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Locaux adaptés pour ressembler à une salle de jeux, confrontations en visio entre mis en cause et mineurs victimes, formation des gendarmes au recueil de la parole d’enfants présentant un handicap… la Gendarmerie a, au fil des années, pensé différents dispositifs pour améliorer les auditions des enfants victimes. Pour les trois gendarmes présents lors d’une matinée d’échanges, le 4 novembre dernier, la sensibilisation et la formation des professionnels intervenant dans les enquêtes judicaires doit également se poursuivre et s’intensifier.

Quelques jours avant la Journée internationale des droits de l’enfant, le Centre de recherche de la gendarmerie nationale (CRGN) a organisé, entre les murs de la Garde républicaine, un atelier autour des innovations dans le recueil de la parole d’enfants victimes.
Le 4 novembre dernier, professionnels du droit, médecin, officier de police judiciaire et gendarmes se sont ainsi réunis pour échanger sur les nouveautés en la matière et sur leur façon de procéder lors des auditions « qui ne cessent d’augmenter », témoigne Laura, gendarme affectée à la brigade de Libourne et détachée depuis 2021 à la cellule d’atteinte aux personnes et à l’enfance (CAPe).
En moyenne, 700 auditions sont tenues chaque année par la CAPe de la gendarmerie de Libourne, qui prend en charge les dossiers en lien avec des mineurs victimes de harcèlement, de violences sexuelles ou témoins de violences conjugales et intrafamiliales. En comparaison, les auditions n’excédaient par la barre des 600 en 2021.
Un constat partagé par l’adjudant-chef Bruno Belin, qui exerce à la brigade de recherches de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Sur plus de 1 600 auditions menées en 2024, il en a couvert 300 en binôme.
Devant ces « chiffres énormes », il estime donc primordial le fait de former toujours plus les professionnels qui interviennent lors d’une procédure judiciaire. « Nous encourageons les médecins, les psychologues mais aussi les magistrats et les avocats à se former », insiste l’adjudant-chef, ce pour aider l’enfant à verbaliser au mieux.
Pour améliorer le recueil de la parole, la gendarme de Libourne explique pour sa part mener les auditions en civil, bien que la tenue de gendarme soit préconisée, car « ça fonctionne mieux », atteste-t-elle. De plus, les locaux de la cellule CAPe, qui ne se trouvent pas au même endroit que le parquet, ont été adaptés à l’accueil des enfants. « Nous avons eu de très bons retours des familles qui se sont dites contentes d’arriver dans des locaux civils avec une salle d’accueil qui ressemble à une salle de jeux », poursuit-elle.
Bruno Belin affirme également privilégier la tenue civile pour les moins de six ans, et en particulier lorsqu’ils sont déjà intervenus au domicile en tenue – pour interpeller le père, par exemple. « On ne va effectivement pas recevoir l’enfant en tenue pour l’audition, c’est à nous de nous adapter. »
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Même fonctionnement pour les pré-auditions mises en place à Saint-Malo. « On sait qu’il y a un stress très important dans les familles et pour les enfants : c’est pourquoi nous proposons ces pré-auditions à domicile. On vient en civil avec une voiture banalisée, et on le fait systématiquement avec des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme », détaille l’adjudant-chef. Et quand bien même l’enfant aurait oublié d’évoquer quelque chose, les gendarmes pourront à nouveau se rendre au domicile, toujours en civil, pour compléter le premier témoignage.
Pour l’adjudant-chef, il est également primordial de ne pas multiplier les auditions préparées demandées par le juge d’instruction, de façon à ne pas « ajouter du traumatisme au traumatisme initial ».
D’ailleurs, pour Bruno Belin, « il est incompréhensible que les enfants puissent [dans le cadre de confrontations demandées par le magistrat] être entendus dans un bureau de la gendarmerie de police et non dans les mêmes conditions de soutien que proposent les Unités d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) où ils ont été entendus la première fois. »
En effet, en convoquant l’auteur et le mineur victime au même endroit, cela pourrait déclencher un nouveau traumatisme chez l’enfant, pas seulement visuel, insiste l’adjudant, mais également lié aux odeurs, à une gestuelle de l’auteur, à sa voix, etc.
C’est pourquoi à Saint-Malo, le parquet a pris le parti de créer une « salle de confrontation protégée », la troisième de France après Angers et Rouen, et la première en gendarmerie.
Le mis en cause est alors convoqué dans les locaux de la gendarmerie, dans une salle dotée d’un écran qui affiche le retour de l’auteur ainsi que celui de son avocat et de l’enquêteur ; et dans une autre fenêtre, le mineur, qui lui se trouve dans la salle aménagée au sein de l’UAPED. La raison est simple : « l’enfant étant déjà venu connaît les lieux, et cela confère un cadre rassurant ». La possibilité est également donnée aux enfants de voir, ou non, l’auteur sur l’écran face à eux. « C’est la première question qu’on leur pose », précise l’intervenant.

Gendarmes et doctorante étaient réunis dans les locaux de la Garde républicaine pour échanger sur les innovations propres à leur département, ce 4 novembre. ©JSS
Ces confrontations se font également toujours en présence de la psychologue. « Dès lors que l’on connaît la date de la mise en garde à vue de l’auteur, on contacte l’UAPED pour connaître les disponibilités de la psychologue; afin qu’elle soit présente le jour de la confrontation. Sa présence est vraiment importante. »
Mais si cette présence s’évère cruciale, le manque d’experts psychologues est prégnant, pointe la gendarme de Libourne. « Nous travaillons avec une experte réquisitionnée dans toute la France. Nous avons la chance qu’elle travaille près de chez nous, ce qui nous a permis de tisser des liens. Tout passe par là. »
C’est en effet grâce à ce lien privilégié avec cette professionnelle, et aussi avec différents acteurs de la procédure judicaire et partenaires, que la cellule « fonctionne aussi bien », souligne Laura, autant pour les enfants que les parents.
En effet, la CAPe de Libourne travaille notamment avec une intervenante sociale gendarmerie (ISG) de l’association Vict’aide, ponctuellement contactée pour assister les victimes ou trouver de l’aide pour les parents qui n’ont pas toujours les moyens de payer les frais engendrés, notamment pour le suivi thérapeutique, souligne Bruno Belin.
Des liens qui devraient s’approfondir dans le cadre du nouveau comité de pilotage « Violences intrafamiliales » mis en place par le vice-procureur du tribunal judiciaire de Libourne, Gonzague Beaufour, en charge des mineurs et coordonnateur du pôle VIF. Ce Copil s’est réuni pour la première fois le 7 octobre dernier.
Une fois tous les trimestres, une table ronde est également organisée avec la CAPe, le Département, les associations d’aide aux victimes et trois juges pour enfants pour évoquer diverses situations et tenter de trouver des solutions, illustre la gendarme, « car certes il y a l’enquête pénale, mais derrière, il y des saisines, des évaluations sociales… ».
Une filière mineur a également été ouverte au tribunal, et différents membres du tribunal pour enfants ont été formés en septembre dernier.
Mais quid de la prise en charge des enfants présentant une forme de handicap ? C’est la question sur laquelle s’est penché l’adjudant-chef Laurent Kaiser, formateur en police judiciaire (CNFPJ).
A travers ses diverses expériences professionnelles et sa formation au protocole NICHD (National institute of child health and human development), méthode d’audition conçue pour recueillir les témoignages d’enfants victimes ou témoins de violences, l’adjudant s’est en effet rendu compte que pour certains mineurs, le protocole ne fonctionnait pas du tout. « Il fallait donc s’adapter. »
A force de recherches, de rencontres avec les magistrats, des pédopsychiatres et associations d’aide pour les enfants autistes, Laurent Kaiser a pu faire aboutir un livret sur la prise en compte des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme dans les auditions de mineurs victimes.
L’idée était « d’apporter des clés pratiques pour tous nos camarades sur le terrain via un livret facile à lire. On voulait vraiment un outil qui permettre de guider les gendarmes sur comment accueillir ces mineurs, quelles précautions prendre, comment pratiquer les auditions, ce qu’il faut éviter, etc. » développe-t-il.
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Et l’adjudant a souhaité aller plus loin en prenant en compte toutes les formes de handicap. Un travail mené de concert avec son prédécesseur au poste de major, le secrétariat interministériel sur le handicap, la Miprof et la Civiise, qui a conduit à l’élaboration d’un guide dont la parution est prévue pour la fin du mois. Ils ont également pu compter sur Marie Rabatel, présidente de l’association des femmes autistes, pour relire les différentes fiches.
Un outil « novateur » pour la gendarmerie au niveau national, s’est félicité l’adjudant, qui a ajouté : « Nous sommes des enquêteurs, l’idée et de pouvoir qualifier ou non une infraction lorsqu’un signalement est fait ».
Depuis son arrivée à Rosny, plus de 400 gendarmes ont été sensibilités au handicap, notamment autour des troubles du spectre autistique.
Autre dispositif d’aide au recueil de la parole des mineurs : les chiens d’assistance judiciaire (CAJ). Très récent en France, il s’inspire du modèle américain et continue de faire ses preuves dans l’Hexagone auprès des personnes qu’ils accompagnent parfois tout au long du parcours pénal.
L’exemple avec le procès Le Scouarnec débuté en février dernier. Plusieurs chiens ont en effet été déployés par l’association Handi’chiens qui les forme, pour accompagner les 299 victimes.
Selon Camille Cagnot, doctorante COPRA (Convention de formation pour la recherche en administration), « un engouement commun pour le rôle bénéfique de ces chiens [a été] constaté », durant ce procès.
Mais encore faut-il que le chien soit dans de bonnes dispositions. Elle l’explique : « Les comportements du chien peuvent en dire beaucoup sur comment va se passer l’audition. Le moment clé est celui de la présentation entre le chien et le mineur, et les fois où ça ne s’est pas bien passé, c’est lorsque l’animal affichait un comportement de stress. »
C’est pour cela que dans sa thèse « Chiens d’assistance judiciaire : quels effets sur les mineurs, les gendarmes et le chien lors de auditions ? », elle s’intéresse également à l’effet de ces auditions sur le comportement du chien, qui peut devenir une éponge émotionnelle.
Toujours est-il que les CAJ (des labradors ou golden retriever), de par leur taille et leur caractère, restent l’animal le plus adapté pour accompagner ces victimes. « Il faut toujours adapter l’animal et l’espèce selon la problématique et le public. En EPHAD, avec des personnes avec peu de mobilité, on va privilégier les petits animaux. Les chevaux, eux, sont souvent utilisés en prison et pour aider les personnes avec des syndromes post traumatiques », illustre la doctorante.
Des expériences avec des chiens robots ont également été menées auprès d’enfants et ont démontré davantage d’interactions entre le robot et l’enfant qu’avec un CAJ. « Il est plus facile d’envoyer le robot au contact de l’enfant, un chien lui peut refuser. » Pour autant, les enfants ont indiqué avoir ressenti un meilleur bénéfice avec un vrai chien, notamment lors des auditions.
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