juge a aussi pris le parti de convoquer d’office les familles aux audiences « pour forcer les choses » : avec parfois «7 à 8 personnes ressources différentes ». Une « prise de risque » assumée, avec à la clé « très peu d’échecs » et « de très belles histoires », assure Alice Grunenwald. Y compris du côté des travailleurs sociaux qui plébiscitent désormais « d’eux-mêmes » ces conférences familiales.
Mais la juge avertit : « Il a fallu changer les mentalités des services d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) qui pensaient que le placement chez un tiers de confiance ne fonctionnait pas. J’ai beaucoup bousculé. » La présidente confie aussi devoir « constamment revenir à la charge » et « épuiser les travailleurs sociaux du département pour qu’ils aillent voir les personnes ressources ». Cette démarche, qui demande beaucoup de suivi et d’engagement, se fait aussi au prix d’une priorisation des situations, reconnaît Alice Grunenwald : « J’ai choisi mes combats : je renvoie tous mes dossiers consensuels au département ».
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *