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Invité lundi 8 décembre à l’événement « Faites de l’international » organisé par la CCI Île-de-France, Enrico Letta a plaidé pour une harmonisation des pratiques juridiques, fiscales et sociales au sein de l’UE, principal levier de compétitivité européenne, selon lui. Une idée que le président de l’Institut Jacques Delors avait déjà défendu en 2024 à Bruxelles dans un rapport portant son nom.

« Le vrai problème, c’est que l’Europe, c’est beaucoup plus d’obstacles qu’on s’imagine ». Lors de l’évènement « Faites de l’international », organisé lundi 8 décembre par la CCI Île-de-France pour encourager les entreprises à se tourner vers l’export, Enrico Letta a jeté un regard sévère sur l’Europe devant les entrepreneurs présents. Interrogé sur l’avenir du marché européen, l’ancien Premier ministre italien a rappelé que, à ce rythme, l’Union européenne risque de ne jamais rattraper la Chine ou les États-Unis.
Auteur d’un rapport présenté au Conseil européen du 17 avril 2024, consacré à l’accélération de l’intégration européenne dans la finance, les télécoms, l’énergie et la défense, Enrico Letta a insisté : « L’international, c’est surtout l’Europe. Il y a beaucoup d’options et d’opportunités, surtout parce que le marché économique européen est le centre de la construction européenne. » Mais, a-t-il enchaîné, les comparaisons internationales sont implacables :« Là où la Chine a annoncé le plan à cinq ans d’intégration du marché unique chinois et quand Donald Trump fait du America First, nous – l’UE – nous avons un problème. Nous sommes bons sur la libre circulation des personnes et des biens, mais absolument pas sur les services et les capitaux, parce que sur ces critères, nous sommes restés très nationaux. » Et de prévenir directement les entrepreneurs: « Ce qui veut dire que vous, dans vos métiers, vous avez beaucoup plus de difficultés à aller en Europe que ça devrait l’être normalement. »
Une situation d’autant plus préoccupante que, le 4 décembre 2025, la Commission européenne a présenté plusieurs mesures destinées à favoriser l’intégration des marchés de capitaux, notamment en renforçant les pouvoirs de l’ESMA, l’Autorité européenne des marchés. Des propositions jugées pertinentes par Enrico Letta, pour qui le cœur du problème reste la fragmentation des services au sein de l’Union. « Les trois secteurs du marché intérieur qui sont les plus fragmentés sont l’énergie, la connectivité des territoires avec les télécoms, et les marchés financiers », a-t-il expliqué. Et d’insister sur un point central : « Si vous travaillez pour l’un de ces trois secteurs, votre autorité de référence n’est pas une autorité européenne mais une autorité de supervision nationale. » Une organisation qui, selon lui, illustre parfaitement les limites du marché unique.
Pour Enrico Letta, une réaction est indispensable et elle passe par « le 28ᵉ régime et la cinquième liberté », des « facilitateurs » selon lui. Par 28e régime, l’ancien premier ministre désigne un projet qui vise à créer un code européen de droit des affaires.
« Actuellement, [les entrepreneurs] doivent composer avec 27 législations régionales. C’est un casse-tête incroyable, l’Europe ! Peut-on effacer toutes ces fragmentations et arriver à un seul droit ? C’est compliqué, parce que les gens vont vous dire : “Écoutez, mon droit des affaires date de 1753, je ne vais jamais l’effacer” », a expliqué Enrico Letta.
D’où l’idée d’un cadre nouveau : « Créer un 28ᵉ État virtuel avec son propre droit des affaires, avec son propre droit pour les start-up. Pas obligatoire mais qui donne la possibilité aux entreprises de choisir le système qui donne le plus de facilité et de rapidité. »
Quant à la cinquième liberté, elle porte sur « la libre circulation de la recherche, de l’innovation et de la connaissance ». Et l’ancien chef du gouvernement italien n’a pas cherché à atténuer l’enjeu, glissant une mise en garde directe : « Si nous loupons le coche, nous devrons choisir d’être une colonie américaine ou une colonie chinoise. » Pour Enrico Letta, le cap est clair : « Être national, ce n’est plus suffisant. Il faut être européen pour jouer dans un championnat mondial qui est aujourd’hui de plus en plus compétitif ».
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Et de revenir sur l’exemple des télécoms : « Sur les télécoms, on était les champions mondiaux dans les années 90, sur ce secteur, c’était l’Europe le leadership. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? On a décidé de rester fragmentés parce qu’on imaginait que la dimension de chaque pays était suffisante pour être un champion mondial. »
Ce dernier a ensuite décrit l’évolution du marché : « Dans les vingt-cinq à trente dernières années, le monde a changé, il a doublé de taille et tout ce qui s’est ajouté n’est pas européen. Nous avons 80 opérateurs en Europe. Ils en ont trois en Chine, trois aux États-Unis. Vous savez quelle est la différence de taille ? La moyenne de clients d’un opérateur chinois est de 467 millions, celle d’un opérateur américain est de 107 millions. La moyenne de clients d’un opérateur européen est de cinq millions de clients. » Et de conclure ce constat sévère :« On joue dans deux championnats totalement différents. »
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